Ridha Chiba, conseiller international en exportation à La Presse : «La CPG peut remonter la pente et sortir de sa situation difficile»
La Tunisie passe actuellement par des moments pénibles au niveau des divers secteurs politique, social, économique et financier. Cela a évidemment affecté le marché du travail et de l’emploi qui a été véritablement la cause de la mise en difficulté de plusieurs entreprises, de licenciement d’un nombre important d’employés et de la mise en chômage d’un bon nombre de diplômés.
A cet effet, et pour mieux comprendre la situation économique en Tunisie et surtout les problèmes auxquels sont confrontés des secteurs stratégiques comme celui des phosphates, nous avons contacté Ridha Chiba, conseiller international en exportation, pour nous expliquer en quoi résident la crise économique en Tunisie et la situation actuelle du secteur du phosphate, ses perspectives d’avenir ainsi que les solutions à proposer pour remédier à tous les obstacles qui entravent son exploitation de la manière la plus optimale. Interview.
Que diriez-vous pour décrire la crise économique tunisienne actuelle ?
La crise économique en Tunisie se caractérise encore par un fléchissement total de la conjoncture afférente principalement aux activités économique et financière. Ceci se manifeste à travers l’impact qu’entraîne cette dégradation dans notre pays et qui est visible à plusieurs niveaux. D’abord, la flambée des prix non justifiée en l’absence d’un contrôle rigoureux dissuasif de la part des autorités aussi bien au niveau des prix que des circuits de distribution. Ce phénomène a réduit considérablement le pouvoir d’achat des citoyens et a mis définitivement un terme à la classe moyenne. Ensuite, il y a le commerce informel qui a pris une grande envergure sans que l’Etat en profite. Egalement, la dilapidation d’une somme très importante de devises dans les opérations d’importation, le manque flagrant au niveau des investissements nationaux dans des secteurs créateurs de richesse telles l’industrie et l’agriculture.
Il ne faut pas oublier non plus le déficit commercial et budgétaire qui résulte d’une mauvaise politique économique et financière basée essentiellement sur l’endettement et la fiscalité inégale, qui ne peuvent que ruiner le pays et créer une instabilité sociale.
L’autre problème lié à la crise économique concerne la non-assistance des entreprises, principalement les petites et moyennes entreprises, pour faire face aux divers défis économiques et financiers auxquels elles sont confrontées.
Il y a, également, le comportement aberrant des spéculateurs, illustré par les pénuries régulières et ressenties par la population dans des diverses denrées, telles que le café, le sucre, les semoules et autres dérivés. Je citerais, par ailleurs, la croissance économique très faible ne dépassant pas les 2% et le déficit budgétaire de 7,7% en 2022, le taux d’inflation, ainsi que le taux de chômage dépassant respectivement les 10% et les 16%.
D’après vous, pourquoi le secteur des phosphates demeure-t-il toujours dans une situation difficile ?
C’est la Compagnie des phosphates de Gafsa qui gère ce secteur stratégique important. Cette société se trouve à Gafsa. Elle est spécialisée dans la préparation du terrain, l’extraction, la production et la commercialisation des phosphates. Toutefois, à cause de certains problèmes, notamment exogènes, elle demeure toujours en difficulté.
C’est en 1976 que cette société est devenue une entreprise d’Etat et a changé de nom après la reprise de ses activités de transport ferroviaire par la Société nationale des chemins de fer tunisiens. L’année de référence demeure celle de 2010, où un bénéfice net de 373 millions de dinars a été dégagé.
Toutefois, à partir de l’année 2011, ses problèmes se multiplient et s’accentuent davantage, et ce, pour plusieurs raisons. Nous pouvons retenir les plus importantes comme la forte pression sociale qu’a connue le gouvernorat de Gafsa qui a été confronté à un fort taux de chômage, les chômeurs qui ont bloqué les voies de chemin de fer et freiné l’acheminement du minerai vers la ville de Sfax. Ce qui a contraint la société à accroître le nombre de ses employés et recruter davantage affectant, ainsi, la trésorerie de la société.
C’est à cause de ces mouvements sociaux et des blocages de la route et de la production que cette dernière a chuté et que la compagnie a beaucoup perdu de ses marchés internationaux après avoir été l’une des plus importantes productrices de phosphates occupant la cinquième place mondiale.
Ceci a aggravé véritablement sa situation économique, financière et sociale. Cette chute est aussi le résultat d’une incapacité structurelle au niveau des moyens de transport utilisés.
A titre d’exemple, la société a enregistré une baisse très significative au niveau de la capacité de transport ferroviaire entre 2010 et 2019, soit moins de 77 % de ce qui a été réalisé auparavant. Ce qui a obligé les responsables de la société à adopter le transport routier à côté du transport ferroviaire, et ce, en vue de remédier et surtout d’ajuster le manque à gagner subi.
Il n’est pas aussi superfétatoire de mentionner que son rôle social dans la région, en tant que sponsor de l’équipe locale et parraineur de plusieurs manifestations sociales, culturelles et sportives dans la région, apaise assurément la tension sociale et encourage les gens à s’extérioriser davantage, chacun dans son domaine, moyennant des dons et des subventions de la part de la société. Ceci a certainement alourdi ses dépenses.
A vrai dire, malgré le cumul des pertes de la société des phosphates de Gafsa, enregistré entre 2010 et 2019, qui est de l’ordre de 603 millions de dinars, et la baisse de la production de l’ordre de 3,6 millions de tonnes par an en 2019, cette Compagnie peut toujours remonter la pente et sortir de sa situation difficile de manière progressive. Ainsi, la société reviendra à son activité normale et réalisera les objectifs escomptés, évidemment si le gouvernement l’entoure de tous les soins en lui assurant toutes les conditions requises de décollage et de réussite continue.
Aussi, le grand nombre d’employés et la masse salariale qui s’élève à 318 millions de dinars en 2021 constituent un handicap majeur pour assurer le développement de cette importante entreprise nationale.
Quelles sont les restructurations possibles à mettre en place pour assurer la réussite de cette compagnie et la reprise de ses activités dans les meilleures conditions ?
D’emblée, la Compagnie des phosphates de Gafsa ne doit aucunement être une société à vocation sociale au détriment de sa vocation économique. Elle doit travailler conformément à des objectifs préalablement fixés en amont. Elle doit exploiter son plan de charge de la manière la plus optimale, c’est-à-dire utiliser tous les moyens dont elle dispose avec le concours de l’Etat, des ressources humaines, financières, logistiques et de production, tout en passant par plusieurs étapes : la planification, l’organisation, la direction et le contrôle. Et, aussi selon une norme de qualité et un ordonnancement rigoureux conformément à des objectifs allant de pair avec les attentes des clients.
L’Etat doit absolument assister cette société et aussi investir dans cette région pour diversifier le marché du travail, participer à la création de la richesse et surtout diminuer ses fortes charges. A titre d’exemple, on se demande quand est-ce que l’Etat tunisien va entamer la construction de l’hôpital de Gafsa dont les frais, à savoir 60 millions d’euros, ont été déjà cédés par le gouvernement français ?
L’Etat doit, aussi, mettre un terme à tout ce qui est de nature à nuire à l’ordre public et à résoudre tous les problème dans le cadre d’un dialogue pacifique ouvrant les horizons à tous les intervenants en encourageant les initiatives privées et en faisant créer de nouvelles entreprises capables d’absorber le chômage dans la région de Gafsa, sans omettre la restructuration de la Compagnie des phosphates, afin que les réalisations aillent de pair avec les objectifs fixés en avance.
D’un autre côté, la Société nationale des chemins de fer tunisiens doit absolument réhabiliter toutes les lignes de chemin de fer ainsi qu’un grand nombre de wagons pour qu’ils soient opérationnels et redémarrer dans les meilleurs délais en vue de doubler les capacités de transport.
Comment jugez-vous les perspectives d’avenir de l’activité du phosphate ?
En fait, la Compagnie des Phosphates de Gafsa a déjà réalisé une production d’environ 3,8 millions de tonnes de phosphate commercial au cours de l’année 2021, soit 17 % en deçà de l’objectif fixé par la compagnie.
Evidemment, cet écart entre ce qui a été programmé, les objectifs escomptés et le volume de production enregistré s’explique par le mauvais démarrage à cause des grèves sur le tas à répétition et la suspension des activités d’extraction dans les différentes unités de production.
Pour mettre un terme à la lenteur du rythme de production au cours des dernières années, la Compagnie des Phosphates de Gafsa doit absolument se fixer un objectif ambitieux en investissant et en comptant sur le plein fonctionnement de ses unités de production pour atteindre une production dépassant les 5 millions de tonnes en 2023, en maintenant un rythme mensuel de 400.000 tonnes sur les différentes unités de production, Metlaoui, M’dhilla, Om Laârayes et Redeyef.
Certes, il s’agit d’un objectif assez ambitieux, compte tenu des performances réalisées ces dernières années, mais la reprise n’est pas impossible si nous nous référons à l’année 2010, où la production de phosphate en Tunisie a connu une augmentation notable, atteignant un niveau historique de plus de huit millions de tonnes extraites et traitées.
De même, la réalisation de ce dessein nécessite que toutes les conditions de réussite soient réunies, et ce, en faisant fonctionner toutes les unités avec un plan de charge optimal, en investissant davantage pour l’achat de nouveaux équipements, en résolvant les problèmes de transport par l’établissement d’une coopération bilatérale avec la Société nationale des chemins de fer tunisiens, le cas échéant, l’achat de nouveaux camions.
Que proposez-vous d’autre en guise de conclusion ?
Pour conclure, nous disons qu’un marché sûr et important comme celui des phosphates ne doit nullement être négligé par l’insouciance et l’indifférence de quiconque, quelles que soient les conditions.
L’Etat doit absolument être intransigeant devant toute personne voulant freiner l’activité de la société et son développement continu et considérer ces derniers comme étant une ligne rouge à ne pas dépasser.
Encore, il faut ajouter qu’au lieu de solliciter des investissements étrangers pour l’implantation de sociétés étrangères sur le territoire tunisien, ne serait-il pas mieux pour l’Etat de réhabiliter les sociétés fermées comme les «AMS», «Tunisie Lait» et aussi assister les entreprises de grande envergure qui demeurent en difficulté pour qu’elles puissent redémarrer convenablement. C’est le meilleur moyen pour améliorer la croissance économique requise qui engendre la richesse, assure le développement continu et crée de nouveaux emplois.
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