Sondages d’opinion : Manque de transparence et quête de légitimité !
Les acteurs politiques ont recours, souvent, aux sondages pour évaluer le soutien public dont ils bénéficient ou qui leur fait défaut. Cela peut les aider à réajuster leurs politiques, voire leurs tactiques en fonction des attentes de l’électorat.
Les sociétés de sondage d’opinion n’ont plus pignon sur rue. Il y a quelques années, elles faisaient la pluie et le beau temps. Il ne se passait pas une semaine sans que l’on entende parler de sondages qui faisaient le bonheur et le malheur des uns et des autres, selon une cote capricieuse qui monte et qui descend au gré des jours et des événements. Aujourd’hui, baromètres politiques et sondages d’opinion se font rares et à l’exception de certains instituts qui résistent encore, ils semblent être passés de mode.
D’ores et déjà, ces sondages connaissaient des problèmes, notamment d’ordre structurel et financier. Et sont, de fait, paralysés par une crise qui frappe d’ailleurs l’ensemble du système politique, les partis et les médias.
Quoi qu’il en soit, les sondages d’opinion jouent un rôle important, puisqu’ils permettent de recueillir des données quantitatives sur ce que pense et ressent la population sur diverses questions, notamment politiques, sociales, économiques et culturelles. Cela permet de comprendre les tendances, les préférences et les préoccupations de la société. Un instrument qui s’avère nécessaire à la vie démocratique.
Autant rappeler que les acteurs politiques ont recours, souvent, aux sondages pour évaluer le soutien public dont ils bénéficient ou qui leur fait défaut. Cela peut les aider à réajuster leurs politiques, voire leurs tactiques en fonction des attentes de l’électorat.
En Tunisie, il est clairement perceptible que ces sondages ont enregistré une nette régression ces derniers temps, pourtant la Tunisie se dirige vers une année électorale, on évoque notamment l’élection présidentielle prévue à l’automne 2024. Le dernier baromètre politique remonte à mi-juin, publié par Emrhod Consulting, selon lequel 67,8 % de Tunisiens seraient prêts à voter en faveur du Président de la République, Kaïs Saïed.
Depuis, silence radio. Comment expliquer cet état de fait ? Ces instituts connaissent-ils une crise qui menacerait même leur viabilité ? Faut-il tenir pour responsable la conjoncture politique ?
Un instrument indispensable !
L’universitaire et expert en économie des médias, auteur de plusieurs ouvrages sur les sondages d’opinion et la mesure d’audience, Mohamed Gontara, est bien placé pour répondre. Contacté par La Presse, il rappelle que les sondages d’opinion politiques constituent un instrument nécessaire dans les démocraties. Il dresse l’image d’un secteur très mal organisé et qui manque de réglementation. «Les médias, les institutions, les politiques eux-mêmes s’en servent pour analyser les dynamiques de vote d’où leur intérêt. S’ils sont faits de manière scientifique, ils permettent de déterminer précisément les orientations et les tendances politiques d’une population à un moment donné. Cela constitue, en outre, un instrument fondamental pour la pratique de la politique et pour la démocratie. Dans d’autres pays, ils sont réglementés par la loi, car ils peuvent être utilisés pour prédire les résultats des élections en se basant sur les intentions de vote des électeurs», nous explique-t-il.
Crise de légitimité
Pour analyser le recul desdits instituts dans le paysage politique et médiatique tunisien après une période de faste, Gontara évoque un marché très réduit, d’où une éventuelle crise financière. «ll faut rappeler que ce sont généralement les médias et les partis politiques qui commandent ces sondages pour différentes raisons. Or, les médias sont dans une crise financière et les partis politiques connaissent une conjoncture difficile qui s’explique surtout par l’absence de puissantes structures partisanes», détaille-t-il.
En Tunisie, après la révolution, l’usage de ces sondages d’opinion s’est tellement répandu que certains y ont vu un danger pour l’édification d’un système démocratique. Leur rôle avait été donc constamment remis en question. La Tunisie fait partie des pays où le niveau de confiance à l’endroit des partis politiques est nettement plus faible qu’ailleurs. Cela s’explique surtout par la dégradation de l’image des hommes politiques, les alliances contre nature qui avaient fait peu de cas des choix des électeurs. Cela n’a pas été sans conséquences sur ces instituts et bureaux de sondages puisqu’ils sont devenus, de facto, un vecteur de médiatisation de ces acteurs et formations politiques en perte de légitimité.
Résultat, les sondages d’opinion font l’objet, eux-mêmes, de tiraillements politiques et de crises de toutes sortes. Cela avait amené les Tunisiens à poser continuellement des questions autour des procédés et des méthodes adoptés par ces instituts pour recueillir les opinions publiques. A ce sujet, les réponses se font rares. Les professionnels des sondages sont peu diserts sur la question.
Sondage d’opinion et mesure d’audience, l’amalgame
Le professeur, en sciences de l’information et de la communication, Sadok Hammami, précise dans une récente intervention, que ce secteur souffre en effet d’un dysfonctionnement structurel. «Ce qui est étrange dans le cas tunisien, c’est que ces instituts, qui ne sont pas nombreux d’ailleurs, regroupent des activités différentes, à savoir les sondages d’opinion, d’une part, et la mesure d’audience, d’autre part. Or, cela s’avère contradictoire, si on rappelle que dans d’autres pays, la mesure d’audience est strictement réglementée», explique-t-il.
Et d’ajouter : «Les gens ne font souvent pas de distinction entre la mesure d’audience, les sondages d’opinion et même les médias, bien qu’elles soient deux activités distinctes. Cependant, ils partagent certaines méthodologies par le passé. En ce qui concerne la situation en Tunisie, l’article 16 du décret 116 a confié à l’Autorité de régulation, la Haica, la responsabilité de «définir les critères à caractère légal ou technique pour mesurer le nombre de téléspectateurs des programmes des entités de communication audiovisuelle et surveiller leur respect, chose qui n’a pas été faite». Hammami estime, dans ce sens, que le secteur des sondages d’opinion demeure «aléatoire, échappant aux normes internationales, professionnelles et aux technologies avancées. Il manque de transparence et est sous l’emprise de certaines agences qui utilisent encore des techniques primitives».
En tout état de cause, en Tunisie comme ailleurs, les résultats et le degré de scientificité des sondages d’opinion sont contestés. Et la grave accusation de manipulation de l’opinion publique et d’orientation des tendances de vote, notamment en périodes préélectorales, leur est souvent portée.
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