Rencontre avec Mona Belhaj, auteure de «J’ai peur d’oublier» : Ecrire contre l’oubli
Cette semaine, nous rencontrons Mona Belhaj pour son livre «J’ai Peur d’Oublier», paru chez Contrastes/Editions. L’auteure est bien connue du public tunisien pour ses émissions radiophoniques sur Rtci et ses articles de presse dans les colonnes de notre journal, après avoir collaboré à Tunis-Hebdo et à Dialogue. Entre-temps, elle a eu des expériences théâtrales avec Taoufik Jebali dans «Klem Ellil» et «Présent Par Procuration». Depuis les années 2000, Mona entre dans le monde de la gravure et sculpture sur bois sans jamais quitter l’écriture. On la retrouve aujourd’hui pour parler de son livre qu’elle a adapté elle-même pour le théâtre.
Vous venez de publier «Nkhaf La Nensa», un livre écrit en tunisien. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ?
On ne choisit pas d’écrire, on écrit, voilà tout. Pour moi, c’est une longue habitude, une manière de faire le point, de fixer une idée, une rencontre, un événement particulier. Pendant longtemps, c’est en français que je jetais ces notes. L’origine de mon écriture en tunisien, c’est ma participation à un atelier organisé à El Teatro par Zeyneb Farhat. Je me suis aperçue que je pouvais transmettre des émotions et qu’elles étaient reçues. À partir de ce moment, encouragée par Zeyneb, je me suis mise à écrire, comme si les mots tout d’un coup s’étaient illuminés. Ils disaient d’autres choses, ouvraient des voies d’introspection, installaient des échos, levaient en moi des réminiscences, dévoilaient des scènes du passé jusque-là oubliées. Et puis il y a eu la «révolution».
J’ai participé à la manifestation du théâtre court où plusieurs artistes étaient invités par Zeyneb Farhat à occuper la scène pendant une dizaine de minutes. C’est là que j’ai dit mon texte sur les blessés et martyrs de la révolution.
Qu’avez-vous peur d’oublier ?
Nous avons tous vécu des moments troubles où des voix se sont élevées pour rejeter toute forme d’art et imposer une vision nouvelle allant jusqu’à mettre en doute l’identité tunisienne, en proposant leur propre lecture de notre histoire.
Cette menace sur notre identité m’a placée dans une sorte d’urgence qui m’a poussée à fixer par l’écriture une mémoire qui se dressait devant moi pour exiger son dû. À travers ces souvenirs personnels, je voulais réveiller la mémoire collective en évoquant des personnages pris dans leur quotidien, loin de toute considération politique ou historique avec un grand «H».
Pourquoi le choix de la langue tunisienne ?
Pour moi, c’était évident. Je ne m’adresse qu’aux Tunisiens. Sciemment je n’ai pas utilisé le langage de tous les jours.
Car j’ai voulu rendre hommage à tous ces mots qui portent notre histoire et dont certains trouvent racine dans un passé millénaire. Je dois ajouter que, tout au long de la rédaction de ce texte, je suis tombée sous le charme : chacun de nos mots était à lui seul d’une grande poésie.
Nos expressions nous racontent. Elles sont la preuve de notre particularité. Ce sont elles qui m’ont dicté la forme poétique du récit. Notre langue est aussi notre identité. Elle évolue, épouse le présent et, dynamique, elle va vers l’avenir.
Est-ce que vous évoquez une expérience personnelle ?
On part toujours de soi, mais on ne se raconte pas forcément. Il s’agit d’un récit poétique. La narratrice qui vit les événements que traverse son pays a été atteinte par la remise en question de l’identité prônée violemment par certains. Cela l’a fragilisée au point de tomber dans une sorte de délire, qui lui a fait croire que le passé, en effet, pouvait être effacé. Une nuit, elle a vu en songe une grand-mère venue d’un passé lointain qui s’est dressée devant elle, le regard lourd de reproches.
Pour la narratrice c’était comme un signal qui lui donnait mauvaise conscience : cette sévérité d’Ommi Nana lui intimait l’ordre de ne pas oublier. C’est alors que des personnages sont venus répondre à sa quête. À travers eux, différents lieux et différentes époques étaient revisités.
Ainsi, l’écriture lui permettait de voyager dans le temps et de faire revivre des ambiances et des destins. Reprenant ses esprits, elle sait désormais qu’elle a accédé à l’impossible oubli. L’amour de son pays l’habite depuis toujours et ne saurait mourir en elle…
Pour ma part, je précise que tous les visages évoqués ont réellement existé. Ils ne font pas partie de la grande Histoire et sont donc en principe voués à l’oubli. En accédant au statut de personnages ils entrent dans l’immortalité. C’est ma façon de conjurer l’oubli. Je crois en la force de la littérature.
Pourquoi cette nécessité d’en faire une création théâtrale, alors ?
J’ai eu le plaisir et la chance de connaître des expériences théâtrales à El Teatro avec Taoufik Jebali. J’avais aimé le souffle du public.
C’est pourquoi a germé dans mon esprit l’idée de faire une adaptation de mon texte. Sur scène, j’ai présenté le monodrame du même titre : «J’ai Peur D’Oublier». J’avais envie de faire entendre les mots et les musiques qui accompagnent les personnages. Et de les faire vivre sous les yeux des spectateurs.
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