À l’occasion de sa nouvelle grande exposition, l’artiste-peintre franco-tunisien, Marjan, à La Presse : « C’est l’être humain dans ses différentes souffrances qui me bouleverse … »
C’est avec enthousiasme et éloges que nous avons déjà présenté aux lecteurs de cette page culturelle cet artiste-peintre français de père tunisien, Marjan (43 ans), qui est en train d’abattre du chemin en France en passant avec grand succès d’une exposition à une autre et en s’imposant d’année en année comme une valeur sûre de l’art moderne (Cf- « La Presse de Tunisie », 20 novembre 2021).
Bien volontiers, nous revenons aujourd’hui à cet artiste plasticien de bonne notoriété, à l’occasion de la nouvelle grande exposition qu’il tiendra bientôt à l’espace culturel de la Cathédrale de Créteil, dans le cadre des activités de l’association « Chemin des Arts » en Val-de-Marne (94), et dont le vernissage aura lieu Samedi 9 avril 2022 (17 heures), en présence de pas moins de 600 visiteurs attendus et sous l’œil bienveillant de l’éminent commissaire d’exposition Didier Benesteau, révélateur du génie pictural de Marjan et son accompagnateur dans son parcours de lumière et d’espérance qui a commencé il y a seulement 6 ans et qui ne cesse de faire sensation en France. Certains commentateurs de son art disent qu’on sort différent de ses expositions « chargées d’une grande spiritualité » (Benesteau) et qui « donnent à contempler la grâce » (Ibid.), mais à contempler aussi une douleur enracinée en lui-même, amassée au fond de son corps et qui transparaît à travers ses formes frappantes et ses contrastantes couleurs, lui qui semble peindre souvent son vécu marqué de tous les stigmates de la tristesse de l’enfance et de l’errance ancienne ; marqué également de sa profonde empathie par rapport aux êtres blessés, aux exclus, aux révoltés et aux SDF (Sans Domicile Fixe) perdus dans les gares, les stations de métro et les rues de la Métropole à la solitude immense et à l’indifférence mortelle, et dont il est naturellement solidaire. Dans son âme, il semble avoir hérité quelque chose à la fois de Jean Genêt et de Van Gogh.
Issu d’un couple mixte douloureusement brisé, Mounir Marjan Amara a beaucoup compté, lors de son enfance pénible dans une banlieue « agressive », sur le football, la foi religieuse, la lecture, l’écriture et enfin la peinture pour se préserver de l’irrésistible tentation de délinquance, quand, longtemps, il marchait, tel un funambule, sur la corde fragile tendue entre le menaçant destin de délinquant auquel il échappait miraculeusement, et une brillante et bien prometteuse vie d’artiste de haut niveau ayant aujourd’hui à son actif une œuvre picturale singulière jugée « unique et inclassable », par le grand commissaire des expositions Didier Benesteau. Trois de ses toiles sont déjà acquise par le prestigieux musée de Laval, au pays de la Loire, en France, où il a exposé sa collection personnelle en décembre 2018. L’une de ses premières œuvres a été mise en vente, en octobre dernier, sur la plus grande place de ventes aux enchères publiques, à l’hôtel Drouot, au cœur de Paris.
En attendant que les instances culturelles tunisiennes ou françaises l’invite à exposer son œuvre d’exception dans nos galeries de Tunis, de Sidi Bou Saïd, de Sousse ou de Sfax ou de Hammamet ou de Tabarka, voici l’entretien qu’il nous a accordé.
La Directrice du Musée d’Art Naîf et d’Arts Singuliers (Manas), de Laval, Antoinette Le Father, écrit dans la préface du livre comprenant les photos des toiles de votre première grande exposition dans ce Musée, que votre univers pictural « rappelle que l’art peut-être un exutoire à la souffrance ». Et que dîtes-vous, vous-même, cette fois-ci, de votre nouvelle exposition venue quelques mois après votre exposition très réussie à la célèbre librairie parisienne « La Lucarne des écrivains » ?
Cette exposition révèlera davantage l’enfance du peintre Marjan qui fut difficile à beaucoup d’égards. Mais sous la réalité familiale très complexe, je révèlerai, à travers mes tableaux, la dimension psychique et spirituelle qui m’a habité, nourri, instruit et aimé comme peu d’enfants ont pu l’être ! L’extase a été le lieu qui m’a isolé et préservé du monde extérieur !
Dans « l’histoire de Marjan » que vous avez écrite en 2020, vous évoquez votre père tunisien. Je voudrais vous laisser ici parler par vous-même du souvenir que vous avez de ce père qui s’est séparé de votre mère française.
Sur la période vécue avec mon père, ma mère s’interdit de condamner un homme à ce qu’il a été pendant un temps. Elle croit intensément au principe de miséricorde et s’accroche à l’idée qu’un individu peut toujours se racheter du mal qu’il a fait jaillir sur d’autres ! Personne ne sort de ce monde sans avoir commis d’erreurs, alors, il est du devoir de chacun de laisser la vie se poursuivre et changer les cœurs endurcis pour qu’ils puissent s’améliorer !
Mon père est tunisien et ma mère française. Mes parents ont divorcé lorsque j’avais 4 ans.Il ne me reste que quelques bribes de souvenirs de cette époque bien sombre,sous la forme d’images et d’émotions. Le sentiment de peur a dominé cette période tandis que les images dans mon esprit semblent incohérentes à raconter.
Vous avez passé une grande part de votre enfance et de votre première jeunesse dans une banlieue « agressive » (pour employer votre expression). Quelles traces sont-elles restées dans votre mémoire ? Les enfants tristes qu’on trouve dans vos toiles renvoient-ils à cet univers banlieusard difficile pour vous ?
Je suis né à Angers dans le Maine et Loire. Ma mère est venue vivre dans une banlieue parisienne alors que j’avais 8 ans. Ce fut très déstabilisant pour nous qui venions d’une petite ville de province. Très centrés sur notre vie familiale auprès de notre mère qui peinait à nous faire vivre, l’environnement de notre quartier n’a pas eu trop d’influences sur notre manière de penser ou sur notre comportement. Bien sûr, enfant, j’ai connu le football dans les halls délabrés, les bagarres, les relations de pouvoir entre jeunes, les dialectes des cités, etc. Mais à la préadolescence,l’heure où nous commençons à avoir nos propres pensées, mon être s’est isolé et s’est tourné vers sa propre vie intérieure. Certainement par un grand besoin affectif et de sécurité. Mes peintures ne font pas écho à un milieu géographique particulier. D’où qu’il vient, c’est l’être humain dans ses différentes souffrances qui me bouleverse.
Il y a beaucoup de regards tristes dans des visages marqués de misère et de solitude sur des fonds de couleurs plutôt vivants et gais qui renvoient à la vie. Auriez-vous une explication à ce paradoxe apparent ?
Devenir peintre, ce n’est pas inventer un esthétisme ou une écriture que l’on choisit. C’est la découvrir ! Le petit garçon que j’ai été a trouvé dans sa vie psychique un espace de lumière et de paix qui transfigurait sa vision du monde et des gens. Il a été mon refuge sacré. Il m’a préservé de moi-même. C’est-à-dire, de certain manque affectif tout en devenant un lieu d’instruction et de science. Je me suis développé dans ce rapport avec cette dimension abyssale que j’ai découverte très tôt dans mes profondeurs. Mes couleurs sont fauves et lumineuses tandis que bien souvent les scènes et les personnages y sont désemparés. C’est bien là, l’expression de ma vérité : je porte mes propres ténèbres ainsi que les êtres en souffrance, dans une lumière spirituelle qui est ma cellule intime ! Ma peinture exprime très bien cette réalité qui est la mienne !
Rien ne vous préparait vraiment à être l’artiste plasticien de haut niveau que vous êtes aujourd’hui. Comment en fait êtes-vous venu à la peinture après une enfance plutôt malheureuse et instable et une première jeunesse non moins pénible ?
Très jeune comme je vous le disais plus haut, une présence intérieure a pris soin de moi. Elle m’a tellement aimé et m’a fait gouter à des joies si merveilleuses que je ne peux décrire ici, que tout mon être depuis lors a vécu sous son aile et ses inspirations. Les livres ont été mon refuge. C’est dans les livres et la réflexion que j’entretenais le lien avec le sacré que j’avais découvert en moi. Le livre d’ailleurs n’était souvent qu’un prétexte pour me remplir d’amour et de méditations ! Adolescent, je quittais très souvent ma banlieue, pour aller au musée rencontrer cette présence invisible qui émanait des toiles et me laissait ivre d’amour ! C’est à travers les peintures ou les sculptures que j’entrais dans des états extatiques qui me remplissaient d’un amour inconnu, mais dont je ne pouvais plus me passer. La lecture, l’écriture ou la peinture en soi ne représentent pas grand-chose pour moi s’ils ne deviennent pas le véhicule où je peux entrer en contact avec l’extase ou l’envolée ! Cet état particulier est ma boussole. Lorsque j’ai commencé à peindre, j’ai poursuivi car la peinture était aussi devenue un lieu où mon être pouvait communier avec cette grandeur invisible qui irradiait en moi.
Vous avez été soudain révélé au grand public et aux grands amateurs d’art en France, au moment-même où vous y attendiez le moins. Qui était derrière cette révélation et cet accueil exceptionnel que le public vous a réservé ?
Mes premières peintures, je les ai postés sur internet pour une somme modique et symbolique ; l’important était qu’une personne y aurait pu voir et y lire ce que je ne pouvais dire autrement. Elles trouvèrent leur acquéreur quelques heures après. Je continuai ainsi à m’exprimer chaque jour et sans le savoir, à me rapprocher de ma propre écriture qui est inscrite en moi ! – comme en chacun de nous. Alexis Péron, ancien administrateur du musée du LAM, fut la première personne à acquérir une de mes œuvres.D’échange en échange, une amitié naissait. Son affection me faisait beaucoup de bien et m’encourageait à continuer dans cette voie. Puis le réalisateur de films d’artistes Patrice Velut qui m’achetait des œuvres sur internet me contacta un jour pour réaliser un film sur mon univers pictural. Quelques semaines plus tard, le film Marjan la lucarne était né ! Ce court métrage fut sélectionné au marché international des films d’artistes contemporains (MIFAC). Un grand commissaire d’exposition, M. Didier Benesteau qui expose d’ailleurs pour la première fois sa collection personnelle au musée de Laval au mois de décembre de cette année, me prit sous son aile et une relation presque filiale naquit entre nous. C’est à travers lui que je découvris le vaste monde de l’art ! Il m’emmenait partout avec lui vivre des vernissages ou des évènements extraordinaires. Il organisa ma première exposition en décembre 2018 qui fut un grand succès et une rencontre très marquante avec le public. Et ainsi se fit les prémisses de ma vie de peintre. Mais toujours, l’écho de mon monde invisible résonneen moi et me porte sur cette voie où je me réalise !
Il est bien clair que Didier Benesteau était décisif dans votre révélation au grand public comme peintre, pourriez nous parler davantage de ce grand commissaire d’exposition ?
J’ai rencontré Didier Benesteau pour la première fois en novembre 2017. Nous avions discuté autéléphone quelques jours auparavant et je restai profondément troublé devant les mots qu’il prononça sur l’objet de mes peintures. Un être avait enfin compris ce que je ne pouvais direautrement qu’avec mes pinceaux ! Une affection et une confiance naturelles naquirent entre nous. Il m’accueilla dans sa vie et m’initia si je puis dire à l’art et son vaste monde ! A travers de nombreux vernissages et d’événements artistiques je m’éveillai à cet univers nouveau qui me fit mûrir d’une manière incroyable ! Je voyais cet homme travailler et porter de l’intérêt autant aux personnes aisées qu’aux plus pauvres. Un jour je le voyais entourer d’une foule de personnes dans des lieux splendides et le jour suivant il donnait son temps et son regard à un être seul, fragile, dépouillé de beaucoup de choses essentielles comme à sa petite jacquotte. Sa relation à la vie et à l’art ne peuvent être appréhendé chez cet homme que dans sa dimension spirituelle. Sous son sourire juvénile et son allure nonchalant il y a un être du silence, de la pensée profonde, de l’introspection, del’autocritique. Nous nous sommes rencontrés dans cette quête spirituelle qui a scellé un lien très particulier entre nous. Être auprès des plus pauvres, des êtres inadaptés ou souffrants est une aspiration quotidienne que nous partageons ! Je n’ai pas été élevé avec mon père et Didier n’a pas eu d’enfant. Je crois qu’à certain moment de nos vies, l’un et l’autre projetons nos manques, malgré nous, l’un sur l’autre. La première voiture que j’ai eu dans ma vie c’est Didier qui me l’a offerte. Il y a tout un symbole là-dedans ! Tour au long de l’année, il me conseille sur la manière de conduire mon œuvre et les pièges à éviter ! Il veille à ce que cette œuvre garde sa dimension spirituelle et authentique ! Pour cela il s’intéresse à mon âme, à la garder détachée des aspirations mondaines et d’un univers marchand qui pourrait la ternir et lui ôter son obole . Le regard qu’il porte sur l’art je le comprends intuitivement ! Comme si je ressentais sa quête dans la mienne. Ses scénographies font naître l’envie à chacun d’entre nous de devenir meilleur, plus proche du beau, du vrai et du bien.
« Être peintre, c’est vivre dans une intensité émotionnelle que l’on ne soupçonne que très rarement ! Je me suis toujours senti un peu moine au fond de moi (…) c’est souvent par l’intermédiaire de mes pinceaux que je rentre dans ma propre cellule !… ». Voilà ce que vous écrivez dans votre journal personnel. Quel rapport a la prière avec votre création picturale ?
J’ai reconnu dans l’acte de peindre, le même état qui m’avait transcendé dans la prière et plus exactement l’oraison. Mon âme, pendant ces instants particuliers entre dans un état de réceptivité où elle est traversée par des harmonies nouvelles. Une intensité émotionnelle plus prononcée suscite dans mon esprit des images vivantes qui sont de plus en plus nettes au fur et à mesure que l’œuvre prend forme.
Comment votre œuvre picturale voit-elle le jour, est-ce d’abord dans votre imagination et intégralement avant la mise en formes et en couleurs, ou est-ce sous votre pinceau, progressivement, et en vous surprenant vous-même ?
Quelques heures ou quelques instants avant de prendre le pinceau, je scrute les mouvements de mon être et l’atmosphère dominante qui y règne ! J’appelle sans le savoir l’inspiration qui saura me féconder ! C’est alors que dans un élan spontané et plein d’urgence, je prends mon pinceau et je commence à peindre en fonction du sentiment qui m’habite ! Tout va très vite. Je suis un rythme ou une cadence qui est devenue mienne. Les mouvements de mon pinceau vont en rapport avec ce que je poursuis à l’intérieur de moi. Je ne prémédite jamais une peinture et je ne sais pas non plus où je vais. Je m’identifie à une harmonie qui me transcende,dans un grand lâcher prise mais porté par ma foi. Une fois l’œuvre achevée je suis souvent surpris par l’esthétisme et parfois même émerveillé de sa finalité que je doute d’en être l’auteur !
Vous avez écrit dans vos mémoires : « « Soit je trouvais ma voie dans ce qui ne pouvait que faire parti de ma vie : écrire ! – Soit je pouvais mourir. Car je ne pourrais jamais vivre et m’adapter au monde en étant une autre personne ». Comment expliquez-vous ce rapport viscéral, existentiel, à l’écriture, et comment se fait-il que la peinture vienne soudain prendre dans votre vie bien plus de place que l’écriture que vous croyiez être votre destin ?
Ce que je souligne ici, c’est la différence que je ressentais entre le monde extérieur où j’évoluai et ce que je devenais moi-même, transformé par une vie psychique qui était intense, urgente et qui m’absorbait continuellement dans ses charmes et son amour. Mes aspirations peu communes et peu comprises autour de moi créaient une solitude nouvelle. L’écriture qui devenait un ciel sacré ne pouvait être que mon seul chemin car c’est à travers elle que je retrouvais la clé de mon monde spirituel. Plus tard, lorsque j’ai commencé à prendre le pinceau,je n’imaginais pas qu’à travers la peinture, cette présence spirituelle s’y trouverait. L’amour ressenti alors est si fort et si viscéral que je ne pouvais que poursuivre sur cette route. En définitif, ce n’est pas le support qui importe le plus, c’est ce qui le traverse ! Écrire, peindre ou prier c’est une même chose pour moi ! Une même aspiration !
Votre mère française est une grande Dame au combat singulier qui a été essentielle dans la vie qui vous a conduit vers la peinture. Que voudriez-vous dire d’elle à la fin de cet entretien ?
Ma mère est une femme dont l’attention et la tendresse vont toujours aux plus nécessiteux ou à ceux qui vivent en situation difficile ! C’est à son contact certainement que ma personne s’est éveillée à voir dans la société ou je vis, l’être frappé de solitude ou submergé par une souffrance qui lui appartient ! Elle a passé sa vie auprès des étrangers clandestins. Elle les a nourris, accompagnés, aimés, soutenus jusqu’à les défendre jusqu’au-bout devant les tribunaux ! Elle aime l’étranger et aime le sentir dans sa vie quotidienne. C’est auprès d’une mère qui m’a fait vivre toutes ses aventures humanistes que j’ai grandi. Elle m’a communiqué la beauté qu’il y a dans chaque peuple, dans chaque culture et surtout dans chaque être qui doit être regardé d’une manière unique sans être comparé ! Comprendre l’autre, le porter dans sa tendresse, le faire exister en écoutant son histoire et son parcours, c’est ainsi que j’ai grandi.
Bonne chance !
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