Culture

Culture: Le courant du «censé insensé»…

C’était vendredi dernier, à la Cité de la culture. Un public nombreux était en file indienne, attendant l’ouverture des portes. Public trop longtemps brimé et avide de culture à la hauteur de ses aspirations. La salle était comble. Les Tunisiens sont assoiffés de dépaysement et de loisirs.

Le concert de musique commence. Orchestre à l’occidentale, musique de Karim Thlibi. Texte de Mohsen Ben Nefissa sous la houlette du maestro Mohamed Bouslama.

Des voix venues d’un ailleurs prélangagier de Mohamed Ali Chbil, Naï Barghouthi, Haythem Lahdhiri pour ne citer que ce trio fabuleux. L’illustration cinématographique est de Abdelhamid Bouchnek.

Pour la première fois, en Tunisie, un concert de musique eut lieu en parallèle, avec la projection d’un film. Le public ambitionne un beau spectacle, à la dimension des artistes qui y ont collaboré.

Le spectacle commence. Une harangue virulente cible un public obnubilé par une station passive.

Le public est dans l’attente d’un «sens», d’une «signification».

Elle tarde à venir, se fait désirer et ne vient pas. La patience du public est grande.

On ne quitte pas une salle où le spectacle promet du contenu, même s’il mène en bateau la concentration du public et son impatience à comprendre.

On n’a pas à chercher à comprendre !!

Vivre au rythme d’un ensemble de sonorités, où les chants épousent le statut d’un instrument musical commun et se retiennent de livrer du sens, dans des phrasés musicaux et de chants abstraits et abscons.

Le public est face à un spectacle qui ne dit pas son identité et son genre scénique, car il répudie la production de sens et la langue explicite, en mettant en parallèle musique et image et non le couple consacré par notre culture arabo-musulmane : la langue arabe écrite et l’image.

On ne peut, instinctivement, que nous référer au couple Hariri/Wassiti.

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La nation arabe, s’il en fût, a la plus grande fierté de disposer de la langue arabe, langue du Coran, donc langue de Dieu et du paradis.

Malgre cette donne cardinale, les Arabes ont éprouvé le besoin de soutenir la langue, par des graphismes et des dessins en couleur, qui ont le statut de peintures illustratives, entre la première et la dernière pages de couverture d’un livre.

Le concert de musique de vendredi dernier, à la Cité de la culture, se prête à lire comme une œuvre d’art abstraite qui nargue l’œil regardant, l’oreille et la raison raisonnante, car totalement différent de tout ce à quoi les Tunisien(ne)s sont habitués.

Comment parvenir à «lire» ce spectacle si, comme le veut la musique arabe, l’on ne dispose pas d’une musique qui illustre des paroles, mais d’images cinématographiques, illustrant une musique sans paroles ?

La parole ou la langue cède le pas aux langages sonores et visuels. Tout le spectacle est basé sur une musique, somme toute occidentale, y compris les voix des chanteurs accompagnés d’un film illustrant cette musique et se posant au-dessus de l’orchestre, sans frontière tracée. Dire que toute production artistique est le fruit de son époque nous dévoile la quintessence de tout le projet proposé au public et qui se veut différent, original et en un moticonoclaste.

L’intitulé du spectacle n’est-il pas :  («Imagine demain, le jour de la résurrection de la pensée»)

L’ultime objectif du spectacle semble être une invitation à penser autrement, différemment de ce que le pli de l’habitude a établi comme règle au public.

En règle générale, tout art qui ne pense pas et qui ne fait pas penser ne peut prétendre au statut d’art.

Bousculer l’opinion publique, en situation de déliquescence chaotique, avec cette ferme conviction de brouiller toutes les cartes et de dépayser le confort intellectuel de l’élite, avec pour toile de fond une conscience évidente que l’art, en Tunisie, touche le fond, dévoile l’intention des concepteurs de l’œuvre originale.

Mais ne connaissant pas le texte de Ben Néfissa, on imagine mal qu’il soit soluble dans cette performance rétive et subversive, repoussant toute accointance avec la langue.

Cette équipe de jeunes créateurs semble crier à la face des Tunisien(ne)s sa révolte suite à une totale déception du devenir de la révolution du jasmin, qui s’est transformée en calvaire pour tout un peuple. «Iconoclaste, d’abord», disait Nietzsche.

Cette race de nouveaux créateurs exècre le moment présent et dégurgite toute sa rage qu’elle déverse sur un parterre de spectateurs venus savourer des voix prometteuses, suaves, voire paradisiaques.

Il se retrouve confronté à une attitude au monde, agressive de la part des concepteurs du concert qui a épousé la forme d’une harangue politique du goût commun et de la déliquescence d’un peuple soumis, irresponsable et dont les pseudo leaders politiques se sont révélés d’un opportunisme sans éthique aucune. Ce spectacle viole l’attentisme indigne d’un parterre censé être éclairé, qui se prétend libre et capable de prendre son destin en main.

La forme du spectacle ne nous est pas habituelle et elle se donne à voir comme étant un spectacle grandiose, à l’Occidentale.

Son contenu ?

Au niveau de l’image, il est question d’une métaphore de la Tunisie, une vieille femme, cheveux blancs et vêtements en loques, danse, exprime sa solitude dans la désolation .

L’expression du visage et sa gestuelle dénotent une sagesse sûre.

Sombre fresque, diriez-vous?

Néanmoins, elle témoigne d’une générosité bel et bien tuniso-tunisienne.

Qui dit la Tunisie, dit un paradoxe.

Et elle, la vieille femme sage, est don de soi et main tendue au monde.

Sombre fresque avec un élan indéfectible vers l’autre, vers le prochain et vers l’avenir qui se ressent comme florissant, par rapport à un présent chaotique.

Vieille femme rappelant la figure emblématique de la figurine… qui assure l’apprentissage des jeunes adolescents, au métier d’homme et à la citoyenneté.

Son trait distinctif est son penchant pour l’optimisme et les jours meilleurs.

Par ailleurs, un jeune architecte féru de peinture expose à la fameuse galerie «Kalysté», depuis samedi dernier.

Il nous a accroché sur les cimaises de ladite galerie, soixante-trois toiles. L’intitulé de l’exposition est : «Dé-sensé(e)s».

Ses toiles reflètent le même constat que le spectacle de musique et cinéma de Karim Thlibi.

Deux manifestations culturelles se croisent sans qu’il y ait un quelconque arrangement.

S’agit-il d’un courant artistique qui se dessine autour de la conscience douloureuse de ce qu’a vécu ce pauvre peuple, si ancré dans l’histoire de l’humanité et si malmené par les siens ?

Sur l’avant-dernière page du catalogue confectionné par l’artiste plasticien, on peut lire un mini-texte qui semble expliquer la métaphore du film de notre spectacle, la vieille femme sage :

«La plus belle, la plus généreuse, la plus pieuse des attitudes-actes artistiques des humains, est le don de soi.

Tout ce qui est à toi est à toi. Tout le savoir qui est à moi est à toi. Tout l’amour que j’ai est donc à toi.

Tout l’art que j’éprouve poïétiquement, est inspiré par toi.

Au lieu de m’appauvrir, cet acte spontané nous enrichit mutuellement. Celui qui sait, qui sait faire, qui sait offrir, accomplit un acte de piété, doublé d’un acte de générosité incommensurable, dépassant celle de tous les porteurs de nouvelles, démiurges, innovateurs ou/prophètes ».

Qu’à un spectacle déroutant et grandiose, aux mesures d’un pays développé fait écho une exposition de peinture ne peut que refléter une tendance que nous nommerons : le courant du «censé insensé».

Néjib Gaça

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