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Tribune | Pour qui roule la BCT ? (1ère partie)

 

Par Dr Sadok Zerelli*

Tout observateur qui suit de prés l’évolution de la conjoncture économique et financière en Tunisie ne manquera pas de relever les faits suivants :

I — La croissance économique n’a jamais été aussi faible que depuis 2016 (+2,2% en 2022 et pas plus de +1,23 % attendus pour l’année 2023 selon la Banque mondiale);

II —  Le taux de chômage officiel, sans parler du chômage déguisé, n’a jamais été aussi élevé que depuis 2016 (+18,1% selon les dernières statistiques de l’INS);

III — Le taux directeur de la BCT n’a jamais été aussi élevé (il a été augmenté par la BCT à six ou sept reprises depuis 2016, et a atteint aujourd’hui 8% après la dernière augmentation de 100 points décidée il y a quelques mois);

IV — Les banques commerciales aussi bien publiques que privées n’ont jamais réalisé autant de bénéfices et distribué autant de dividendes à leur actionnaires, proportionnellement au nombre d’actions qu’ils détiennent, malgré le marasme économique général et le chômage massif qui règne dans le pays (en moyenne 500 MD par banque avec un maximum de 970 MD pour l’une d’elles, selon  leurs propres rapports d’activité annuels pour l’année 2022 publiés dans la presse).

L’objet de cet article est d’examiner dans quelle mesure ces faits sont reliés entre eux et si oui par quels mécanismes économiques et financiers ils et quels en sont les retombées en termes d’aggravation des déséquilibres macroéconomique dont souffre l’économie nationale et d’inégalité de la distribution du revenu national entre ceux qui vivent de leur dur labeur et ceux qui vivent du rendement, pour ne pas dire de la rente de leurs capitaux.

L’approche adoptée se veut objective, scientifique et même un tant soit peu pédagogique pour contribuer à la diffusion d’une plus grande culture économique et financière de l’opinion publique, mais en aucun cas d’ordre personnel (pour lever toute équivoque à ce sujet, je précise que l’actuel gouverneur de la BCT est un ex-collègue d’enseignement à l’IHEC pour qui je n’ai que du respect en tant que personne, mais cela ne m’empêche pas de critiquer la politique monétaire qu’il met en œuvre depuis qu’il est à la tête de l’institution, car j’estime, à tort ou à raison, que l’intérêt général du pays doit être placé au-dessus des considérations de personnes).

Le premier lien évident qui apparaît entre ces quatre réalités économiques que personne ne peut contester, car basées sur des chiffres officiels, est l’année 2016, année durant laquelle des députés ignorants de la chose économique et des mécanismes complexes de financement d’une économie, ont voté, certains probablement moyennant des «récompenses» distribuées par les gros actionnaires des banques qui, comme je l’expliquera dans la suite de cet article, sont les seuls et véritables bénéficiaires de cette loi qui accorde à la BCT non seulement son indépendance économique et financière, ce qui est normal pour une institution de cette importance, mais aussi son indépendance de décision.

Dès son préambule, cette loi de 2016 commence par dénaturer la vocation même de la BCT, dont le véritable nom est «Institut d’émission», en lui attribuant la lutte contre l’inflation comme première mission. En effet, dans tous les pays du monde et dans tous les ouvrages de théorie monétaire, la première mission d’un institut d’émission est, comme son nom l’indique, d’émettre suffisamment de liquidités sous forme de monnaie fiduciaire (billets et pièces de monnaie) ou scripturale (écriture sur les comptes bancaires) pour permettre à l’économie de fonctionner et à tous les agents économiques (y compris l’Etat) de financer leurs opérations de production, consommation, investissement, exportation etc.  en vue de créer le maximum de richesses et d’atteindre  le taux de croissance économique le plus élevé et le taux de chômage le plus faible, objectifs ultimes de toute politique économique, qu’elle soit d’ordre monétaire ou réel. 

La lutte contre l’inflation n’est pas de la responsabilité exclusive de la BCT comme le laisse entendre la loi de 2016 mais relève bien de tous les départements ministériels, en premier lieu celui du Commerce qui doit mettre en œuvre des politiques efficaces pour assainir les circuits de distribution et lutter contre la spéculation (première cause selon moi de l’inflation en Tunisie) et les autres département ministériels qui doivent mettre en œuvre, chacun dans le secteur qui le concerne (agriculture, industrie, énergie, transport  etc.), des politiques efficaces pour accroître l’offre et réduire les coûts de production (deuxième cause selon moi de l’inflation en Tunisie). D’autre part, il existe bien une troisième source sur laquelle la BCT n’a aucun pouvoir non plus, que sont les chocs extérieurs tels que la guerre en Ukraine et l’inflation importée due aux différentiels de taux d’inflation entre la Tunisie et ses principaux pays partenaires dans le commerce extérieur.

La responsabilité de la BCT dans le processus inflationniste s’arrête au volume de la masse monétaire en circulation par l’ensemble du système bancaire dont  la BCT qui ne doit pas dépasser les besoins des agents économiques pour ne pas créer des pressions inflationnistes.

Toujours est-il que la priorité accordée par la BCT à sa mission de lutte contre l’inflation au détriment de sa mission infiniment plus importante de financement de l’économie et de satisfaction des besoins des agents économiques en liquidités et à taux d’intérêt abordables, conformément à l’esprit et au texte de  cette loi de 2016, s’est traduite par un sacrifice de l’investissement, de la croissance économique et des emplois sur l’autel de la lutte «sacrée» contre l’inflation, sans pour autant que la BCT réussisse à maîtriser l’inflation qui a atteint deux chiffres, malgré et à cause même de la politique monétaire suivie par la BCT.

S.Z.

* Economiste, consultant international

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