Economie tunisie

Saison agricole 2024-2025 | Chokri Faouzi, Expert sénior en développement durable et changement climatique à La Presse : «La prochaine campagne agricole arrive dans un contexte difficile…»

 

Le coût environnemental relativement élevé de certaines cultures, en particulier celles très gourmandes en eau (à l’instar du palmier dattier et des agrumes), représente un problème important qui nécessite la révision de la carte agricole et l’allocation des ressources entre les différentes cultures.

Les dernières précipitations enregistrées récemment dans l’ensemble des régions du pays sont très bénéfiques pour la biodiversité et l’alimentation en eau potable. Que peut-on dire de ces pluies pour la campagne agricole 2024-25 ?      

La Tunisie, caractérisée par l’irrégularité et la variabilité de sa pluviométrie annuelle, bénéficie d’un apport moyen d’eau annuel de 36 milliards de m3, dont seulement 4,8 milliards de m3 (13 %) forment le potentiel annuel en eau bleue pouvant être mobilisée. Le reste est évaporé, stocké dans les zones humides ou s’écoule vers la mer. La baisse de la pluviométrie moyenne et l’augmentation de l’intensité et de la fréquence des périodes sèches conduisent à une diminution continue de l’humidité des sols et réduisent continuellement le stock d’eau de surface et souterraine. Aussi, l’intensification de l’agriculture et son étalement sur les écosystèmes naturels, comme les forêts, ainsi que l’extension urbaine augmentent considérablement les besoins en eau pour des fins agricole et domestique. Le changement climatique devrait aggraver le stress hydrique, contribuer à la dégradation des agroécosystèmes (production oléicole, arboriculture, élevage, grandes cultures, etc.) et accentuer la fréquence des phénomènes extrêmes. Il faut signaler ici que malgré l’impact positif des dernières précipitations enregistrées récemment dans l’ensemble des régions du pays sur la biodiversité et pour l’alimentation en eau potable celles-ci restent toujours insuffisantes pour le bon déroulement de la campagne agricole 2024-25.            

Comment peut-on gérer la problématique cruciale de la gestion de l’eau dans le secteur agricole, en termes d’adaptation et d’atténuation des effets du changement climatique pour une meilleure résilience du secteur ?

Pour répondre à cette question, il faut savoir d’abord que l’agriculture est naturellement un grand secteur consommateur d’eau (près de 80% des ressources). Le coût environnemental relativement élevé de certaines cultures, en particulier celles très gourmandes en eau (à l’instar du palmier dattier et des agrumes) représente un problème important qui nécessite la révision de la carte agricole et l’allocation des ressources entre les différentes cultures.

En effet, certains produits agricoles destinés à l’exportation consomment beaucoup d’eau et contribuent largement à la surexploitation de la nappe. A titre d’exemple, la production d’un kilogramme de dattes nécessite environ 3.000 litres d’eau, celle d’un kilogramme d’oranges est de 560 litres d’eau.

En termes d’adaptation et d’atténuation des effets du changement climatique pour une meilleure résilience du secteur agricole en Tunisie et pour renforcer leurs marges de manœuvre et soutenir leurs productions, les agriculteurs sont appelés à maîtriser et adopter des techniques agricoles, permettant l’économie d’eau et l’optimisation de l’irrigation. Ainsi, la pratique du goutte-à-goutte devra être généralisée et bien maîtrisée pour alléger la pression sur la nappe et minimiser les pertes d’eau provoquées par la vétusté des installations.

Aussi, pour faire face aux périodes de sécheresse prolongées, revenir aux techniques ancestrales de collecte des eaux a bien fait ses preuves dans plusieurs régions souffrant de manque d’eau. Des études ont ainsi démontré que le petit hydraulique, comme les ‘jessour’ dans le Sud-Est tunisien est un patrimoine technologique traditionnel qui pourrait servir le développement durable. En effet, les pluies torrentielles et sous forme d’averses, caractéristiques de cette région, donnent lieu à des ruissellements violents qui sont captés par les ‘jessour’ parfaitement adaptés aux conditions du milieu naturel. Les ‘Jessour’, les ‘Majel’ et ‘Fasguia’ permettent de collecter et stocker les eaux de pluies pendant les jours pluvieux pour un usage tout au long de l’année. Avec le retour aux techniques ancestrales, la recherche dans le domaine de l’économie d’eau doit être encouragée et les innovations divulguées et partagées avec les agriculteurs pour tester leur efficacité et assurer la complémentarité entre la recherche agricole et le monde professionnel.

Il faut noter ici que, parmi les solutions durables qui doivent être généralisées, figure l’investissement dans les eaux non conventionnelles (traitement des eaux usées et dessalement d’eau de mer). Avec un taux de mobilisation des eaux conventionnelles qui dépasse déjà les 90%, cette mesure pourrait alléger la pression sur les nappes et contribuer à sécuriser l’alimentation en eau.

Quelles solutions proposez-vous pour atténuer les effets néfastes de la sécheresse sur la campagne agricole 2024-25 ? Est-il temps de repenser les politiques agricoles ?

Pour atténuer les effets néfastes de la sécheresse sur la campagne agricole 2024-25 et aussi pour les futures campagnes, un ensemble d’actions abordables et urgentes doit être réalisé, à savoir : en augmentant l’approvisionnement en eau et en améliorant la gestion de l’eau par les actions suivantes : le contrôle de la demande en eau par la tarification et le comptage, la modernisation, la réhabilitation et l’extension des réseaux d’eau, le développement et l’amélioration de la qualité de l’approvisionnement et de la distribution des sources d’eau non conventionnelles, la protection des eaux (souterraines) contre les abus et la pollution agricole, l’amélioration de la gestion de l’eau en élaborant des plans d’action et en effectuant un inventaire des prélèvements d’eau.

En augmentant la résilience et l’efficacité du secteur agricole et en tirant profit des solutions naturelles par les actions suivantes: encourager la protection et la réhabilitation des écosystèmes, développer et promouvoir l’utilisation et la recherche dans le domaine de l’agriculture et de l’élevage et lutter contre les pertes et le gaspillage alimentaire.

Pouvez-vous nous donner un aperçu sur les préparatifs pour la nouvelle saison agricole 2024-25 au niveau de l’approvisionnement en engrais et semences?

Le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, représenté par ses services régionaux, se mobilise pour la prochaine campagne agricole 2024-25 qui intervient dans un contexte très difficile, marqué par l’aggravation du stress hydrique et la montée des coûts de production.

C’est parti pour les préparatifs de la prochaine campagne agricole 2024-25. En effet, le ministère annonce une série de mesures, en matière notamment d’approvisionnement en facteurs de production végétale (semences et engrais) et animale (alimentation), de développement des filières agricoles, de gestion de l’eau d’irrigation, d’assurance agricole, de financement et d’accompagnement des agriculteurs.

S’agissant des engrais phosphatés, azotés et des pesticides, l’approvisionnement du marché se fait d’une façon normale au même prix que la campagne précédente malgré que le marché des pesticides soit soumis à la loi de l’offre et de la demande.

Pour l’approvisionnement des engrais et d’après la Direction générale de la production agricole au ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, la Tunisie prévoit d’importer au moins 70.000 t d’ammonitrate pour couvrir la demande pendant la saison des grandes cultures 2024-2025, dans le cadre d’un plan visant à fournir 300.000 t de différents types d’engrais aux agriculteurs et prévoit aussi de fournir 220.000 t d’ammonitrate dont 150.000 t seront produites par le Groupe chimique tunisien.

Le ministère de l’Agriculture envisage, également, de fournir 120.000 t de Diammonium Phosphate (DAP) et de 30.000 t de Super 45.

Les opérations d’approvisionnement en engrais chimiques ont déjà démarré et le gouvernement a décidé de maintenir les mêmes prix d’acquisition de ces produits. Le prix de détail d’une tonne d’ammonitrate a été fixé à 720 dinars et le triple superphosphate à 700 dinars la tonne.

Pour les pesticides et d’après la Direction générale de la production agricole au ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, 31 substances actives de pesticides à usage agricole, classées hautement dangereuses (HHP) et figurant sur la liste de l’ONG internationale Pesticide Action Network (PAN), ont été enfin retirées du marché tunisien. Ces substances sont interdites en Europe et dans d’autres pays du monde. Six autres substances actives ont fait l’objet de restrictions d’usage. Il s’agit essentiellement de 10 insecticides, 11 fongicides, 2 herbicides, 7 substances actives, 3 nématicides, en plus des 6 substances actives qui ont fait l’objet de restrictions d’usage.

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Le coût environnemental relativement élevé de certaines cultures, en particulier celles très gourmandes en eau (à l’instar du palmier dattier et des agrumes), représente un problème important qui nécessite la révision de la carte agricole et l’allocation des ressources entre les différentes cultures.

Les dernières précipitations enregistrées récemment dans l’ensemble des régions du pays sont très bénéfiques pour la biodiversité et l’alimentation en eau potable. Que peut-on dire de ces pluies pour la campagne agricole 2024-25 ?      

La Tunisie, caractérisée par l’irrégularité et la variabilité de sa pluviométrie annuelle, bénéficie d’un apport moyen d’eau annuel de 36 milliards de m3, dont seulement 4,8 milliards de m3 (13 %) forment le potentiel annuel en eau bleue pouvant être mobilisée. Le reste est évaporé, stocké dans les zones humides ou s’écoule vers la mer. La baisse de la pluviométrie moyenne et l’augmentation de l’intensité et de la fréquence des périodes sèches conduisent à une diminution continue de l’humidité des sols et réduisent continuellement le stock d’eau de surface et souterraine. Aussi, l’intensification de l’agriculture et son étalement sur les écosystèmes naturels, comme les forêts, ainsi que l’extension urbaine augmentent considérablement les besoins en eau pour des fins agricole et domestique. Le changement climatique devrait aggraver le stress hydrique, contribuer à la dégradation des agroécosystèmes (production oléicole, arboriculture, élevage, grandes cultures, etc.) et accentuer la fréquence des phénomènes extrêmes. Il faut signaler ici que malgré l’impact positif des dernières précipitations enregistrées récemment dans l’ensemble des régions du pays sur la biodiversité et pour l’alimentation en eau potable celles-ci restent toujours insuffisantes pour le bon déroulement de la campagne agricole 2024-25.            

Comment peut-on gérer la problématique cruciale de la gestion de l’eau dans le secteur agricole, en termes d’adaptation et d’atténuation des effets du changement climatique pour une meilleure résilience du secteur ?

Pour répondre à cette question, il faut savoir d’abord que l’agriculture est naturellement un grand secteur consommateur d’eau (près de 80% des ressources). Le coût environnemental relativement élevé de certaines cultures, en particulier celles très gourmandes en eau (à l’instar du palmier dattier et des agrumes) représente un problème important qui nécessite la révision de la carte agricole et l’allocation des ressources entre les différentes cultures.

En effet, certains produits agricoles destinés à l’exportation consomment beaucoup d’eau et contribuent largement à la surexploitation de la nappe. A titre d’exemple, la production d’un kilogramme de dattes nécessite environ 3.000 litres d’eau, celle d’un kilogramme d’oranges est de 560 litres d’eau.

En termes d’adaptation et d’atténuation des effets du changement climatique pour une meilleure résilience du secteur agricole en Tunisie et pour renforcer leurs marges de manœuvre et soutenir leurs productions, les agriculteurs sont appelés à maîtriser et adopter des techniques agricoles, permettant l’économie d’eau et l’optimisation de l’irrigation. Ainsi, la pratique du goutte-à-goutte devra être généralisée et bien maîtrisée pour alléger la pression sur la nappe et minimiser les pertes d’eau provoquées par la vétusté des installations.

Aussi, pour faire face aux périodes de sécheresse prolongées, revenir aux techniques ancestrales de collecte des eaux a bien fait ses preuves dans plusieurs régions souffrant de manque d’eau. Des études ont ainsi démontré que le petit hydraulique, comme les ‘jessour’ dans le Sud-Est tunisien est un patrimoine technologique traditionnel qui pourrait servir le développement durable. En effet, les pluies torrentielles et sous forme d’averses, caractéristiques de cette région, donnent lieu à des ruissellements violents qui sont captés par les ‘jessour’ parfaitement adaptés aux conditions du milieu naturel. Les ‘Jessour’, les ‘Majel’ et ‘Fasguia’ permettent de collecter et stocker les eaux de pluies pendant les jours pluvieux pour un usage tout au long de l’année. Avec le retour aux techniques ancestrales, la recherche dans le domaine de l’économie d’eau doit être encouragée et les innovations divulguées et partagées avec les agriculteurs pour tester leur efficacité et assurer la complémentarité entre la recherche agricole et le monde professionnel.

Il faut noter ici que, parmi les solutions durables qui doivent être généralisées, figure l’investissement dans les eaux non conventionnelles (traitement des eaux usées et dessalement d’eau de mer). Avec un taux de mobilisation des eaux conventionnelles qui dépasse déjà les 90%, cette mesure pourrait alléger la pression sur les nappes et contribuer à sécuriser l’alimentation en eau.

Quelles solutions proposez-vous pour atténuer les effets néfastes de la sécheresse sur la campagne agricole 2024-25 ? Est-il temps de repenser les politiques agricoles ?

Pour atténuer les effets néfastes de la sécheresse sur la campagne agricole 2024-25 et aussi pour les futures campagnes, un ensemble d’actions abordables et urgentes doit être réalisé, à savoir : en augmentant l’approvisionnement en eau et en améliorant la gestion de l’eau par les actions suivantes : le contrôle de la demande en eau par la tarification et le comptage, la modernisation, la réhabilitation et l’extension des réseaux d’eau, le développement et l’amélioration de la qualité de l’approvisionnement et de la distribution des sources d’eau non conventionnelles, la protection des eaux (souterraines) contre les abus et la pollution agricole, l’amélioration de la gestion de l’eau en élaborant des plans d’action et en effectuant un inventaire des prélèvements d’eau.

En augmentant la résilience et l’efficacité du secteur agricole et en tirant profit des solutions naturelles par les actions suivantes: encourager la protection et la réhabilitation des écosystèmes, développer et promouvoir l’utilisation et la recherche dans le domaine de l’agriculture et de l’élevage et lutter contre les pertes et le gaspillage alimentaire.

Pouvez-vous nous donner un aperçu sur les préparatifs pour la nouvelle saison agricole 2024-25 au niveau de l’approvisionnement en engrais et semences?

Le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, représenté par ses services régionaux, se mobilise pour la prochaine campagne agricole 2024-25 qui intervient dans un contexte très difficile, marqué par l’aggravation du stress hydrique et la montée des coûts de production.

C’est parti pour les préparatifs de la prochaine campagne agricole 2024-25. En effet, le ministère annonce une série de mesures, en matière notamment d’approvisionnement en facteurs de production végétale (semences et engrais) et animale (alimentation), de développement des filières agricoles, de gestion de l’eau d’irrigation, d’assurance agricole, de financement et d’accompagnement des agriculteurs.

S’agissant des engrais phosphatés, azotés et des pesticides, l’approvisionnement du marché se fait d’une façon normale au même prix que la campagne précédente malgré que le marché des pesticides soit soumis à la loi de l’offre et de la demande.

Pour l’approvisionnement des engrais et d’après la Direction générale de la production agricole au ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, la Tunisie prévoit d’importer au moins 70.000 t d’ammonitrate pour couvrir la demande pendant la saison des grandes cultures 2024-2025, dans le cadre d’un plan visant à fournir 300.000 t de différents types d’engrais aux agriculteurs et prévoit aussi de fournir 220.000 t d’ammonitrate dont 150.000 t seront produites par le Groupe chimique tunisien.

Le ministère de l’Agriculture envisage, également, de fournir 120.000 t de Diammonium Phosphate (DAP) et de 30.000 t de Super 45.

Les opérations d’approvisionnement en engrais chimiques ont déjà démarré et le gouvernement a décidé de maintenir les mêmes prix d’acquisition de ces produits. Le prix de détail d’une tonne d’ammonitrate a été fixé à 720 dinars et le triple superphosphate à 700 dinars la tonne.

Pour les pesticides et d’après la Direction générale de la production agricole au ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, 31 substances actives de pesticides à usage agricole, classées hautement dangereuses (HHP) et figurant sur la liste de l’ONG internationale Pesticide Action Network (PAN), ont été enfin retirées du marché tunisien. Ces substances sont interdites en Europe et dans d’autres pays du monde. Six autres substances actives ont fait l’objet de restrictions d’usage. Il s’agit essentiellement de 10 insecticides, 11 fongicides, 2 herbicides, 7 substances actives, 3 nématicides, en plus des 6 substances actives qui ont fait l’objet de restrictions d’usage.

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