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Entre Kaïs Saïed et Noureddine Taboubi, la rupture est en vue

Rien ne va plus entre l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et le président de la République, Kaïs Saïed, on le répète depuis des mois. La dernière rencontre entre Taboubi et Saïed remonte au 23 mai 2022 et quand ils se croisent les moindres réactions révélatrices des deux hommes sont scrutées à la loupe. On dit qu’il existe un bras de fer entre l’exécutif et la centrale syndicale, mais est-ce vraiment le cas ? L’UGTT crie, condamne une politique qui ne mène à rien, lance des initiatives mais semble n’avoir d’autre choix que de s’en remettre à un Kaïs Saïed plus hautain que jamais.

Lors de la célébration du 77e anniversaire de la création de la centrale syndicale, son secrétaire général, Noureddine Taboubi a affirmé que le pouvoir en place ne pourrait pas déstabiliser l’UGTT ou lui porter atteinte, qu’elle est la pierre sur laquelle tous les complots seront brisés, que la bataille est désormais politique, que celui qui gouverne aujourd’hui est responsable de la situation du pays. Le syndicaliste a appelé à une mobilisation sur le terrain et appelé les syndicalistes à intensifier les efforts pour se préparer à une mobilisation à la hauteur du rôle national de l’organisation. 

Rappelant toutefois que l’UGTT a manifesté son soutien au 25-Juillet pour mettre un terme aux dix ans de règne de l’après-révolution, Noureddine Taboubi a fait savoir que le processus politique du président de la République ne conduirait pas non plus au changement espéré pour le pays. 

Au lendemain du premier tour des législatives anticipées, le syndicat a violemment condamné un « cheminement qui n’a apporté au pays que davantage de crises et de catastrophes », qualifiant les principales étapes du processus du 25 juillet comme un « changement forcé de la constitution orienté vers l’instauration d’un régime présidentialiste fermé » et souligné que l’UGTT doit prendre ses responsabilités nationales pour sauver le pays. L’Union ne s’en cache désormais plus et critique ouvertement le processus engagé par le chef de l’État, le qualifiant d’échec et même de danger pour le pays.

Il aura fallu du temps à l’UGTT pour prendre une position ferme vis-à-vis du projet de Kaïs Saïed et de le confronter. Le ton a été donné et une initiative de sauvetage du pays a même été lancée en collaboration avec l’Ordre national des avocats de Tunisie (Onat), la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) et le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), néanmoins si la puissante centrale syndicale crie dans les micros et martèle la nécessité du recours au dialogue, elle se retrouve face un sourd qui ne veut rien entendre et qui n’a que faire du bruit gênant qu’elle provoque.

 

Kaïs Saïed ne rate d’ailleurs aucune occasion pour signifier à l’UGTT que tout le brouhaha qu’elle fait lui passe au-dessus de la tête, qu’il reste imperturbable face à ses menaces et timides démonstrations de force. En témoignent les récents propos du président et ses provocations successives l’air de dire qu’il est seul maître à bord et qu’on peut parler autant qu’on veut, il ne dévira pas de sa trajectoire.

La récente nomination de l’ancien secrétaire général adjoint de l’UGTT chargé du secteur privé, Mohamed Ali Boughdiri, au poste de ministre de l’Éducation en est la preuve irréfutable. Mohamed Ali Boughdiri est, en effet, l’ennemi juré de Noureddine Taboubi, il s’était opposé à la tenue du 25e congrès de la centrale syndicale ayant permis à M. Taboubi d’occuper encore une fois la fonction de secrétaire général et s’est ouvertement allié au président alors même que l’Union avait officiellement critiqué sa politique.

Le mépris de Kaïs Saïed s’est également exprimé dans ses propos lors d’une visite inopinée à la caserne de la Garde nationale d’El Aouina où il a lancé des attaques virulentes à l’encontre de « ceux qui complotent contre l’État », soulignant que si le droit syndical est garanti par la constitution il ne doit en aucun cas se transformer en couverture d’enjeux politiques qui deviennent « évidents ».

Quelques heures seulement plus tard, le secrétaire général du syndicat des agents de la Société Tunisie Autoroutes, Anis Kaâbi a été interpellé et conduit au district de police d’El Gorjani sur fond de grève menée par les agents de la Société Tunisie Autoroutes.

Le chef de l’État a également exprimé, par une première réunion effectuée il y a deux jours à la Kasbah, son soutien à la cheffe du gouvernement Najla Bouden pendant que l’UGTT et ses alliés dans l’initiative de sauvetage appellent à la formation d’un nouveau gouvernement de compétences capable de sortir le pays de la crise et ont dans la ligne de mire la cheffe du gouvernement.

 

On ne saurait quoi penser de la position de l’UGTT face à un Kaïs Saïed qui sombre dans le mépris. On pourrait croire que la centrale syndicale continuera de mener son combat, poursuivre son initiative et lancer quand même le dialogue sans le président, comme cela avait été fait en 2013, mais il semblerait que ce n’est pas à l’ordre du jour, qu’on cherche encore à convaincre le chef de l’État qui avait pourtant déjà ignoré une première tentative en 2021.

L’Union syndicale, en ayant cherché à temporiser, sans doute pour s’extraire de tout amalgame pouvant la mêler à la cause des partis politiques, ne se serait-elle pas placée hors-jeu ? Une chose est sûre, dans cette bataille, ce n’est pas elle qui mène la danse même si Saïed s’enlise dans son propre processus comme en témoigne l’échec cuisant de ses législatives. En se plaçant sous la légitimité et l’autorité du processus du 25-juillet, l’intiative de l’UGTT et des organisations nationales qui l’accompagnent peut finir en simple produit intellectuel.

 

Myriam Ben Zineb


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