Culture

La poète et comédienne française Aline Recoura à «La Presse» : «La poésie, c’est aussi vivre ensemble autour des mots et des maux…»

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À Paris, au mois de mars dernier, nous avons eu plaisir à rencontrer la poète, comédienne et professeur des écoles, Aline Recoura, qui, outre l’enseignement, la revue «Cabaret» qu’elle codirige avec Alain Crozier et la poésie qu’elle écrit chaque jour et parvient à publier chez de bons éditeurs et dans des revues et des anthologies, anime des ateliers d’écriture et des ateliers «philo-art» avec l’association «Les petites lumières» dont les activités s’adressent aux enfants et adolescents qu’elle initie à l’écriture, à l’art et à la réflexion.

Aline Recoura est d’abord ce regard bleu-ciel, presque transparent, qui vous surprend soudain pour vous réconcilier, à votre insu, avec l’innocence, la bonté et la simplicité. Elle est ensuite cette voix frêle, douce et chantante qui vous rappellerait celles des petites filles dans les écoles primaires ou dans les centres aérés. On n’a pas besoin de bien la connaître pour saisir tout de suite sa poétique beauté intérieure. Celle qui l’a destinée depuis l’adolescence à être poète, à rêver et à faire rêver par les mots de la langue qui meublent ses livres ou qu’elle déclame, en comédienne passionnée, sur la scène.

Des recueils de poèmes, elle en a publiés maintenant plusieurs : «Banlieue Ville» que nous avons déjà présenté dans ce journal (19/ 02/2022, p. 7), «Cardio poèmes», «La cloche a sonné», «Scènes d’école», «Pichenette dans les mots» et «Familles sur table» qu’elle a coécrit avec Virginie Séba.  Son livre «Des jours et des bleus» (2022), bleus du rêve par-dessus la médiocrité des jours banlieusards monocordes, bleus sur la peau et «bleus à l’âme» (Sagan), qui a obtenu le prix littéraire «Maram Al-Masri», est une belle traversée à la fois douloureuse et rieuse de la vie d’une mère qui s’émerveille, s’interroge et apprend à mûrir en regardant grandir son enfant.

À Paris, au mois de mars dernier, nous avons eu plaisir à rencontrer cette poète, comédienne et professeur des écoles qui, outre l’enseignement, la revue «Cabaret» qu’elle codirige avec Alain Crozier et la poésie qu’elle écrit chaque jour et parvient à publier chez de bons éditeurs et dans des revues et des anthologies,  anime des ateliers d’écriture et des ateliers «philo-art» avec l’association «Les petites lumières» dont les activités s’adressent aux enfants et adolescents qu’elle initie à l’écriture, à l’art et à la réflexion.  Interview.

«J’entends courir les mots dans ma tête…». Voilà ce que vous écrivez dans l’un des poèmes de votre recueil «Banlieue Ville». Ce vers peut-il signifier que votre poésie vous est dictée par une espèce de Muse et qu’elle n’est pas le fruit de votre propre travail sur la langue, votre «artisanat» ou votre atelier personnel de création ?

Quand j’écris cela, je veux dire que le poème s’écrit et se cherche dans ma tête, il y a aussi le rythme et les mots que je vois s’écrire, mais c’est moi qui réfléchis ! Ensuite, j’écris sur un carnet. Ou sur mon téléphone. Et si je n’ai ni l’un ni l’autre, j’essaie de mémoriser, au moins les étapes du poème. Et si je ne m’en souviens plus c’est que ce n’était pas important. Je peux passer beaucoup de temps à trouver les liens, les articulations à l’intérieur d’un poème.

Il y a beaucoup de souffrance dans vos recueils, mais de l’ironie et de la légèreté aussi ? Y aurait-il quelque part en vous-même une blessure qui motive votre acte d’écriture et que vous cherchez à cacher par pudeur derrière l’ironie, la légèreté et la poésie-même ?

Très tôt, j’ai écrit dans mes carnets à ma façon. Vers 16 ans, une forme poétique est venue et l’envie d’écrire des histoires. Je n’étais pas une bonne élève à l’école primaire, longtemps j’ai eu des difficultés en grammaire et orthographe mais j’ai toujours lu beaucoup et écrit. Ce qui m’a permis de faire une maîtrise de Lettres modernes sur l’auteur Charles Ferdinand Ramuz. Ensuite, j’ai été libraire quelques années, mais je me suis sentie trop dirigée alors j’ai fait une remise à niveau en mathématiques et avec le Cned j’ai préparé le concours de professeure des écoles. J’enseigne depuis 20 ans.

Je suis dans une période où j’ai besoin de prendre l’air, de réfléchir et voir d’autres paysages. C’est vrai que j’ai facilement recours à l’autodérision, l’ironie ou la légèreté, sûrement, est-ce une façon de mettre de la distance et de permettre aux lecteurs de souffler. Oui, la poésie me permet de dire beaucoup de ce qui me touche, et en même temps je me sens protégée dans sa forme.

Quelques fois, on a le sentiment que votre poésie est très attachée à votre propre vécu au quotidien. Cela est-il vrai ? La poésie serait-elle pour vous une respiration, une compensation de la médiocrité quotidienne ou une façon de triompher de la réalité ?

Effectivement, chaque jour j’écris un poème, à ma façon, à partir de ce qui m’a touchée, de ce que j’ai vécu, pensé, des liens entre différents moments que j’ai envie d’écrire. C’est une respiration, un jeu, un tri de sensations et l’envie d’écrire des petites histoires. Transformer le quotidien en petites histoires.

En composant les poèmes de «Banlieue Ville», avez-vous cherché aussi à rendre hommage à la banlieue qui occupe en France une importance première dans le paysage urbain ?

Oui, à tous les quartiers populaires dont trop souvent sont sous-estimées les ressources, les qualités et les richesses.

Dans «Des jours et des bleus» qui raconte par des vers la pénible vie conjugale d’une maman aux prises avec son destin, avez-vous joué, dans le titre de ce livre, sur le flou des connotations greffées sur «Bleu», le rêve ou les marques bleues sur la peau ?

Oui, les bleus, de nos yeux à mon fils et moi, le bonheur et la légèreté puis les bleus, les coups : verbaux et physiques. Et les pieds de nez de la vie. «Des jours et des bleus» est une traversée. Il débute à la naissance d’un enfant puis se termine aux 14 ans de l’enfant. Finalement, il y a peu de vie conjugale. Il y est question d’une femme assez solitaire et de son fils qui grandit, qu’elle regarde grandir. Elle se questionne, travaille et parfois s’émerveille ou prend avec humour les fantaisies et les fantômes de la vie. C’est aussi l’histoire d’une femme qui ne sait pas trop comment grandir mais elle essaie.

Dans votre recueil «Scènes d’école», c’est l’institutrice que vous êtes qui prend la parole. Avez-vous cherché à critiquer ici le système scolaire qui reste défaillant à vos yeux ?

Dans cet ensemble, c’est plutôt un désir de partager tout ce quotidien d’une école maternelle et aussi de parler des enfants en poésie. J’ai mis du temps à trouver comment parler de l’école en poésie. En revanche, dans l’autre ensemble «La Cloche a sonné», j’y exprime ma colère et mes regrets d’un système scolaire reproduisant, voire produisant, des inégalités et qui répond de moins en moins à mes valeurs. J’ai envie de dire «Je n’ai pas signé pour ça» (rires).

Quand on lit votre poésie, on a le sentiment qu’elle est particulièrement influencée par «Paroles» de Jacques Prévert. Qu’en pensez-vous ?

Vous n’êtes pas le premier à me le dire ! J’ai connu Jacques Prévert à l’école. Puis je l’ai lu plus «sérieusement» après la sortie de «Banlieue Ville», car l’éditeur aussi voyait cette influence dans mes poèmes. C’est un compliment.

Des poètes comme Valérie Rouzeau, Maram Al-Masri, puis François de Cornière ou encore Raymond Carver m’ont aussi beaucoup apporté.

Votre poésie privilégie le vers court. Qu’est-ce qui motive ce choix:  la facilité ou un besoin chez vous de produire un rythme vif et rapide semblable au rythme des vies banlieusarde et parisienne que vous racontez ?

Je crois que c’est l’envie, le défi, de coller à ma pensée et au mouvement. C’est aussi le défi de peu de mots et de dire un maximum, une concision pour éviter l’accumulation de mots ou au bout d’un moment le lecteur ne saisit plus rien. Je ne m’ennuie jamais quand j’écris, il y a une tension entre ce qui bouillonne, ce qui est presque prêt à être dit et comment l’écrire pour qu’il y ait une émotion qui passe.

La figure répétitive est fort présente dans votre poésie sous toutes ses formes (anaphore, épiphore, anadiplose, épizeuxe, hypozeuxe, allitération, assonance, etc.). Dans votre livre «Banlieue Ville» et dans votre recueil «Des jours et des bleus», cette répétition très forte et très marquante aurait-elle quelque rapport avec le sentiment d’un éternel retour du même, un retour cyclique et monotone dans la vie banlieusarde ou la vie conjugale peu réussie que vous évoquez dans ces deux livres ?

Oui et aussi parce que j’aime sa musique.

On remarque l’absence quasi-totale de la ponctuation dans chacun de vos trois recueils «Banlieue Ville», «Des jours et des bleus» et «Scènes d’école». Est-ce que cela est un fait fortuit, sans importance, ou un fait significatif ?

Effectivement, j’ai toujours l’impression en poésie que la ponctuation n’ajoute pas grand-chose et qu’elle parasite la lecture, presque comme des anomalies.

Vous avez choisi l’artiste plasticien franco-tunisien pour illustrer votre livre «Banlieue Ville», puis l’artiste-peintre Eva Dalmat pour illustrer «Des jours et des bleus». Quel est l’apport de ces peintres à votre poésie ?

Je les ai rencontrés tous les deux avant l’édition des livres. C’était une évidence. Marjan peint l’enfance et ses blessures, tout en y associant couleurs et naïveté. Eva peint la féminité et ses souffrances en y associant des techniques variées (pochoirs, aquarelles, peintures…). J’ai été honorée qu’ils acceptent tous les deux cette aventure du livre.

Deux de vos recueils sont publiés chez le brillant éditeur et libraire parisien «La lucarne des écrivains» dont les livres sont beaux, mais souvent lourds, parce que faits de papier au lourd grammage. Pourquoi cet éditeur vous serait-il préférable à d’autres éditeurs français de la poésie ?

J’ai rencontré cet éditeur en 2019, il est le premier à qui j’ai confié un manuscrit. Il était intéressé par des poèmes sur la ville. Ensuite, nous avons relu et travaillé pendant le confinement. Il m’a orientée et appris beaucoup. J’ai appris à construire un ensemble. «Des jours et des bleus», j’ai aussi préféré cet éditeur car il est rare en poésie que les impressions soient si belles et le livre vraiment travaillé dans sa maquette. Ils sont à considérer comme des albums de poésie. Ils sont d’ailleurs disponibles au musée d’art brut à Paris. De plus, j’apprécie l’interaction textes-peintures. J’aime la singularité de «La Lucarne des Écrivains» qui détonne dans le milieu de la poésie. Mais dans l’avenir, je crois que les prochains livres seront sans peintures ni dessins. J’ai envie de changer. Et de livres plus petits.

Votre recueil «Des jours et des bleus» a obtenu le prix littéraire «Maram Al-Masri» qui est une poète syrienne francophone assez connue et reconnue en France. Que dites-vous de ce prix pour le faire connaître aux lecteurs ?

Je n’en parle pas beaucoup… Je ne suis pas très à l’aise avec les prix. Je suis contente et honorée. C’est un peu grâce à Maram Al-Masri que j’ai rencontrée à «La Lucarne des écrivains» ! Puisqu’en 2019, j’ai concouru pour ce prix qui finalement avait été annulé à cause de la crise sanitaire. Cette poétesse syrienne m’a beaucoup inspirée dans mon écriture. Elle m’a permis de m’autoriser à écrire ce que j’ai envie. Je prends ce prix comme un encouragement et un soutien.

Vous êtes aussi comédienne et vous jouez dans des pièces poétiques. Est-ce là votre façon de répandre la poésie en vertu d’un autre moyen plus populaire et à l’effet peut-être plus fort ?

Je suis arrivée à la scène par le «Slam», car un jour, assez tard, j’ai eu envie de «m’occuper» de ce que j’écris. J’ai eu peur du monde éditorial alors je suis allée dire mes poèmes dans des bars. J’ai beaucoup appris. Petit à petit avec un collectif, en autodidacte, nous avons des spectacles avec nos poèmes.

Et aujourd’hui, est-ce que l’aventure continue ?

Aujourd’hui, oui, l’aventure continue avec le spectacle «Familles sur table», tiré du livre éponyme, mis en lecture par Karine Fellous, et coécrit avec Virginie Séba. J’aime beaucoup lire et dire des poèmes, les scènes ouvertes où les personnes viennent nous lire leurs écrits. Ce sont toujours des moments de partage précieux. Je retrouve cette polyphonie dans les revues de poésie. Dans la revue «Cabaret» que je dirige avec Alain Crozier, j’essaie à chaque numéro — il y en a quatre par an — de varier les styles d’écriture. C’est un plaisir de publier des personnes inconnues. Je retrouve aussi cette symbiose dans les ateliers d’écriture que j’anime. La poésie, c’est aussi vivre ensemble et passer de bons moments autour des mots (et maux ). Les événements autour du livre et de la poésie, les rencontres, les salons de livres sont pour moi vécus comme si c’était la famille (en mieux). S’il y a une ambiance de «M’as-tu vu ?», concurrence, je pars en courant (rires).

Quel est enfin votre prochain et proche projet artistique ?

Cet été pour la première fois je vais participer au festival «Voix Vives» à Sètes, avec mon fils de 16 ans, et j’en suis très heureuse.

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