Talan Expo 2023 : Gestes généreux et créations multiples
L’exposition Talan Hirafen 2023 prend, cette année, comme thème les métiers du fil et de la fibre en Tunisie et propose un dialogue inédit entre art contemporain et artisanat. Direction exécutive Aïcha Gorgi, commissaires d’exposition Ludovic Delalande et Nadia Jelassi.
Dix-neuf artistes pluridisciplinaires ont été invités à concevoir une œuvre spécifique en puisant dans le savoir-faire tunisien. Au cours d’une résidence de recherche et de production, ces artistes d’origines et de générations différentes ont eu l’opportunité de se familiariser avec la diversité de son artisanat et d’aller à la rencontre de brodeurs et brodeuses-nattiers-tresseurs ou encore tisserands qui, de leur geste pluriséculaire naissent des objets riches en matière, couleurs et motifs correspondant à un savoir-faire et des techniques diverses qui dessinent des spécificités territoriales. De cette rencontre et à travers leurs pratiques artistiques propres, les artistes ont développé une approche singulière creusant les dimensions plurielles, esthétique et écologique politique, géographique, économique et sociale d’un patrimoine immatériel dont l’histoire non linéaire est marquée d’influence d’évolution et de rupture. Explorer la tradition artisanale a offert aux artistes un terrain d’expérimentation fertile leur permettant aussi de se connecter au geste de la main, à la matière, à l’histoire, à la nature pour répondre aux nouveaux enjeux qui se sont présentés à eux ; les artisans, à leur tour, n’ont pas hésité à délaisser leurs habitudes en prenant des risques affirmant une créativité sans cesse renouvelée. Pour Hirafen, le maître mot est « dialogue »; le dialogue entre artistes et artisans repoussant, d’une seule main, les limites du périmètre consacré en posant la question de la collaboration autour du faire-ensemble. Les savoir-faire continuent de se transmettre et de se réinventer, les gestes se répètent à l’infini pour préserver une mémoire collective vivace tel est le témoignage de Hirafen, une exposition à voix plurielles et un prolongement de récit.
L’œuvre de l’artiste malgache Joel Andrianomearisoa est une installation qui évoque l’habitude de la main, le geste et le dialogue. Une tapisserie au centre d’un travail sur l’humanité et humain qui semble dire “nous ne sommes pas des ornements”. Cette œuvre complexe fait appel à la mémoire avec pour Tunis comme territoire de jeu. La mémoire de la fibre est également un manifeste du temps et de la géographie, de la rigueur à l’incertitude avec en plus une pièce sonore hommage à la main. L’œuvre est une intention avec une géographie forte qui s’imprègne d’expériences émotionnelles complexes pour créer une œuvre délicate et à la fois ambiguë qui suggère une constante évolution.
Abdoulaye Konaté tisse, découpe, assemble et compose sa matière de prédilection qui est incontestablement le tissu. Il s’en sert comme matériau plastique à part entière pour composer tenture, tapisserie et même des sculptures et patchworks. Entre bazin et fouta préalablement teintés, il accole dans une verticalité suggérée et une horizontalité inspirante. Le bazin et la fouta constituent une continuité qui se rompe et une nouvelle qui se crée, pliage coutures et dégradés, signes et symboles incorporés dans une œuvre importante à forte plasticité. Un lien est scellé dans une identité ancestrale via le geste et la pensée.
Sonia Kallel est partie à la recherche de l’origine d’un tissage “ Ajar” et la manière de le reproduire. Ce même tissage a disparu depuis la disparition de la technique même “un métier à la tire”. Quand tout disparaît et face à la perdition de la technique et de ses faiseurs, réinventer le génie artisanal grâce à de nouvelles prouesses est le sens de l’enquête et l’investigation qui furent la première étape qui a duré une année pour élucider cette énigme. Celle d’une pièce du costume tunisien dont la trace s’est perdue au début du XXe siècle et reproduire le geste ou sa représentation.
Golden door de moffat takadiwa est fait à partir de matière collectée dans les décharges et les centres de recyclage, bouchons, boutons, plastique, brosses à dents… Tant de vestiges des temps modernes qu’il transforme en tenture ou une porte comme il l’a réalisé pour l’exposition. sacs en plastiques colorés, déchets de l’industrie du textile ou des bobines de fil. Tous ces matériaux ont été tissés reproduisant le portail de Dar Othman à proximité de laquelle il a installé son atelier. Un anachronisme bien attentionné entre les portes majestueuses en bois et les portes en plastique marquant un présent en proie à la pollution. L’engagement social de Sarra Ouhadou avec les communautés chez qui elle s’installe se conçoit dans la durée. Créer un lien entre son Maroc et la Tunisie s’est fait pour elle à travers les gens du désert en questionnant les traditions qui continuent à vivre, elle s’intéresse en particulier à la tente, l’habitation traditionnelle des gens du sud. Le geste s’associe à la parole, le tissu prend forme par les mots aussi et dans un jeu visuel de couleurs et de fibres naturelles pour créer le module de base de cette habitation aujourd’hui absente.
Mariem Boudebala installe cet univers marin, et son ambiance maritime nous happe, ses œuvres ont la forme de barques ou de créatures aquatiques translucides. Habitée par l’histoire des migrants, elle raconte l’histoire de cette femme qui part sur une embarcation, une histoire commune et partagée, celle d’un naufrage mais pas celle d’une mort, le voyage en soi est une histoire à raconter et à mettre en forme.
7 nattes mortuaires suspendues dans l’espace, chacune est porteuse d’un fragment de l’histoire et la mer raconte la sienne. La diversité des matériaux et le croisement des techniques servent une esthétique et un récit, un aspect formel et un engagement humain.
Mohamed Amine Hamouda poursuit une expérimentation portant sur la flore oasienne. Les couches se superposent et s’alternent dans une diversité de fibres. Chaque couche suit et impose sa propre logique de tissage et d’assemblage, les dégradés se révèlent, les pigments tracent les limites et l’ensemble se dresse telle une tour. Au nombre de cinq, cette verticalité écrase et s’impose comme celles de palmiers de l’oasis de Gabès mais aussi les cheminées des usines polluantes. Dans ce même souci écologique la pratique artistique d’autres œuvres et d’autres salles sont à visiter, nous y reviendrons.
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