Santé : Malades et sans médicaments, la double peine des patients
La crise de la PCT, la situation des caisses sociales et la dépréciation du dinar, ce sont les trois causes qui expliquent la sévère pénurie de médicaments qui prive les Tunisiens d’un droit constitutionnel, la santé !
Dans les officines, plusieurs médicaments et produits pharmaceutiques manquent, ce n’est plus un fait rare. Cela fait des mois que les Tunisiens sont sanctionnés par cette pénurie de médicaments qui menace leur droit à la santé et aux soins. La situation devient encore plus alarmante si on rappelle que ce manque frappe également des médicaments vitaux.
Si les explications officielles partent dans tous les sens et que les responsables présentent assez souvent des versions contradictoires, les patients se rabattent sur d’autres alternatives pour contourner cette grave situation. Sur les réseaux sociaux, l’élan de solidarité pour venir en aide aux personnes dans le besoin ne peut être une alternative sérieuse et à long terme. A cet effet, les témoignages se font nombreux pour attester de la gravité de la situation dans laquelle se trouve une bonne partie des Tunisiens.
D’ores et déjà, il faut rappeler que l’accès à la santé, aux soins et aux médicaments est un droit universel, outre le fait qu’il est garanti par la Constitution et qu’il est du devoir de l’Etat de protéger la santé des Tunisiens. Frappé de plein fouet par cette pénurie, un patient révèle un quotidien douloureux. « Depuis plusieurs mois nous sommes exposés à cette situation. Je souffre d’un cancer, et c’est la double peine pour moi. A la maladie s’ajoute la pénurie de médicaments. Je suis tout le temps à la recherche de mon traitement, mais c’est toujours la même réponse négative dans les pharmacies. Parfois, ce sont des amis à l’étranger qui me le procurent, mais ce n’est pas toujours évident, c’est inadmissible », regrette-t-il. Un témoignage qui en dit long sur le quotidien de certains patients, devenu malheureusement un cauchemar.
Les données officielles manquent, puisque aucune liste n’a été publiée par l’autorité de tutelle, précisant le nombre de médicaments actuellement en rupture de stock. Même si certains chiffres sont évoqués par l’Observatoire national pour le contrôle des médicaments, ces données ne sont pas régulièrement mises à jour.
Il faut lever la subvention sur les médicaments qui ont un générique fabriqué localement
D’ailleurs, face à l’absence de données officielles, les rumeurs prospèrent. Plusieurs informations laissent croire que jusqu’à 900 médicaments manquent dans les officines. Contacté par La Presse, Naoufel Amira, président du Syndicat des propriétaires de pharmacies privées (Spot), a démenti ces chiffres, exagérés d’après lui.
Selon sa propre estimation, la liste concerne environ 70 médicaments vitaux qui n’ont pas d’équivalents fabriqués localement et qui sont inexistants sur le marché. « Dire que 900 médicaments manquent n’est pas précis. Il est clair que les officines connaissent des problèmes d’approvisionnement de certains médicaments vitaux, mais il ne faut pas exagérer. Ce chiffre circule sans source clairement identifiée, a-t-il estimé. Ajoutant que les données officielles proviennent de l’Observatoire national pour le contrôle des médicaments. Cependant, cette instance n’a pas organisé de réunions mensuelles au ministère de la Santé depuis sept mois », explique-t-il.
Interrogé sur les origines de cette situation, le responsable syndical évoque tout un système à revoir. « Il est vrai que la situation de la Pharmacie centrale explique en premier ces pénuries, mais c’est tout un système de santé qui est à revoir en Tunisie. Les deux mécanismes d’importation et de distribution des produits pharmaceutiques doivent être réformés. Il faut également lever la subvention sur les médicaments ayant un générique fabriqué en Tunisie. De même, il est primordial de dissocier le système de retraite de celui de la santé dans nos politiques publiques », analyse-t-il.
Aux origines de la crise
Pour sa part, la secrétaire générale du Conseil de l’ordre des pharmaciens, Thouraya Ennaifer, estime que les chiffres présentés sur la pénurie des médicaments sont souvent gonflés. « Il est vrai qu’il existe une pénurie des médicaments en Tunisie, mais dire qu’il y a 920 médicaments qui manquent est inconcevable. Jamais une telle situation ne s’est produite et on espère que cela n’arrivera pas », a-t-elle expliqué à La Presse, appelant toutefois à prendre des mesures immédiates « car le patient veut trouver son médicament quand il en a besoin », a-t-elle expliqué.
A l’origine de tout, la situation alarmante de la Pharmacie centrale, mais derrière, tout un système de financement du secteur de la santé et des assurances maladies qui sont à revoir, selon les professionnels du secteur. Car il faut dire que la situation de la PCT relève d’une chaîne d’endettement impliquant les caisses sociales, les hôpitaux et même les entreprises publiques. Cette situation remonte à 2015, lorsque la PCT s’est enfoncée dans une crise financière étouffante. Depuis, la situation est au point mort et la crise frappe de plein fouet les patients.
Selon les dernières données disponibles, la Pharmacie centrale cumule des dettes auprès des laboratoires pharmaceutiques estimées à 750 millions de dinars. Mobiliser des financements conjoncturels au fil des dernières années au profit de cet établissement public n’était pas suffisant pour améliorer la situation financière. Mais il faut rappeler que la dette de la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam) auprès de la Pharmacie centrale s’élèverait à 5 milliards de dinars, un chiffre qui donne le vertige.
En tout état de cause, la situation de la Pharmacie centrale devra être traitée prioritairement. C’est un dossier qui relève de la sécurité nationale. Si les causes de cette crise sont principalement financières et de gestion, l’enjeu est de taille : préserver le droit à la vie des Tunisiens.
Une fois que c’est dit, la crise de la PCT ne résume pas à elle seule la pénurie de médicaments en Tunisie. D’ailleurs, selon l’Observatoire tunisien de l’économie (OTE), cette situation trouve ses origines dans la dépréciation du dinar tunisien, qui a entraîné une chaîne de conséquences dévastatrices pour le secteur pharmaceutique, largement tributaire des importations.
Dans une note récemment publiée, l’OTE met en évidence les effets néfastes de la chute de la monnaie nationale face à de fortes devises comme l’euro et le dollar. De même, la baisse de la valeur du dinar a alourdi la facture de l’importation des médicaments pour la PCT, tandis que cette dernière continue de les vendre aux mêmes prix afin de préserver l’accessibilité financière des médicaments.
Enfin, il faut souligner le fait que le principe de redevabilité dans le domaine de la santé est quasi inexistant. Or, les professionnels doivent faire preuve de transparence. Cela signifie fournir des informations claires et précises sur les politiques, les procédures, les coûts, la qualité des soins, etc. Les patients et le public doivent pouvoir accéder à ces informations, or, dans le cas d’espèce, même une liste officielle des médicaments en rupture de stock fait défaut !
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