Economie tunisie

Tribune | Vers une responsabilité sociétale de la finance

 

Par Mohamed Ouertatani

La finance verte connaît un essor considérable dans le monde depuis l’Accord de Paris sur le climat adopté en 2015 qui fait référence pour la première fois au rôle du secteur financier et pose clairement la question du financement de la transition.

La finance verte désigne l’ensemble des outils financiers soutenant le développement durable d’un point de vue environnemental, notamment en favorisant la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique ou la perte de biodiversité, mais aussi en prévenant les dommages environnementaux qui peuvent naître des activités économiques.

Dans la pratique, la finance verte se développe fortement en réponse à l’enjeu climatique; c’est aussi celui qui concentre, à ce stade, les efforts des régulateurs.

De nombreuses initiatives internationales ont également été lancées pour encourager et structurer le développement du marché naissant de la finance climat et de la finance verte.  A titre d’exemple, au niveau européen, la Commission européenne a publié en 2018 un plan d’action ambitieux « pour financer la croissance durable», qui s’est traduit par l’adoption de nouvelles réglementations,

La finance verte entre dans le champ plus large de la finance « responsable » ou « durable » qui vise de plus la prise en compte des facteurs sociaux ou sociétaux.

Encouragé par la conjonction de plusieurs éléments : il y a une prise de conscience accrue des enjeux environnementaux et sociaux et de leur impact sur les performances financières, un appétit du marché qui apparaît et un nouveau cadre réglementaire incitatif indispensable à mettre en place.

Il faut noter que cette prise de conscience est drivée par 3 moteurs :

Le premier moteur des banquiers et institutions financières pour verdir la finance est la prévention du risque.

Le deuxième moteur est la recherche de rentabilité financière à travers une meilleure intégration des enjeux environnementaux et de long terme.

Le troisième moteur est la réponse aux incitations des pouvoirs publics qui cherchent à combler le besoin de financement de la transition vers une économie bas carbone.

La nouvelle stratégie pour la finance verte et durable devra  fixer un cadre d’action pour les pouvoirs publics et les régulateurs, tout en offrant de nouveaux outils au secteur privé. L’objectif est de « renforcer le rôle de la finance au service d’une économie performante et qui permet également d’atteindre des objectifs environnementaux et sociaux ». Pour ce faire, il s’agit d’abord d’instaurer la confiance dans la finance verte en évitant les pratiques d’écoblanchiment (greenwashing), mais aussi d’expliciter l’obligation pour les acteurs financiers de prendre en compte les risques sociaux et environnementaux.

Ces politiques publiques sont complétées d’instruments de marché ou d’initiatives privées encore en construction. Si les obligations vertes constituent un des plus vieux outils, de toute évidence elles ne suffiront pas et d’autres canaux de mobilisation de l’épargne disponible doivent être utilisés.

L’objectif affiché dès lors est un verdissement plus large de la finance, en utilisant différents leviers réglementaires.

Alors que les plans de relance européen et français annoncés après la crise sanitaire du printemps 2020 prévoient d’allouer une part importante des investissements à la transition écologique, les nouveaux outils, en particulier la taxonomie des investissements durables définie au niveau européen, pourront contribuer à faciliter la mobilisation de ces capitaux. D’autres chantiers sont ouverts, comme la revue du fonctionnement du marché carbone européen.

Le rôle des banques centrales et commerciales reste enfin un champ d’action qui s’entrouvre. Le canal du crédit et la réglementation bancaire sont autant d’incitations pour les acteurs privés permettant de réorienter le financement de l’économie au profit d’activités plus vertes.

La finance doit alors non seulement répondre à des objectifs financiers, mais aussi avoir un impact positif pour la société.

Il faut signaler que le coût de l’inaction présente plusieurs risques majeurs :

– Les risques physiques qui incluent les coûts économiques et des pertes financières résultant,

– Les risques de transition représentent quant à eux les risques liés au passage à un modèle économique bas carbone. Ils résultent de changements réglementaires (notamment dans le domaine environnemental), technologiques, de transformation des habitudes de consommation ou des préférences, ou d’évolution des risques physiques, qui peuvent avoir des impacts significatifs sur un grand nombre de secteurs économiques.

– Les risques de responsabilité liés aux impacts financiers d’éventuelles poursuites judiciaires pour avoir contribué au changement climatique ou avoir insuffisamment pris en compte le risque climatique peuvent accroître tant les risques physiques que de transition.

Le défi climatique nécessite une réorientation massive des flux financiers Des besoins de financements additionnels pour atténuer le réchauffement et adapter l’économie.

Au niveau macroéconomique, la réorientation des projets d’investissement des entreprises implique une même réorientation des flux financiers. Ce qui signifie à la fois d’investir massivement dans les secteurs favorables à l’environnement mais aussi de détourner les financements des secteurs défavorables à l’environnement.

Deux types de besoins doivent être couverts :

– L’atténuation (mitigation) du changement climatique pour limiter le réchauffement à 2 °C, voire 1,5 °C, prioritairement dans les principaux secteurs émetteurs que sont l’énergie, l’industrie, le bâtiment et les transports ;

– L’adaptation des secteurs et des infrastructures à un climat plus chaud et plus instable, en particulier dans l’agriculture ou la fourniture d’eau.

On constate donc un rôle déterminant des pouvoirs publics : le financement des activités « vertes »

De Kyoto à Paris, on remarque une mobilisation croissante du secteur financier sur le thème «La financiarisation des traités internationaux sur le climat».

Vers une responsabilité sociétale de la finance:

Au-delà de l’action des pouvoirs publics, la réponse du secteur financier au risque climatique pose alors de manière plus large la question de la responsabilité du secteur financier. Christian Gollier, éminent économiste, résume ainsi le débat : peut-on faire de la finance un instrument de l’émergence d’une société meilleure ?

L’économiste analyse d’un point de vue théorique l’approche « responsable » prônée par un nombre croissant d’acteurs financiers et d’entreprises, et qui vise à mieux prendre en compte les externalités positives et négatives engendrées par les activités financées.

Le caractère mondial de l’enjeu climatique a contribué à une mobilisation du secteur financier tandis que l’enjeu du financement s’est rapidement imposé dans les négociations internationales sur le climat.

Il en découle de ce qui précède une des questions fondamentales : comment aligner les flux financiers avec l’objectif climatique ?

L’Accord de Paris sur le changement climatique adopte et énonce expressément, dès son deuxième article l’objectif de « rendre les flux de capitaux compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques ». C’est un tournant : la finance n’est plus seulement un des outils de la lutte contre le changement climatique mais un enjeu de combat mondial.

On parle aujourd’hui de la création d’un marché de l’investissement responsable, Les définitions et formes de l’investissement responsable varient significativement selon les régions du monde et les acteurs. Elles couvrent un spectre large, allant de l’exclusion de certains secteurs d’activité ou certaines entreprises, sans conséquence forte sur les profils de risque ou de rendement des portefeuilles, jusqu’à la recherche d’un impact environnemental ou social positif, en plus du rendement financier attendu.

Les six principes pour l’investissement responsable que les investisseurs s’engagent à respecter :

1) Prendre en compte les questions ESG dans leurs processus de décisions en matière d’investissement

2) Prendre en compte les questions ESG dans leurs politiques et leurs pratiques d’actionnaires

3) Demander aux sociétés dans lesquelles ils investissent de publier des rapports sur leurs pratiques ESG

4) Favoriser l’acceptation et l’application des principes de l’investissement responsable auprès des gestionnaires d’actifs

5) Travailler en partenariat avec les acteurs du secteur financier qui se sont engagés à respecter les principes de l’investissement responsable pour améliorer leur efficacité

6) Rendre compte de leurs activités et de leurs progrès dans l’application des principes de l’investissement responsable

Les principes s’adressent à trois catégories de signataires potentiels :

1) Les propriétaires d’actifs

2) Les gestionnaires de portefeuilles

3) Les services professionnels partenaires, qui sont des sociétés qui proposent des produits aux propriétaires d’actifs et aux gestionnaires d’investissement.

Pour conclure, après l’Accord de Paris, la finance verte est devenue à la fois un enjeu de stabilité financière et un outil de politique publique pour répondre à l’urgence climatique.

Le développement de la finance verte fait face à un certain nombre de défis, y compris, entre autres, des difficultés à internaliser les externalités environnementales, l’inadéquation de la maturité, le manque de clarté des définitions vertes, l’asymétrie de l’information et une capacité analytique inadéquate, mais bon nombre de ces défis peuvent être résolus par des options développées en collaboration avec le secteur privé.

La finance verte progresse, mais reste encore insuffisante, même si elle peut compter sur des outils de plus en plus sophistiqués. La prise de conscience du secteur financier et des entreprises grandit chaque jour, sous la pression aussi des organisations non gouvernementales, des salariés, des clients, et des superviseurs. Mais le degré d’avancement (et d’adhésion) varie selon les géographies

Si la perception citoyenne des enjeux climatiques et environnementaux progresse, le déficit de connaissances des mécanismes à l’œuvre et des changements nécessaires en termes de modèles économiques est encore colossal. C’est aussi un obstacle pour le développement de la finance verte, qui nécessite de mobiliser tout un écosystème, des conseillers bancaires et financiers aux dirigeants d’entreprise, y compris de petites et moyennes entreprises.

À l’échelle mondiale, les efforts sont bien sûr très loin d’être suffisants pour prétendre atteindre les objectifs souhaités.

M.O.

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