« Silence Orange » – Recueil de poèmes de Arwa Ben Dhia : Ecrire comme on aime
Arwa Ben Dhia tourne avec brio la métaphore, rythme judicieusement les mots simples dans des vers courts et incisifs ou dans de longs versets d’une savoureuse prose poétique qui tend quelquefois à l’écriture romanesque. En fait, cette poète libre et novatrice pousse délibérément les frontières des genres et déplace leurs bornes afin de produire une littérature particulière où poésie, conte, nouvelle et roman se confondent aisément pour émouvoir le lecteur et susciter en lui l’envie de lire, d’aimer, de rêver…
« Que serais-je sans ma chère poésie ?/Que poussière dans un cosmos infini !/J’écris mes rêves et mes chimères/Car ce monde ne me suffit guère./
Mes songes flottent/Côte à côte/Puis s’envolent/Chacun à son tour/Vers la pointe du jour/Habitent mon calame/Atterrissent sur l’encre/Laissant une empreinte/Sur le fin papier/ Pour s’immortaliser » (p. 29).
Et voici donc que, par ces laisses vibrantes d’émotion, Arwa Ben Dhia donne le ton de ce que sera toute sa poésie dans ce déconcertant « Silence Orange » où les morceaux défilent fébrilement tel un chapelet de pétitions pour la liberté, telle une kyrielle d’hymnes à l’amour. Cet Amour qui l’habite comme une lumière divine et qui est plus qu’un sentiment sacré, plus qu’une passion nourricière, mais toute une religion, nouvelle et universelle, faite de Beauté, de Paix et de Chants pour l’Humanité :
« J’ai reçu ma révélation. Je suis prophétesse d’une (nouvelle) religion./L’amour est ma religion et ma foi./ Ma mission est de répandre la beauté, sous quelle forme qu’elle soit/(…)/ Je glorifie la Vie, la Nature et l’Humain. Ma prière est un savoir conscient./(…)/ Ni dogme ni rituel dans ma religion, car elle est naturelle et universelle. » ( p. 21).
Dans ce « Silence Orange » qui succède à trois autres livres de poésie de l’autrice (« Voyage de senteurs », Tsémah éditions, 2015 ; « L’amour aux temps du web », Tsémah éditions, 2014 ; « Parfum d’amour », Tsémah éditions, 2015) et qui précède son tout dernier recueil de poèmes (« Les quatre et une saisons », Paris et Tunis, Les éditions du Cygne et les éditions Arabesques, 2024), Arwa Ben Dhia met en œuvre surtout la puissante figure répétitive sous ses formes diverses (lexicale, morphologique, syntaxique et musicale), les modalités interrogative, exclamative et injonctive, tourne avec brio la métaphore, rythme judicieusement les mots simples dans des vers courts et incisifs ou dans de longs versets d’une savoureuse prose poétique qui tend quelquefois à l’écriture romanesque. En fait, cette poète libre et novatrice pousse délibérément les frontières des genres et déplace leurs bornes afin de produire une littérature particulière où poésie, conte, nouvelle et roman se confondent aisément pour émouvoir le lecteur et susciter en lui l’envie de lire, d’aimer, de rêver et de se laisser prendre secrètement par quelques désirs occultes. Audacieuse jusqu’à l’emploi recherché des expressions « prohibées » et des images lascives, elle semble narguer, par ses vers et strophes, la société patriarcale et ouvrir une brèche dans son système de valeurs machistes, dans ses tabous séculaires et son silence. Ce silence à la couleur des flammes de l’amour (orange) et qui est, à bien l’écouter, un « silence » éloquent, disert, bruyant, hurlant et portant en lui les belles clameurs d’un esprit rebelle aux prises avec « des bigots, des ignares, des outrecuidants, des doxosophes, des donneurs de leçons » (p. 125).
Catharsis et thérapie semblent fusionner poétiquement dans « la nudité de ce silence » (p. 8). A ce propos, écoutons la poète qui se confesse quelque part dans une interview de Ammar Benhamouche, publiée sur la toile, dans « Kabyle.com », : « Oui, l’écriture m’a toujours été cathartique et thérapeutique. Je m’en sers pour m’épancher, me libérer de tout ce qui m’entrave et sublimer mon énergie débordante. Elle me permet de m’extraire de la rigueur technique de mon métier. C’est aussi un refuge pour la jeune femme timide et introvertie que je suis et qui est rarement éloquente à l’oral. Alors, les mots tus ou mal exprimés sortent du silence et se transforment en poèmes à travers ma plume » (17 mai 2024).
Ecoutons encore cette poète chanter, fière et emportée par l’envol de son âme par-dessus le vacarme de la modernité outrancière (p. 9) et fastidieuse qui semble l’ennuyer et dont elle refuse de demeurer prisonnière telles ces marées humaines d’automates noyant dès le petit matin « les villes de grande solitude » (M. Sardou) :
« Je suis un oiseau sauvage/L’air libre est mon repaire./(…)/Je suis un fin trouvère/N’ayant ni nid ni abri./Déployant mes ailes/Je perce les frontières,/Je déchire le ciel./Pour que tombe du sel/Assaisonnant la vie./
Je défie l’horizon./J’observe les hommes./(…)/Je me mue en un rapace/
Naufragé sur la rive du temps./Je deviens l’épave éternelle/ D’un navire chargé de mes chants » (p. 30).
S’élançant de toutes ses forces vers le monde comme une colombe qui déploie souverainement ses ailes et qui, dans l’air, glisse avec grâce, férue de la Terre et des Hommes, polyglotte qui parle, comme rarement d’autres poètes, six langues différentes (l’arabe, le français, l’anglais, l’italien, l’allemand et l’espagnol), ingénieure-docteure en télécommunication et en électronique (ingénieure brevets seniors) et poète à ses heures, quand le calame trempé dans l’encre sépia ou rose ou bleue de ses songes vient « soulager l’âme » (p. 26) amoureuse ou nostalgique, inquiète, lourde d’un chagrin ou d’une blessure et cherchant réconfort et oubli, Arwa Ben Dhia, l’autrice de ce joyau qui a mérité le « Prix international poétique et artistique » de la « Société Internationale d’Études des Femmes et d’études de Genre en Poésie » (SIÉFÉGP), pour l’année 2024, Force l’admiration par son intelligence vive, sa débordante créativité poétique et son incessant appel à l’amour :
« (…) Seul l’amour nous sauvera/ Aimez-vous ! Tout le reste viendra (p.20).
Arwa Ben Dhia, « Silence Orange », Paris, Mindset Editions, 2023, 140 pages. ISBN- 2492761339. EAN-9782492761331. Disponible aussi, en Tunisie, en version braille, grâce à la conversion en écriture braille réalisée par Aymen Ben Nasr.
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