Taieb Yousfi ' Caïd Essebsi, Essid et Chahed : un témoignage pour l'histoire
Taieb Yousfi, journaliste, écrivain et ancien chef de cabinet de l’ancien chef de gouvernement, Habib Essid, était l’invité, ce jeudi 21 septembre 2023, de « La Matinale » de Shems FM.
Auteur du livre « L’État pris comme un butin – De la chute de Ben Ali au dilemme de la transition démocratique », Taieb Yousfi a livré, au micro de Wissal Kassrawi, son témoignage concernant la décennie qui a suivi la révolution de 2011.
« L’ancien président Béji Caïd Essebsi m’a fait part de son ras le bol, il pensait que les choses allaient se calmer, qu’elles allaient, après la révolution, être plus simples mais les évènements se sont enchaînés et la situation est devenue très compliquée à gérer pour lui qui, du temps de Bourguiba, était posé sur le coton. L’État, à partir de 2011, a été considéré comme un butin. Après la chute de Ben Ali, l’État est resté debout grâce à l’administration qui a joué un grand rôle en préservant et maintenant ses services » a commencé par préciser l’auteur.
Concernant les déclarations du président Kaïs Saïed, appelant à « assainir » l’administration en réexaminant les recrutements opérés depuis 2011, Taieb Yousfi a indiqué qu’en 2015, Habib Essid, a autorisé la commission de contrôle financier à effectuer un audit complet au profit de la présidence du gouvernement sur la période 2011-2015.
« Quand Habib Essid a quitté la présidence du gouvernement, la commission était encore en train d’effectuer ce travail et on peut revenir à ce rapport qui doit être accessible et probablement déjà prêt. En 2011 les employés et agents de la présidence du gouvernement étaient au nombre de 970, quand nous y sommes retournés en 2015 le nombre dépassait 1700. En février 2017 il est apparu que le nombre de chargés de mission au cabinet du chef du gouvernement a largement augmenté et Habib Essid, au début de son mandat, a démis vingt chargés de mission. Pour ce qui est de l’administration, sans compter les établissements publics, le nombre de fonctionnaires et d’agents était en 2010 de près de 450 mille fonctionnaires, en 2015 il était de 627 mille fonctionnaires. Dix mille fonctionnaires ont été recrutés dans le cadre de l’amnistie générale, trois mille de blessés de la révolution, il y a aussi les agents chargés de la sous-traitance et d’autres recrutements. Il faut donc un audit général et ceux qui doivent être tenus pour responsables sont ceux qui ont justement permis certains recrutements, de gens qui ont intégré la fonction publique avec de faux diplômes par exemple. Les mécanismes de contrôle existent et chacun doit assumer ses responsabilités sans tomber dans la diabolisation de l’administration » a-t-il poursuivi.
L’écrivain est également revenu sur la période de la Troïka, soulignant que la notion de « butin » a débuté avec l’Assemblée constituante. « On a commencé à sentir que l’ANC au fil du temps s’est transformée en Assemblée législative qui détenait alors le pouvoir. Après cela est venue la Troïka. Ennahdha a exercé cette notion de butin mais il n’était pas seul, Nidaa Tounes aussi, et nous sommes entrés dans une phase de clientélisme, de népotisme et de calculs partisans. Certains se focalisent sur les nominations de délégués ou de gouverneurs mais on oublie que ce ne sont pas vraiment ces personnes qui ont de l’intérêt et qu’on gagne aussi à mettre la main sur le bureau d’ordre par exemple ou les concierges. On voulait contrôler les rouages de l’État à travers certaines fonctions. Un jour, d’ailleurs, j’ai surpris un concierge en train de lire le contenu des parafeurs du chef de cabinet de la présidence du gouvernement et de livrer des informations par téléphone à une partie dont j’ignore l’identité » a-t-il confié.
Taieb Yousfi est aussi revenu sur les mandats de Habib Essid et de Youssef Chahed, précisant que Habib Essid a été éjecté car la famille de l’ancien président, Béji Caïd Essebsi, estimait qu’il était borné et ne servait pas ses intérêts.
« Béji Caïd Essebsi pensait que Habib Essid allait être obéissant (…) il était entouré des soutiens de Youssef Chahed, Selim Azzabi notamment, et d’ailleurs quand il a été nommé, nombreux ont été les partis qui se sont réjouis de cette décision. Youssef Chahed a fini par mordre la main qui l’a nourri et s’est affranchi de l’aile de Béji Caïd Essebsi pour se couvrir de la jebba du Sheikh. Il n’aurait pas été possible pour Youssef Chahed de poursuivre ses fonctions sans l’approbation d’Ennahdha » a-t-il ajouté.
« Les partis qui ont pris le pouvoir depuis 2011 ont-ils engagé des réformes ? Ils ne l’ont fait que dans leurs discours car en réalité cela aurait eu un coût électoral considérable. Et je le redis, Habib Essid a commencé, depuis début 2016, à élaborer des projets de réformes, que Youssef Chahed n’a pas engagé, par simple calcul politique. Pour la première fois alors un parti était constitué du sein du Parlement. Tahya Tounes a émergé de blocs parlementaires et au final tout le monde a voulu avoir sa part du butin et contrôler l’État. Béji Caïd Essebsi a fini sa vie isolé, il a avoué à Habib Essid avoir été dupé et que Youssef Chahed l’a trahi. Il se sentait coupable. Après avoir été à Nidaa Tounes, les opportunistes ont parié sur un autre cheval, sur Youssef Chahed et Tahya Tounes pour accéder au pouvoir. Toujours guidés par l’appât du butin. Les plus vils personnages qui étaient de sein du RCD ont intégré Nidaa Tounes puis Tahya Tounes » a révélé l’auteur.
Taieb Yousfi a enfin souligné, que des personnalités ont servi l’État avec rigueur et dans l’ombre, puis ont été persécutées ou oubliées. Il a cité l’ancien Premier ministre, Mohamed Ghannouchi qui était, selon ses dires, un vrai homme d’État.
Il a conclu en rappelant que l’histoire doit servir de leçon, que le contexte appelle à unir les efforts, que l’ancienne classe politique doit assumer ses responsabilités et avoir la décence de se retirer pour laisser la place à une nouvelle.
M.B.Z
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