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Révision de l’accord de libre-échange entre la Tunisie et la Turquie : Protectionnisme et ouverture, l’équilibre difficile

Le dossier épineux a été ouvert de nouveau. Les échanges commerciaux entre la Tunisie et la Turquie dérangent et pour cause ! Les importations turques inondent le marché tunisien et sont de l’ordre, pour une majeure partie, du superflu. Dans le sens inverse, les exportations tunisiennes vers ce pays se font plutôt rares. Réduire le déficit commercial qui nuit considérablement à la balance commerciale et contribue à la baisse des réserves en devises est devenu, pratiquement, une demande urgente des professionnels, voire une exigence populaire. Décryptage.

Le dernier rebondissement remonte à seulement quelques jours. Lors d’une conférence de presse tenue samedi dernier, Lazhar Benour, Directeur général de la Coopération économique et commerciale au ministère du Commerce, a confirmé que l’État tunisien procèdera à la révision de l’accord de libre-échange avec la Turquie. Cette démarche tend à réduire le déficit commercial ainsi qu’à renforcer la coopération commerciale avec les investisseurs turcs.

D’ailleurs, à cet égard, on rappelle que La Presse avait annoncé en exclusivité cette information depuis août 2021. Le ministère expliquait alors que cette décision a été prise dans l’objectif de protéger la production nationale. Deux ans après, les choses n’ont pas beaucoup évolué. Et, à l’heure qu’il est, nous nous contentons de parler de révision de cet accord qui fait l’objet, il est vrai, de surenchère populaire.

Selon nos informations, certains produits seront exclus du régime privilégié conformément à cet accord entré en vigueur depuis 2004. Il s’agit de produits similaires fabriqués sur le marché local et des industries en difficulté à cause de l’intensification des importations turques, notamment le textile. Il sera question, également, d’imposer des taxes protectionnistes à certains produits turcs pour fournir des ressources supplémentaires au Trésor public. Dans ce programme, il est prévu de mettre en place une plateforme d’enregistrement des exportateurs étrangers, dont  les exportateurs turcs, autorisés à exporter leurs produits vers le marché tunisien. 

Le rôle des négociateurs

Entre les effets d’annonce et la réalité, beaucoup de temps est passé. Qu’est-ce qui retarde la mise en place de ces nouvelles mesures ? Avant tout, il faut savoir que la révision des accords de libre-échange s’avère une opération périlleuse et très complexe au vu des réglementations de l’Organisation internationale du Commerce (OMC). De plus, la question relève autant de la diplomatie que du commerce. D’ailleurs, le processus de révision, d’autant qu’on ne peut pas parler d’annulation à ce niveau, sera lancé par les services du ministère des Affaires étrangères. Le département du commerce, lui, veillera au respect des procédures techniques afin d’éviter certains pièges lourdement sanctionnés par l’OMC, apprend-on. Le processus risque donc de durer dans le temps. 

Dans ce contexte, l’expert économique Wajdi Ben Rejeb, contacté par La Presse, assure que les négociateurs constituent la pierre angulaire de ces procédures et le premier gage de leur succès. Ils doivent être « compétents et indépendants ». « Le rôle des négociateurs est, en quelque sorte, celui de la diplomatie économique. Pour ce faire, ils doivent avoir en main des arguments solides et plusieurs cartes à jouer. Ils doivent ainsi annoncer soit la révision, soit l’annulation de l’accord en vigueur », explique encore l’universitaire.

Une des cartes à jouer par les négociateurs tunisiens est celle de la concurrence déloyale. Car, rappelons-le, le dossier de cette éventuelle révision doit avant tout convaincre les services de l’OMC, car la Tunisie ne peut l’appliquer de manière unilatérale.

 Les chiffres du commerce extérieur de la Tunisie publiés par les instances gouvernementales, comme le ministère du Commerce et l’Institut national de la statistique, manquent de précision quant aux détails relatifs aux échanges de produits avec chaque pays.

Cependant, de nombreuses bases de données internationales accréditées présentent des indicateurs fiables. Selon le code article international (Gtin) des produits, la Tunisie importe de la Turquie, en particulier, des produits textile/habillement, des équipements manufacturés et divers produits de consommation. Alors que les exportations tunisiennes vers la Turquie, selon les mêmes données, sont principalement les engrais et les produits chimiques.

Il faut, également, rappeler que cette situation n’est pas nouvelle, d’autant que les indicateurs de l’INS de l’année 2022 ont montré que la valeur des importations tunisiennes provenant de la Turquie a atteint plus de 5 milliards de dinars, alors que les exportations tunisiennes vers ce pays n’ont pas dépassé 1 milliard de dinars. Sans oublier l’attractivité  touristique qu’exerce la Turquie sur les Tunisiens, à juste titre d’ailleurs. Or, un grand nombre de ces supposés touristes tunisiens sont en réalité des commerçants professionnels ou à la valise. Et inondent, depuis de très longues années, le marché tunisien par leurs «  emplettes ».

Vers une économie protectionniste ? 

De même, les importations turques ne répondent pas généralement aux normes industrielles tunisiennes. Sans parler du comportement de nombreux industriels turcs qui trafiquent délibérément l’origine des produits exportés vers la Tunisie, le fameux «Made in China» est remplacé par «Made in Turkey», et qui, de plus, sont des produits de mauvaise qualité, dans la plupart des cas.

En tout état de cause, le déficit commercial s’est allégé, à fin juillet 2023, pour s’établir à -10.228,3 MD contre -13.723,5 MD au cours  des sept premiers mois de l’année 2022. Selon l’INS, le déficit est lié aux échanges commerciaux avec des pays, tels que la Chine (-4.774,8 MD), la Russie (-3.658,1 MD), l’Algérie (-2.481,4 MD), la Turquie (-1.729,1 MD), l’Ukraine (- 813,3 MD), l’Egypte (-573,2 MD) et la Grèce (- 363,8 MD).

Il est également nécessaire de rappeler, à cet égard, que suite à l’appel  lancé par le Président de la République, fin 2022, pour restreindre certaines importations dans cette conjoncture économique et financière difficile, le ministère du Commerce a procédé à une mesure imposant un contrôle préalable de certaines opérations d’importation. Une décision qui a fait polémique et qui a même suscité des réactions étrangères, notamment de la part du premier partenaire économique de la Tunisie, l’Union européenne. Certains ont même prédit un passage à une économie protectionniste à gros risques, même si l’intention était de protéger la production nationale. Un équilibre  difficile à maintenir.

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