Youssef Chebbi, réalisateur de «Ashkal», à La Presse : «L’enquête policière n’est qu’un prétexte pour faire du cinéma»
Sur nos écrans depuis le 8 février, le film «Ashkal» est un thriller fantastique hypnotisant. Un film de genre, nouveau dans le paysage cinématographique tunisien. Nous avons eu cet entretien avec son réalisateur Youssef Chebbi.
Dans «Achkal», nous avons l’impression que l’immolation par le feu est devenue un langage cinématographique…
Lorsque j’ai pensé à l’élément du feu et de l’immolation, je n’ai pas voulu qu’il soit politiquement orienté. Bien entendu, l’inconscient collectif est marqué par l’immolation de Bouazizi mais je n’ai pas voulu utiliser le feu pour la dénonciation politique. Cela dit, il n’y a pas que la dimension politique et sociale dans cet acte terrible. Il y a aussi une dimension spirituelle, mystique et aussi religieuse. Du coup, je me suis rendu compte que le feu pouvait être une matière pour l’écriture et l’image. Autrement dit c’était un choix esthétique où le feu viendrait contraster avec la minéralité du béton de ces bâtiments en construction. A l’aspect rectiligne des fenêtres et des bâtiments, il oppose son aspect fougueux, follet et insaisissable. Je considère également qu’une personne qui s’immole est une personne qui perd son identité et son identification ce qui pourrait être relié à une certaine représentation du sacré. Le motif du feu a aussi créé des images qui dépassent le réel tout comme les images des Tween Center. Ce sont des images qui deviennent iconiques.
Selon vous, s’immoler par le feu aujourd’hui signifie encore quelque chose?
Sincèrement dans notre société s’immoler par le feu ne veut plus rien dire. C’est une image qui s’est banalisée. Au début, celui qui s’immole était un Martyr, on le sanctifiait quelque part. Aujourd’hui, il est considéré comme un élément perturbateur de la fameuse transition politique et démocratique. D’ailleurs personne ne fait plus attention à ce phénomène.
Avez -vous voulu faire un film essentiellement politique ?
Sincèrement, je ne le pense pas, parce que je ne suis pas quelqu’un de très informé sur le plan politique. Quant à cette décennie depuis la révolution je la considère comme une sorte d’énergie qui a créé une désillusion chez les Tunisiens. Je n’ai pas voulu faire un film politique mais j’ai emprunté des motifs à la Tunisie contemporaine pour les intégrer dans un autre genre, un autre point de vue qui n’hésiterait pas à aller vers le fantastique. L’objectif était aussi d’explorer le paysage imaginaire de la Tunisie. L’immolation par le feu est devenue à un certain moment une légende ou un récit national que chacun interprète à sa façon.
Nous avons l’impression que l’enquête policière n’était qu’un prétexte…
Absolument, l’enquête était un prétexte pour faire du cinéma. Cela dit, j’aime beaucoup le thriller et les figures des flics qui sont à l’affût de quelque chose. Mais c’est vrai que pour ce film c’est un emprunt au genre pour explorer autre chose.
Le décor minéral et glauque a-t-il été pensé comme un personnage ?
C’est même le personnage principal du film. Les personnages, surtout celui de Fatma, sont un vaisseau qui nous permettent de rentrer et de nous connecter avec ces lieux.
C’est un film qui a été écrit pour le décor ?
Oui, mon désir de départ avait pour source ce décor qui m’a communiqué une étrange sensation.
J’avais l’impression de rentrer dans une ville cachée dans une autre ville avec des murs imaginaires… J’avais aussi l’impression que ces immeubles inachevés posaient les yeux sur moi…
Vous comptez poursuivre dans le genre ?
Oui, j’ai cette intention de continuer à explorer le pays à travers le genre qui part du réel pour aboutir à autre chose.
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