TribuneLois de finances et gouvernance fiscale: Par Skander SALLEMI, conseiller fiscal
La question de la gouvernance fiscale est rarement abordée dans les débats sur la loi de finances en Tunisie. Cela s’explique par la culture instaurée depuis 2012, marquée par une focalisation sur les équilibres budgétaires. Ces derniers sont imposés par les difficultés financières et économiques que traverse le pays depuis des années, détournant ainsi l’attention et les efforts des députés et des parties concernées. Occultés malgré leur importance, les liens entre les problèmes des finances publiques et la gouvernance fiscale n’ont été que très rarement débattus d’où l’intérêt d’essayer d’y apporter quelques éclairages.
La gouvernance fiscale renvoie à l’ensemble des politiques, institutions et pratiques qui régissent la collecte et l’utilisation des ressources fiscales dans un pays. Elle englobe plusieurs dimensions, notamment la transparence, la responsabilité, l’équité, l’efficacité, la prévisibilité et la participation. À la lumière de cette définition, les projets de lois de finances soumis au Parlement tunisien devraient respecter ces principes, et les députés devraient être particulièrement sensibles à cette question.
Transparence et clarté
Une bonne gouvernance fiscale exige que les informations sur la fiscalité soient claires et accessibles au public, permettant ainsi une meilleure compréhension des politiques fiscales, de leur mise en œuvre et de leur impact. Malheureusement, en Tunisie, les textes adoptés dans le cadre des lois de finances délèguent souvent à la doctrine administrative le soin de pallier leur complexité par des explications et des interprétations. Cela reflète un problème récurrent de transparence. De plus, l’évaluation de l’impact des mesures fiscales et leur soutenabilité par les populations concernées est presque systématiquement absente des projets de lois, compliquant ainsi toute tentative d’amélioration de la gouvernance dudit système.
Responsabilité et contrôle
Par ailleurs, les institutions du système fiscal doivent être tenues responsables de la bonne gestion des fonds publics. Cela présuppose l’existence de mécanismes de contrôle et de reddition de comptes garantissant que les ressources soient utilisées efficacement et conformément à la législation. Cependant, lorsque les dispositions fiscales sont ambiguës, il devient difficile de demander des comptes aux administrations et aux gouvernements, ouvrant ainsi la voie à de possibles abus ou à une éventuelle mauvaise gestion des ressources publiques.
Équité fiscale
En guise de préalable, le terme « équité » a été fréquemment mentionné dans les divers projets de lois de finances de la dernière décennie. L’équité est souvent utilisée comme objectif ou justification de diverses dispositions, sans que celles-ci ne soient nécessairement équitables. Le système fiscal doit reposer sur le principe d’imposition en fonction de la capacité contributive des citoyens. Toutefois, si les populations concernées par ces mesures restent méconnues, comment garantir que les dispositions prises respectent ce principe ?
A titre d’exemple, on peut citer le débat autour de la loi de finances 2025 qui a été marqué par des désaccords sur le barème de l’impôt sur le revenu, mésententes exacerbées par la détérioration de la capacité contributive des citoyens, due notamment à une inflation galopante. Sans données adéquates sur les impacts des mesures fiscales, il est impossible de vérifier si elles répondent réellement aux besoins de la population et si elles sont appliquées équitablement.
Efficacité et stabilité
Selon l’Ocde, l’efficacité d’un système fiscal est étroitement liée à la qualité de sa gouvernance. Un système efficace ne se limite pas à collecter les recettes nécessaires pour financer les services publics : il doit favoriser également la croissance économique, l’équité et la stabilité sociale. La stabilité du système fiscal est notamment cruciale pour l’investissement. Les règles fiscales doivent être prévisibles et durables pour permettre aux contribuables et aux entreprises de pouvoir planifier à long terme. Or, la démarche, unanimement constatée durant la dernière décennie, fait apparaître à propos des lois de finances des changements fréquents et imprévisibles, créant une incertitude qui n’est pas de nature à encourager les investisseurs potentiels. La loi de finances 2025 représente un cas d’espèce avec les augmentations imprévues des taux de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur le revenu des personnes physiques.
Participation citoyenne
La participation citoyenne est un pilier fondamental de la bonne gouvernance fiscale. Cette pratique implique la consultation des citoyens, des entreprises et des organisations de la société civile lors de l’élaboration des politiques fiscales et des projets de lois de finances. Une telle approche permet de prendre en compte leurs préoccupations et leurs besoins, tout en renforçant la légitimité des dispositions promulguées et facilite leur acceptabilité par les contribuables et le large public.
Conclusion
Le processus d’élaboration des lois de finances ainsi que le système fiscal tunisien gagneraient beaucoup à être révisés à la lumière des principes de bonne gouvernance. Celle-ci constitue une approche essentielle pour résoudre les problèmes structurels récurrents des finances publiques. En visant une bonne gouvernance fiscale accrue, la Tunisie ne pourra que mieux envisager un développement économique et social inclusif et durable.
N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.
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