Culture

Amira Ghenim, auteure du roman «Nazilet dar al akaber», à La Presse : «Tahar Haddad» n’est pas le personnage principal du roman bien qu’il soit le fil d’Ariane de sa trame de fond…» 

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« Nazilet dar el akaber » (Le cataclysme de la maison des notables), voici donc un roman tunisien en langue arabe qui a déjà fait couler beaucoup d’encre et dont on pourrait dire, sans risque d’être démenti et en traduisant l’expression arabe bien consacrée « Sa renommée a rempli les coins de la terre » ! Son auteure, Amira Ghnim qui s’est avérée une véritable magicienne de la création verbale de la narration romanesque, une Shahrazade, s’avère aussi une magicienne de la communication et de la promotion de sa propre production littéraire. Tant mieux ! Interview. 

C’est que ce roman, quoiqu’il soit le tout premier et l’unique à être publié jusqu’ici par Amira Ghnim (Tunis, Meskelyani, 2020, 460 pages), cartonne comme un best-seller et comme rarement un autre roman tunisien, même d’un auteur des plus connus et confirmés, n’a cartonné !  Livre à forte vente remportant un très beau succès en librairies et dans les foires, il a déjà atteint sa neuvième ou dixième édition. Son autrice qui était, il y a peu, une belle inconnue du domaine littéraire et éditorial, semble être, elle-même, étonnée de ce qui lui est arrivé soudain, sans qu’elle ne s’y attende le moins du monde. Tous les journaux de la place parlent élogieusement de son roman, beaucoup de journalistes et critiques littéraires de Tunisie, même des plus sérieux et crédibles, consacrent à  son écrit d’exception des articles des plus flatteurs, les télévisions et les radios ne cessent de l’inviter à débattre de ce qu’elle a écrit et publié et qui a constitué un véritable événement littéraire dont les échos sont parvenus jusqu’en Algérie où l’illustre écrivain Waciny Laredj  commente favorablement, dans l’une de ses chroniques littéraires, « Nazilet dar el akaber ». Sur le réseau social « Facebook », l’intérêt que suscite ce livre est incroyable : on le voit partout, dans des maisons de culture, dans des écoles et lycées, dans des présentations et signatures, et même chez un marchand de beignets qui l’exhibe fièrement près de sa grande poêle à frire. Il ne se passe pas un seul jour sans qu’on lise quelque chose de laudatif sur ce roman qui a décroché, dès sa sortie, un « Comar d’or » et a pu figurer, après diverses sélections,  dans la courte et ultime liste  des 6 lauréats au  Prix mondial du Roi saoudien Fayçal  « Bouker », au titre de  la session 2021. De l’avis de nombreux lecteurs, cet étonnant « Nazilet dar el akaber » serait l’un des meilleurs romans tunisiens des dix dernières années. Mais voici une question légitime que d’aucuns se poseraient : devrait-il son grand succès à seulement ses qualités littéraires indéniables ? Oui, en grande partie, sûrement. Le reste, il semble bien le devoir aux qualités humaines et communicatives de son autrice qui l’accompagne et le défend tous les jours comme d’autres défendent et protègent leurs enfants. Douée en l’art de communication et des relations humaines, éloquente, ayant le sens de la modestie et l’abord agréable et se rendant très présente sur la scène littéraire, éditoriale et médiatique, elle réussit avec brio à faire parler de plus en plus de son roman et à garder vive l’attention, voire la passion, qu’il suscite. En somme elle remplit fort bien la difficile et délicate fonction promotionnelle dont les bons éditeurs d’aujourd’hui, en France comme en Tunisie et ailleurs, chargent leurs auteurs afin qu’ils participent activement à l’information sur leurs propres livres et à leur vente. Amira Ghnim qui s’est avérée une véritable magicienne de la création verbale de la narration romanesque, une Shahrazade, s’avère aussi une magicienne de la communication et de la promotion de sa propre production littéraire. Tant mieux ! Interview :

 –Voici d’abord pour commencer une cascade de petites questions qui vous feront parler de votre parcours : Comment êtes-vous venue à l’écriture romanesque ? Quand exactement avez-vous appréhendé en vous-même un désir  ou un besoin ou une urgence d’écrire et de raconter une histoire, des histoires ? Quel était le déclic après lequel vous vous êtes mise à écrire ? Avez-vous commencé, comme d’autres poètes et romanciers,  par écrire des choses que vous n’avez pas jugé bon de publier, que vous avez gardées pour vous-même tel un journal intime ou que vous avez déchirées ? Considérez-vous que « Nazilet Dar al akaber » est votre vrai premier roman ou préférez-vous penser que c’est plutôt « AL millaf al Asfar », qui n’est pas encore sorti, qui est votre premier roman ?

 – Depuis toute jeune, je rêvais d’être écrivaine. Dès l’école primaire, je prenais déjà beaucoup de plaisir à rédiger mes dissertations de petite écolière. Au Lycée, mes enseignants ne cachaient pas leur enthousiasme devant mes essais en arabe et en français. Très vite, j’ai su que l’écriture était ma force intérieure. Et bien que je sois prédestinée en principe à faire carrière dans des domaines plutôt scientifiques comme la majorité de mes camarades du lycée pilote de Sousse, j’ai délibérément choisi la branche littéraire au risque de me faire muter du lycée vers un autre établissement vu le nombre négligeable, à l’époque, des élèves désirant se spécialiser dans cette branche. Heureusement, et grâce à Monsieur  Monji Dridi, le directeur du LPS à qui je voudrais rendre hommage ici, une poignée d’élèves chanceux ont pu assouvir leur soif insatiable d’art et de littérature sans avoir à quitter leur prestigieux lycée, et je faisais partie de cette poignée. Titulaire de mon Baccalauréat en Lettres, ma destinée était déjà tracée. Albert Camus disait « Ma patrie est la langue Française » et moi, pour ma part,  passionnée comme une jeune fille peut l’être à dix-huit ans, une petite voix dans ma tête disait toute fière « La mienne est la langue Arabe ». Et c’est en étant habitée par cette conviction que j’ai pu obtenir mon agrégation en Lettres arabes à l’âge de 23 ans. Dès lors, débuta ma danse professionnelle avec la plume. Je me réjouissais d’écrire ma thèse de doctorat, mes articles universitaires, mes émissions de radio, mais il restait en moi, néanmoins, un soupçon de frustration dont je n’arrivais pas à me défaire : Je voulais écrire des histoires. Pourquoi ? Je n’en savais rien. C’est en découvrant la philosophie d’Hannah Arendt que j’ai pu enfin comprendre la cause de cet attachement aux récits. H. Arendt expliquait que sans récits nous étions privés de sens et de relief. En effet, c’était mon sentiment : Du haut de mes centaines de pages de chercheuse universitaire je me sentais encore plate, presque banale.

Le déclic est arrivé assez tardivement. Prise dans les filets du quotidien, écrasée sous le poids des tâches interminables d’une mère de trois enfants, écrire hors de mon parcours académique relevait du luxe que je ne pouvais m’offrir. Puis, il y a eu cette sorte de folie passagère, cette bouffée délirante qui fait naître en vous une envie forcenée de créer des mondes et de façonner des personnages. Un récit fou, comme d’ailleurs son personnage principal, hantait mon esprit et exigeait d’être couché au plus vite sur les touches de mon clavier. « AL Millaf al Asfar » faisait son entrée parmi mes fichiers informatiques. Il y restera pendant cinq longues années avant que je ne me décide enfin à le libérer en lui donnant une chance d’avoir quelques lecteurs. Il se trouve que ces lecteurs, qui n’étaient autres que les membres du jury du prix littéraire international Rached Charqui, l’ont assez apprécié jusqu’à lui décerner le second prix du concours en plus de son édition en sa langue d’origine et en version anglaise. Voilà un coup d’essai qui vous met directement en confiance pour la suite du parcours. Aurais-je osé publier « Nazilet Dar Al Akaber » si « AL Millaf al Asfar » était passé inaperçu ? Certainement pas ! Le hasard a voulu que mon second roman soit publié avant le premier, et il fera peut-être bénéficier le premier, une fois publié, du succès avec lequel est accueilli le deuxième. Mais, pour l’anecdote, sans cette distinction accordée à « AL Millaf al Asfar » les personnages de « Nazilet Dar Al Akaber » auraient certainement été trop timides pour parvenir aux éditeurs !

– Dés sa sortie, « Nazilet dar al akaber » a eu un beau succès auprès des critiques et des lecteurs. On en a beaucoup parlé sur Facebook, dans les journaux, à la télévision et sur les radios. Au Maroc, un Professeur universitaire a décidé de faire travailler, en Doctorat, l’un de ses thésards sur ce roman, ce qui est déjà une belle reconnaissance.  On trouve votre roman dans les meilleures librairies qui semblent bien le vendre. Un prestigieux   « Comar d’or » lui a été décerné cette année, bien que vous ne soyez pas encore très connue sur la scène littéraire. Comment, en tant qu’autrice de ce roman,  expliquez-vous ce succès que bien d’autres livres n’ont pas réussi à avoir ? Et quel effet ce succès vous fait-il ?

 -Il est curieux de constater à quel point une fiction que l’on façonne uniquement par la force de l’imagination, peut agrémenter notre propre réalité et celle des autres aussi. Dès la sortie du roman, et grâce aux réseaux sociaux, j’ai pu savourer « online » son accueil par les lecteurs. C’est une chance inouϊe que n’avaient pas connue les romanciers d’avant l’ére du virtuel. Les commentaires des lecteurs, leurs retours positifs, qui défilaient quasiment en direct devant mes yeux, me procuraient du bonheur que je ne saurais décrire. Comment expliquer le succès du roman ? je ne pourrais vous apporter de réponse. Mais à croire mes observations collectées au cours des débats littéraires au sein des groupes virtuels de lecture, il se trouve que l’idée récurrente qui expliquerait éventuellement l’engouement des lecteurs pour « Nazelt Dar Al Akaber » était vraisemblablement la crédibilité de l’univers narratif ainsi que le côté attachant des personnages. Je pense aussi que la fluidité de la narration facilitée par une langue soutenue sans pour autant être compliquée, était l’un des atouts du roman.Un bon nombre de lecteurs, et notamment de lectrices, consommateurs exclusifs de littérature écrite en Français ont déclaré, à mon grand bonheur, s’être réconcilié avec les livres écrits en arabe grâce à « Al nazila ». Etait-ce aussi un hasard que la première revue critique du roman parue dans la presse tunisienne a été rédigée en français ? Une chose est sûre, le roman a bien touché des lecteurs aux goûts différents, et c’est cela qui me touche le plus.

-Venons-en maintenant à votre roman : vous y avez raconté la vie d’une famille traditionnelle et aisée vivant à la Médina de Tunis, une famille de « Baldiya », conservatrice et hautaine. Mais vous avez construit cette histoire familiale, cette sorte de saga, autour d’un personnage absent,  Tahar Haddad, souvent objet plutôt que sujet de la narration, que vos personnages-narrateurs évoquent par intermittence. En fait qui a été pour vous, au fond,  un prétexte pour évoquer et raconter  l’autre : l’histoire de cette famille fictive que vous avez prétextée pour pouvoir rendre hommage  à ce réformateur féministe tunisien, en dénonçant le conservatisme hypocrite et le machisme de cette « Dar El Neïfer », ou, au contraire, Tahar Haddad qui est dans votre texte plus un fantôme (de lumière) qu’un personnage et que vous avez juste utilisé comme un repère de la pensée moderniste libératrice que cette famille incarnant la tradition s’appliquait à réprimer ?

 -Vous avez effectivement souligné l’essentiel. « Tahar Haddad » n’est pas le personnage principal du roman bien qu’il soit le fil d’Ariane de sa trame de fond. De même, l’histoire qu’il a pu avoir avec « Zbaïda »,  n’était en réalité qu’un prétexte narratif autour duquel s’est agencée toute l’intrigue. Je voulais raconter la Tunisie des années trente, une période effervescente et cruciale dans notre histoire nationale extrêmement riche par ses conflits politiques et culturels. Le militant et activiste  Tahar Hadded  est l’une des figures emblématiques de cette époque. En tant que femme tunisienne, je lui porte beaucoup d’affection. Toute la société tunisienne lui est redevable de son évolution vers plus de modernité et d’équité. Défenseur acharné de l’émancipation de la femme tunisienne, son essai « notre femme dans la législation et la société » était le cataclysme qui frappa la mosquée Zitouna, l’autre maison des notables implicitement présente dans le roman. À cause de ses idées avant-gardistes,  Tahar Haddad  fut démis de ses fonctions à l’association caritative et radié du barreau des notaires. Une série de malheurs s’est abattue sur lui jusqu’à ce qu’il rende l’âme à la fleur de l’âge. En 2015, quatre vingt ans après son décès, la statue commémorative érigée à sa mémoire dans sa ville natale est vandalisée par des inconnus. La symbolique du saccage est grande. La tunisie est menacée dans ses acquis et spécialement ceux réalisés au profit de la femme. J’en étais écoeurée. Une part de moi voulait rendre hommage à  Tahar haddad.  J’ai écrit des articles en son honneur dans des magazines arabes mais j’avais encore  en moi ce sentiment d’ingratitude envers mes pères dont les sacrifices m’ont tenu lieu d’éducation. Ce roman est ma manière de me racheter, de payer ma dette.

-Les événements de votre roman se déroulent à Tunis, aux années trente, à l’époque de la colonisation. On y trouve des rues et des quartiers de la Médina (Tourbet El Bey), une grande maison traditionnelle, des places publiques, des magasins, un hôpital, une administration des finances, une ruelle « secrète » pour les « vendeuses de plaisir ». Qu’avez-vous fait pour pouvoir recréer avec autant de détails, de nuances et de vraisemblance la Capitale que vous semblez connaître sur le bout du doigt comme quelqu’un qui y a vécu longtemps ?

 -J’ai effectivement vécu à la capitale pendant mes années universitaires à l’Ecole Normale Supérieure de Tunis. L’enceinte de l’école, qui faisait lieu de foyer aussi, se trouve à « El Gorjani » à deux pas de la place « Maakal ezzaϊm » et à vol d’oiseau de la Médina. À l’époque, la bibliothèque nationale que je fréquentais régulièrement, se trouvait au coeur des souks traditionnels. En m’y rendant, je ne manquais pas de contempler le prestigieux « Jamaa Zitouna » aux abords duquel se trouvaient des commerces attrayants. Souvent, accompagnée des mes camarades de classe, je m’aventurais dans les ruelles en retrait des commerces situés en amont de l’espace public fréquenté par les visiteurs des souks. J’adorais admirer le patrimoine architectural conservé soigneusement dans les façades des maisons situées dans les quartiers aristocratiques de la Médina tels que « Tourbet El Bey » (quartier de « Dar Ennaifer » dans le roman). Plusieurs endroits cités dans « Nazelt Dar Al Akaber » étaient tirés de mes souvenirs des années-Fac. D’autres, spécifiques des années trente, étaient le fruit de mes recherches sur le sujet. Ce n’est pas parce qu’on écrit une fiction qu’il faut tout inventer. Pour le reste, l’imagination se chargeait de combler les vides.

– Certains noms comme par exemple celui du sympathique pâtissier juif « Pascal », père de votre personnage « Bahia », renvoient plutôt à Sousse où on les a longtemps connus. Comment expliquez-vous le transfert de ces noms à l’univers tunisois que vous avez recréé ?

 -Étant moi-même originaire de la ville de Sousse, le premier prénom qui m’est venu à l’esprit pour nommer un pâtissier de confession juive était « Pascal » ! J’étais consciente que la référence au célébre pâtissier de « Bab Bhar » serait immédiate dans l’esprit de mes concitoyens soussiens, mais je voulais en quelque sorte qu’elle le soit. « Pascal », qui nous a quittés quelques mois après la parution du roman, faisait désormais partie de notre patrimoine immatériel à sousse. Plus d’une génération a pu déguster ses célèbres « débla » à la taille XXL. Il incarnait, par l’amour qu’il portait à son métier et par son amitié avec ses clients musulmans pour la plupart, les valeurs d’une société saine et équilibrée. Je voulais lui rendre hommage. Par ailleurs, je me suis aussi rendu compte que plusieurs de mes personnages ont puisé leurs prénoms de mon entourage. C’était complètement inconscient. Pourquoi ce  va et vient permanent entre expérience personnelle et fiction ? J’ai du mal à l’expliquer de façon exhaustive. Mais je persiste à croire, néanmoins, que l’investigation des processus inconscients qui sous-tendent la création littéraire est susceptible d’apporter un nouvel éclairage non seulement aux œuvres littéraires mais aussi au fonctionnement même du cerveau humain exalté par l’acte de faire procréer l’imaginaire.

– Vous faites preuve dans ce roman d’une grande connaissance de la vie traditionnelle, des mœurs, des coutumes, de la superstition, des rituels, de la cuisine, des proverbes et adages tunisiens dont vous utilisez plusieurs presque dans tous les chapitres et récits de votre roman, et même des paroles « magiques » spécifiques de la « rokia » (exorcisme) des femmes pour congédier le mal . Est-ce que vous devez cette grande culture populaire qui a agréablement coloré votre roman, à des lectures et à une documentation que vous avez faites avant d’écrire votre roman ?

 -La vie traditionnelle, les mœurs, les coutumes, les rites de transition, la cuisine de nos grands-mères et même les pratiques occultes ne me sont pas inconnus. Je suis née au cœur de la médina de Sousse,  à la célèbre « rue El Mar » plus précisément. Ma grand-mère, que Dieu lui accorde sa miséricorde, avait connu le divorce très jeune. Sa fille unique, ma mère, une fois mariée, ne voulait pas abandonner sa mère à la solitude dans la grande maison familiale qu’elle avait héritée de ses parents. Le hasard faisant bien les choses, mon père qui travaillait à l’époque en Allemagne, ne jugea pas bon de s’opposer au désir de sa femme. C’est comme ça que j’ai connu les charmes de la vie simple dans une maison traditionnelle à patio. Toute mon enfance a été bercée par les chants de « cheikh el Afrit », « Raoul Journou » et « Saliha ». Les proverbes que je mettais dans la bouche de mes personnages féminins font partie de mes tendres souvenirs d’enfance quand les tantes de ma mère, qui venaient toutes les après-midi rendre visite à leur sœur, se livraient à leurs conversations interminables en sirotant du thé rouge aux pignons. Bien entendu, les coutumes de Tunis des années trente ont fait l’objet de recherches méticuleuses que je menais au fur et à mesure selon les besoins de la narration. Mon but était d’être fidèle au maximum à la vie quotidienne tunisoise entre les deux guerres. En résumé, l’ambition de « Nazelt Dar Al Akaber » est semblable à celle de toute oeuvre littéraire: préserver  l’authenticité identitaire sans négliger  l’aspiration à l’universel.

– Votre roman semble devoir l’envoûtement  qu’il exerce sur le lecteur à son architecture narrative complexe et époustoufflante que vous avez su bien bâtir pour créer le suspense, impatienter le lecteur, le séduire et le tenir en haleine jusqu’à la fin du roman. Comment avez-vous conçu cette architecture où tout s’emboîte comme les « poupée russes ». Avez-vous commencé par mettre au point un plan ou un schéma de narration détaillé que vous avez suivi en rédigeant votre texte ?

 -En toute sincérité, je ne me suis fiée qu’à mon intuition. Depuis le temps que je rédigeais encore des dissertations, je n’ai jamais été capable d’élaborer un plan détaillé. Généralement, je sais par où je vais commencer et à quoi je dois aboutir. Par contre, l’itinéraire entre le début et la fin est une suite de choix qui se font progressivement d’une manière quasi automatique. Il est vrai que pour « Nazelt Dar Al Akaber », les choix relatifs à la structure textuelle ont été pris très tôt.  Dès l’incipit, j’avais en tête la charpente du récit. Je savais déjà qu’une suite de narrateurs allaient se succéder pour raconter cette nuit atroce à « Dar Ennaifer ». En revanche, l’ordre de leurs entrées sur scène, la manière dont leurs récits devaient s’emboîter, le dosage des secrets qu’ils allaient dévoiler, les digressions qui leur seraient permises en cours de route, tout ceci s’autorégulait de fil en aiguille, lentement, miette par miette.

– Vous déléguez à votre personnage principal « Hind Bent Zoubeïda Rassaâ et Mohsen Al Neîfer » la narration des événements et le recueil des récits (Ahadith) de certains personnages du roman devenus narrateurs au second degré ; et vous restez en retrait comme une espèce de « dieu caché »  (Lucien Goldman) qui tire, en fin marionnettiste, les ficelles de ses « poupées » qui sont ces personnages multiples. Pourquoi avez-vous préféré effacer votre « je » personnel et  parler de la bouche de vos personnages, en multipliant les « voix narratives » ?

 -Pourquoi utiliser sa propre voix quand on peut emprunter les voix des autres ? N’est-ce pas un privilège des dieux que de déléguer la transmission de la parole aux multiples messagers? Le romancier en fait de même. Il parle sans parler. D’ailleurs, ce qu’il y a de plus fascinant dans l’énonciation narrative c’est ce miroitement des voix, cet amalgame entre le « je » du  personnage narrateur et le « je » biographique du créateur. Dans « Nazelt Dar Al Akaber » tous les narrateurs, étant  eux-mêmes des personnages témoins du cataclysme, utilisent la première personne. La tentation est grande d’assimiler leurs voix narratives à celle de l’auteure même. Je m’étais moi-même fait piéger. En effet, à plusieurs reprises, je me suis trouvée terrassée par la douleur du narrateur qui racontait son histoire, comme si le « je » qu’il utilisait était véritablement le mien. La séquence où « Khaddouj » racontait le décès de sa mère m’avait tellement bouleversée que j’ai dû m’arrêter d’écrire pour un bon moment. De même j’ai vécu la tourmente de « Mohsen » jusqu’à en être moi-même tourmentée. Vraisemblablement, les lecteurs qui m’ont exprimé leur attachement aux personnages, ont eu eux aussi du mal à dissocier leur subjectivité et celles des narrateurs à la première personne. C’est là tout le charme de l’univers romanesque qui devient comme par enchantement un espace d’intersubjectivité.

 – D’un point de vue polyphonique, votre roman  est en interaction implicite, partiellement ou par bribes,  avec quels autres romans en arabe ou en français que vous avez déjà lus et qui vous ont fortement marquée ?

 -Beaucoup de textes m’ont fortement marquée, en arabe, en français et même en anglais. Mais de là à vous dire lesquels sont polyphones avec le roman.. je n’en sais rien. Il faudrait peut-être poser la question aux lecteurs. Et à mon humble avis, les titres de romans que vous aurez comme réponse, seront du nombre des personnes interrogées. Chacun, selon ses lectures, selon ses goûts, selon son état d’âme, trouvera certainement des interactions avec des textes, tous  plus différents les uns que les autres, et dont une bonne partie me serait  peut-être inconnue. Cela n’a rien d’étonnant, car selon les cognitivistes, l’imagination créatrice est un processus inconscient fait d’intégrations conceptuelles. L’écrivain essaie d’intégrer, d’une manière complètement inconsciente, des éléments hétérogènes issus de ses connaissances encyclopédiques. De cette intégration naît l’œuvre. Elle est à la fois tous les éléments intégrés et aucun d’eux.

 

 

 

 

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