Sécurité régionale : Le spectre du chaos plane de nouveau sur la Libye
Depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est devenue un terrain de conflits où s’affrontent différentes factions armées. La situation, loin de s’apaiser, continue de se détériorer, menaçant non seulement la stabilité du pays, mais aussi de toute la région, notamment celle de la Tunisie, son voisin limitrophe.
Ces derniers jours, les risques de chaos ont ressurgi en Libye, à la suite de nouvelles manœuvres militaires conduites par les troupes du camp Khalifa Haftar, commandant de l’armée nationale libyenne en direction d’une zone du sud-ouest, à la frontière tunisienne, contrôlée par le gouvernement Dbeïba basé à Tripoli.
Ce sont plus précisément les forces terrestres de l’Est, dirigées par Saddam Haftar, fils du maréchal Khalifa Haftar, qui ont annoncé mener une «opération globale», visant officiellement, à «sécuriser les frontières sud du pays et à renforcer la stabilité dans ces zones stratégiques».
L’état-major des forces du Gouvernement d’union nationale (GNU), basé à Tripoli (ouest), a annoncé à ses unités «l’état d’alerte», et ordonné d’être «prêtes à repousser toute éventuelle attaque».
La mission de l’ONU en Libye n’a cessé, depuis, ses appels à la retenue, à et «éviter d’autres tensions», après ces mouvements militaires. Pour leur part, les ambassades de France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni et Etats-Unis ont publié un communiqué commun pour exprimer «leurs inquiétudes face à des mouvements militaires dans le sud-ouest» libyen et appeler les forces en présence «à la retenue maximale».
Pour les observateurs, ces mouvements sont susceptibles de renvoyer ce pays aux affrontements armés et représentent une menace directe du cessez-le-feu en vigueur, plus ou moins, depuis 2020 avec le risque de l’effondrement du fragile processus politique de réunification du pays. Dans ce paysage géopolitique mouvant, la Tunisie est au premier plan.
L’Union maghrébine aurait pu jouer un rôle
Comment ces tensions peuvent-elles affecter la Tunisie ? Notre pays peut-il jouer le rôle de médiateur et apaiser les tensions qui fusent de part et d’autre ? En tout état de cause, l’action diplomatique tunisienne est sollicitée à l’échelle régionale et internationale, alors qu’une tension diplomatique entre Tripoli et le Caire se fait progressivement jour.
Pour l’ancien ambassadeur Ahmed Ounaïes, le dossier libyen est extrêmement complexe, et la Tunisie a toujours opté pour «la prudence diplomatique», un marqueur fort de sa politique étrangère de non-alignement lorsque de nombreux protagonistes, ou belligérants, interviennent. «La Tunisie ne souhaite pas avoir l’image d’un pays qui nourrit des intérêts en Libye, bien qu’elle soit l’un des premiers pays concernés par ce conflit», a-t-il expliqué à La Presse.
Cependant, l’ancien diplomate pointe la quasi-absence de l’Union maghrébine. Selon lui, «cette inaction laisse la voie libre à l’Égypte et à d’autres pays étrangers pour intervenir en Libye qui demeure un pays visé par l’ingérence étrangère». «Le rôle de la Tunisie dans cette situation est de réanimer les négociations dans le cadre de l’Union du Maghreb arabe qui reste sanctionnée par les tensions entre le Maroc et l’Algérie. Il est du devoir des pays de la région de maintenir le dossier libyen dans le cadre maghrébin, car la résolution de ce lourd dossier reste une priorité pour les pays maghrébins sans oublier le rôle de la Mauritanie», a-t-il conclu.
La diplomatie tunisienne toujours sollicitée
En effet, la déstabilisation de la Libye représente un défi multidimensionnel pour les différents pays voisins et notamment pour la Tunisie. De la sécurité nationale à l’économie, en passant par le social et le politique, les risques sont nombreux et interdépendants. Pour faire face à ces menaces, la Tunisie se doit de renforcer sa coopération avec les partenaires internationaux, intensifier la surveillance de ses frontières, et développer des politiques de résilience économique et sociale, s’accordent les observateurs.
D’ailleurs, c’est dans ce sens qu’une réunion a eu lieu en début de semaine entre le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, Joey Hood, ambassadeur des États-Unis en Tunisie et Richard Norland, envoyé spécial américain pour la Libye. Lors de cette rencontre, Richard Norland a salué le rôle positif et constructif joué par la Tunisie pour instaurer un dialogue entre les parties libyennes. Norland affirme que les États-Unis rejetaient des solutions imposées par la force par aucune partie et ont exprimé leur volonté de coordonner avec la Tunisie en faveur d’une résolution politique fondée sur le dialogue et la négociation.
Nabil Ammar n’a pas manqué de rappeler la position du Président Kaïs Saïed qui soutient une solution libyco-libyenne à la crise dans un cadre de consensus, sous l’égide des Nations unies. Ammar a réitéré le soutien de la Tunisie à toutes les initiatives visant à parvenir à une solution globale et durable, garantissant la sécurité, la stabilité et l’unité de la Libye, ainsi que la souveraineté de son peuple sur ses ressources et ses capacités nationales.
Neutralité, un choix stratégique
La Tunisie, en tant que voisin immédiat de la Libye, a historiquement adopté une position de neutralité et de non-ingérence dans les affaires internes de ce pays. Or, depuis la chute de Mouammar Kadhafi, plusieurs factions se disputent le pouvoir en Libye, générant une situation de chaos qui perdure aux portes de la Tunisie. Face à cette instabilité menaçante et qui s’installe dans la durée, la Tunisie a choisi une approche prudente, privilégiant le dialogue et la diplomatie.
Préférant s’exprimer sous le sceau de l’anonymat, un autre ancien diplomate tunisien explique, dans ce sillage, que la politique de neutralité adoptée par la Tunisie dans le dossier libyen s’explique par plusieurs facteurs, dont notamment des choix stratégiques. «Tout d’abord, la Tunisie a toujours cherché à maintenir des relations équilibrées avec tous les acteurs libyens, évitant de prendre parti pour l’une ou l’autre des factions en conflit. Cette posture vise à préserver la sécurité nationale, en évitant de s’attirer l’hostilité de groupes armés présents en Libye, qui pourraient représenter une menace directe pour la Tunisie. Ensuite, la Tunisie, avec son économie fragile, ne dispose pas de suffisamment d’outils pour s’engager directement dans les affaires libyennes.
Le pays a donc préféré s’investir dans des efforts diplomatiques, en jouant le rôle du médiateur entre les différentes parties en conflit. Cette stratégie de non-alignement a permis à la Tunisie de maintenir des canaux de communication ouverts avec les divers acteurs libyens, tout en évitant d’être entraînée dans le bourbier libyen, comme c’est le cas actuellement de l’Egypte et d’autres pays du Golfe directement impliqués». a-t-il conclu.
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