Sécurité alimentaire | Faouzi Zayani – Expert en politique agricole et en développement durable à La Presse : «Assurer dès maintenant l’approvisionnement des besoins en quantités suffisantes de céréales»
La production nationale en céréales est égale à 2.7 millions de quintaux, quant à la consommation nationale elle est égale à 32 millions de quintaux. La Tunisie est donc amenée à importer environ 93 °/° de ses besoins. Un chiffre qui fait froid au dos et qui va peser lourd sur les finances publiques et particulièrement en matière de devises. Dans cette interview, Faouzi Zayani, Expert en politique agricole et en développement durable, analyse la situation et nous donne de plus amples informations sur la question de la souveraineté agricole en Tunisie.
Quel état des lieux faites-vous de la sécurité alimentaire en Tunisie ?
La sécurité alimentaire en Tunisie est menacée et cela à cause de plusieurs facteurs : absence de vision stratégique concernant le secteur agricole et en particulier concernant le secteur céréalier. La production nationale des céréales est en baisse depuis quelques années et, malgré cette situation alarmante, les gouvernements successifs depuis 2011 n’ont pas entrepris les réformes nécessaires et urgentes. En effet, cette année, la production nationale en céréales selon le ministère de l’Agriculture est égale à 2.7 millions de quintaux, quant à la consommation nationale elle est égale à 32 millions de quintaux. Le pays est amené à importer environ 93 % de ses besoins. Un chiffre qui fait froid au dos et qui va peser lourd sur les finances publiques et particulièrement en matière de devises.
Mais le problème le plus grave c’est que les agriculteurs et les citoyens ont l’impression que le domaine agricole en Tunisie n’est pas considéré comme une priorité. Ils ont l’impression également que le gouvernement n’accorde pas l’intérêt nécessaire à ce qui se passe actuellement dans le monde en relation avec les changements climatiques et géopolitiques et les répercussions négatives sur l’économie du pays à savoir sur notre souveraineté alimentaire et notre autosuffisance. Un des derniers communiqués du ministère de l’Agriculture atteste bien cette vision «petit format» de l’agriculture en Tunisie : 17 millions de dinars pour financer la saison des cultures céréalières par personne. Cette somme d’après les responsables du ministère concernerait 3.000 agriculteurs à raison de 5.000 dinars. Rappelons que la Tunisie possède environ 1.8 million d’hectares destinés aux céréales et que le montant des crédits couvre à peine la culture de 30.000 hectares. Nous sommes donc loin du compte et nous considérons que cette mesure est insatisfaisante.
Quels sont les moyens à déployer pour assurer la sécurité alimentaire dans le pays ?
Il faut entreprendre une série de réformes, la plupart urgentes mais réalisables dont on peut valoriser davantage les variétés locales qui ont prouvé une résilience face aux changements climatiques et face aux maladies. En dehors de la culture en sec des céréales qui peuvent assurer jusqu’à 70 % de nos besoins dans de meilleures conditions, il faut consacrer une partie des zones irriguées à la culture céréalière d’environ 150.000 hectares afin d’assurer au moins 30 % supplémentaires.
Il est nécessaire de miser sur le traitement des eaux saumâtres afin de fournir une partie des besoins en eau d’irrigation. Entreprendre également une série de programmes en faveur des agriculteurs afin de les sensibiliser sur la question des changements climatiques et sur les moyens de s’adapter à ce phénomène.
La guerre en Ukraine fait peser de nouveaux risques sur la sécurité alimentaire dans le monde. Que pouvons-nous faire pour combler nos lacunes en la matière ?
La Tunisie traverse depuis quelques années une instabilité économique : les recettes de l’Etat ne couvrent pas les dépenses ce qui a engendré un déficit budgétaire chronique. En même temps, le pays a continué à mener un train de vie qui ne correspond pas à la réalité financière du pays. Le pays n’a engagé aucune réforme nécessaire et urgente pour renforcer les capacités en matière de souveraineté alimentaire et d’autosuffisance.
Dans le même temps, nous n’avons vu aucune initiative gouvernementale et aucune approche visant à proposer un programme de réformes pour assurer même en partie la sécurité alimentaire du pays.
Le pays traverse une phase critique vu l’état des barrages, la sécheresse et la hausse des températures, surtout cet été, et malgré toutes ces difficultés, nous ne voyons aucune initiative de la part des pouvoirs publics pour une meilleure gouvernance des ressources en eau d’irrigation. Aucun programme en faveur des agriculteurs afin de mieux optimiser les ressources en eau et opter en faveur des cultures stratégiques telles que les céréales et les cultures fourragères.
La bonne gestion des ressources en eau est la première décision à prendre pour réformer le secteur céréalier dans le pays et aller vers une production durable et une productivité meilleure que par le passé. Une deuxième décision à prendre est de développer toute sorte de traitement d’eau que ce soit les eaux saumâtres en grande quantité au centre et dans le sud ou les eaux usées capables de fournir environ 25 °/° des besoins en eau d’irrigation. Une troisième décision qui a été prise est de développer le service entretien des barrages et des réseaux d’irrigation, sources de gaspillage depuis des années sans que le ministère de l’Agriculture prenne les bons choix dans ce domaine.
Les crises par lesquelles le monde passe actuellement ont poussé les pays à renforcer leur souveraineté alimentaire. Comment la Tunisie doit-elle Aborder cette question ?
Les prévisions pour la saison 2023 sont médiocres : une sécheresse depuis quatre ans consécutifs, une hausse des températures et un manque d’eau dans les barrages pour une irrigation complémentaire.
Il est évident que le monde, ces dernières années, a connu des événements atroces et tristes et particulièrement le Covid-19, la guerre russo-ukrainienne en plus des changements climatiques qui ont frappé toute la planète.
Ces événements ont présenté une menace réelle pour l’autosuffisance alimentaire et un risque d’instabilité géopolitique dans plusieurs pays. Ces événements étaient l’occasion d’alerter des centaines de pays, y compris la Tunisie, des dangers encourus d’une part, et d’autre part d’entreprendre des réformes urgentes afin d’assurer le minimum garanti d’autosuffisance alimentaire.
Pour le cas tunisien, il faut que le gouvernement assure dès maintenant l’approvisionnement des besoins en quantités suffisantes de céréales d’environ 93 °/°ce qui nécessite beaucoup d’efforts en capacités financières. En contrepartie, le ministère de l’Agriculture a présenté ces derniers jours un programme très modeste qui ne répond pas aux attentes des agriculteurs et même aux attentes de tout citoyen qui s’intéresse à l’économie de son pays.
La Tunisie manque de blé. En effet, 95% des céréales consommées cette année sont importées, une conséquence des politiques agricoles axées sur l’exportation au détriment des cultures essentielles à la sécurité alimentaire. Cette dépendance aux importations expose la population aux caprices des marchés mondiaux. L’importation des semences et des plants, est-ce une menace pour notre souveraineté alimentaire ?
Certainement, la situation du secteur agricole et notamment le secteur céréalier en Tunisie est alarmant. Néanmoins, beaucoup de réformes urgentes sont nécessaires à entreprendre pour éviter les importations à tout-va. L’agriculteur doit être au centre de toute réforme, il faut le soutenir, l’accompagner.
Ce que nous pouvons dire c’est que la récolte des grandes cultures cette saison était en deçà de celle de l’année dernière à cause de la sécheresse qui frappe le pays depuis quatre années consécutives.
Notons bien que le secteur céréalier est si stratégique en Tunisie : 40% des agriculteurs sont des céréaliers et les superficies des terres cultivables dédiées à ce secteur peuvent atteindre les 40% sur 5 millions d’hectares, d’où l’extrême urgence de changer de politique agricole et de veiller à ce que le pays produise davantage de produits de première nécessité et assurer une relative souveraineté alimentaire. Il existe beaucoup de programmes et de stratégies sur lesquelles plusieurs instituts de recherche et de chercheurs ont travaillé afin de proposer des alternatives à la politique menée ces dernières années par le ministère de l’Agriculture, à savoir une meilleure productivité et une production de qualité.
Ces programmes visent à diminuer l’importation au maximum, développer une production nationale durable qui nous protège des caprices des marchés mondiaux et assurer une souveraineté agricole nationale si demandée par les citoyens mais non écoutée par les pouvoirs publics.
Il faut savoir que la question de la souveraineté agricole est un sujet qui relève des politiques publiques nationales donc d’une volonté politique qui veille aux pouvoirs d’achat des agriculteurs et parier sur l’agriculture comme secteur prioritaire et stratégique capable de participer fortement au développement agricole et à la création de richesse.
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