Restructuration imposée par le FMI : La Steg sous l’emprise des réformes
La réforme des entreprises publiques est, aujourd’hui, nécessaire, mais elle doit résulter d’un débat national, axé sur la préservation des droits socioéconomiques des citoyens ainsi que du rôle social de l’Etat, mais aussi la résilience économique de l’entreprise publique.
Dans le cadre de la série des rencontres-débats « OTE talk » sur « la dette, les institutions financières internationales et leurs impacts », organisées périodiquement par l’Observatoire tunisien de l’économie (OTE), la restructuration de la Société tunisienne de l’électricité et du gaz (Steg) était au rendez-vous, vu sa crise financière actuelle, qui pourrait être résolue grâce à un plan de restructuration financière et de modernisation visant à renforcer la gouvernance interne et externe de la société.
Cette rencontre, qui traite toujours la réforme des entreprises publiques imposée dans le cadre des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI), a été marquée par la présence de Atef Bouabdallah, membre du conseil d’administration de la Steg et membre de la Fédération de l’électricité et du gaz (Fgeg), affiliée à l’Ugtt, Ameni Ben Sik Ali, membre de l’OTE, et Wael Ouinifi, journaliste au sein du media « Al Qatiba ».
Les ajustements de prix, une décision de l’Etat
Le débat était une occasion pour comprendre l’augmentation, récente et très critiquée, de la facture énergétique chez les Tunisiens.
Lors de son intervention, Wael Ouinifi a présenté une analyse de l’impact de la levée des subventions sur l’électricité, recommandée par le FMI, sur les citoyens et entreprises, en mettant particulièrement l’accent sur la classe moyenne. Il a, à cet effet, révélé que la Steg subventionne la consommation à moyenne tension (zones industrielles) à hauteur de 30% de la facture, tandis que pour la basse tension (ménages), la subvention atteint 46% pour l’électricité et dépasse même les 60% pour le gaz.
Ouinifi a, aussi, examiné les conséquences de cette mesure, mettant en évidence la suppression progressive par le gouvernement des paliers de consommation une fois que la consommation dépasse le seuil de 200 kWh par mois.
Il a souligné que cette levée de subvention affecterait directement non seulement les ménages aisés, comme le gouvernement le soutient, mais surtout la classe moyenne. L’intervenant a relevé aussi le problème de la perte énergétique et a soulevé la question de l’endettement de l’État et des institutions publiques auprès de l’entreprise, qui pèsent lourd sur sa résilience et sa soutenabilité.
Pour sa part, Atef Bouabdallah a souligné que les ajustements de prix sur les factures n’étaient pas une décision de l’entreprise, mais une décision de l’Etat prise après l’audit imposé par le FMI et réalisé avec l’assistance de la Banque mondiale en 2013.
Il a, également, mentionné plusieurs facteurs qui ont contribué à la crise de l’entreprise, notamment le non-respect des engagements de soutien de l’État envers la Steg, la rareté des ressources énergétiques disponibles, l’augmentation de la demande en électricité en Tunisie, les créances impayées de l’État envers la société, les pertes énergétiques et les effets de la dévaluation du dinar.
Au croisement des réformes
Lors de cette rencontre, il a été aussi reconnu que la réforme des entreprises publiques tunisiennes ne peut être dissociée des autres réformes (la dévaluation du dinar, la levée des subventions sur l’énergie…), imposées par le FMI depuis 2013 et que la Steg se trouve, depuis près de dix ans, au croisement de ces réformes.
Les participants ont, en effet, insisté sur l’importance de réfléchir au type de réforme à envisager, en se demandant s’il devait s’agir d’une privatisation ou d’une consolidation de la résilience de l’entreprise tout en préservant son rôle social.
Pour décortiquer le problème, Ameni Ben Sik Ali a mis en évidence les défis spécifiques auxquels la Steg est confrontée en tant qu’entreprise publique dans le contexte des réformes économiques dictées par le FMI.
Elle a, à cet égard, souligné que la réforme de la Steg cible sa gouvernance, ses missions de production, de transport et de distribution de l’électricité et du gaz, ainsi que le soutien dont elle bénéficie de la part de l’État.
Au-delà de la restructuration interne de la Steg, la réforme de cette entreprise publique, acteur principal du secteur de l’énergie, s’étend aussi au secteur entier, de par son ouverture à la concurrence et le rôle que l’Etat joue dans le secteur, et suppose un retrait de l’Etat dans ce secteur stratégique.
Réformer le soutien de l’Etat
Pour réformer le soutien de l’Etat à la Steg, Ben Sik Ali a rappelé que l’État a signé, depuis 2013, un ordre de mission pour la réalisation, avec la Banque mondiale, de l’audit pour le système de subvention des carburants au niveau de la Steg et de la Stir qui avait principalement deux objectifs, à savoir faire le point sur les situations financières et de gouvernance des entreprises en question et évaluer l’appui financier de l’État à ces entreprises.
L’audit ne fut prêt qu’en mars 2014, et c’est en avril 2014 que le FMI a publié la troisième revue en mentionnant la réalisation de cet audit et soulignant la nécessité de rendre toutes les sociétés énergétiques responsables de leurs propres factures d’importation, afin de clarifier le degré de subvention de chaque société.
Le 4 décembre 2013, le gouvernement a annoncé le consensus initial pour mandater la Steg pour l’importation de ses besoins en gaz naturel sans recourir à l’Etap. Puis quelques mois plus tard, en mai 2014, un Conseil ministériel a approuvé la séparation d’achat de pétrole brut et de gaz naturel entre les entreprises publiques concernées par le système de subvention de l’énergie à compter du 1er janvier 2015. En conséquence, la Steg ne bénéficie plus de la subvention indirecte à travers le coût d’achat réduit et devient responsable de ses propres achats en gaz naturel.
La société a été obligée d’acheter du gaz algérien directement, sans passer par l’Etap. Ainsi, le financement de ses achats doit se faire en devises, et engage une nécessité de recourir à l’endettement. Par exemple, en 2019, la Steg a contracté un prêt garanti par l’Etat avec l’Itfc (Société internationale islamique de financement du commerce) d’un montant de 458.5 MDT. Cette décision a causé une importante détérioration de la trésorerie de la Steg.
Face à cette situation, l’État a lancé la réforme des subventions directes à l’électricité et au gaz naturel. Et à la date du 3 février 2022, le ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Énergie a édité un arrêté portant création, composition, attribution et fonctionnement d’un comité technique chargé de la mise en place des mécanismes de réduction progressive et durable des subventions à l’électricité et au gaz naturel. La mission principale de ce comité est de réduire les subventions à l’électricité et au gaz naturel.
Exiger l’élaboration et la signature de contrats de performance
En octobre 2015, le gouvernement s’est engagé, dans la sixième revue, à améliorer le suivi des entreprises publiques et le cadre institutionnel qui les accompagne et à préparer les contrats de performance. Cette réforme était mentionnée dans le livre blanc intitulé « Rapport de synthèse sur la réforme des entreprises publiques en Tunisie » élaboré par le ministre auprès de la présidence du gouvernement, chargé des grandes réformes, en mars 2018.
Dans la même revue de l’accord de confirmation, le FMI intégrera les contrats de performances des entreprises publiques dans les repères structurels. Une conditionnalité restée en suspens à la fin de l’accord de confirmation, ainsi qu’au fil des revues du Mécanisme élargi de crédit signé en 2016.
Libéraliser le secteur de l’électricité
Ameni Ben Sik Ali n’a pas manqué de souligner que la mission de production a été ouverte à la concurrence depuis 1996, puis cette ouverture a été renforcée par diverses lois à partir de l’année 2009, où on peut citer la loi de 2009 sur l’efficacité énergétique, la loi n° 2015-121, relative à la production d’électricité à partir de ressources renouvelables et la loi n° 2019-47 du 29 mai 2019, relative à l’amélioration du climat de l’investissement.
En effet, la loi n°27 -96 du 1er avril 1996 a stipulé que l’État peut octroyer à des personnes privées des concessions de production d’électricité. Puis la loi de 2009 a ouvert la voie pour la production, par tout établissement ou groupement d’établissements privés, d’électricité à partir d’énergies renouvelables et pour la cogénération pour sa consommation propre ; avec le droit de vendre l’excédent de l’électricité générée exclusivement à la Steg (la production à des fins d’autoconsommation).
Ensuite, la loi de 2015 relative à la production d’électricité à partir de ressources renouvelables a ouvert le droit à la production de l’électricité aux entreprises privées, au-delà de l’autoconsommation, c’est-à-dire pour les besoins de consommation locale ou pour l’exportation à travers le régime des autorisations et des concessions, et ce, en donnant le droit d’usage du réseau électrique national public.
En 2019, la loi n° 2019-47 du 29 mai 2019, relative à l’amélioration du climat de l’investissement, vient amender la loi sur la production de l’électricité à partir des énergies renouvelables de 2015 et prévoit la possibilité de constituer des sociétés d’autoproduction dont les fonctions ne se limitent pas qu’à produire et à vendre l’électricité produite à partir des énergies renouvelables à l’organe public, mais aussi à la produire et la vendre à d’autres entreprises sous le régime d’autoconsommation.
Donc la vente de l’électricité sous le régime d’autoconsommation n’est plus exclusive à la Steg mais est désormais ouverte aussi aux autoconsommateurs.
Création d’une agence de régulation
En 2022, dans son « programme national de réforme », le gouvernement annonce la création d’une agence de régulation du secteur de l’énergie, qui aura pour mission, entre autres, le traitement des litiges, la définition des règles d’accès au réseau et l’émission des avis consultatifs sur la réglementation en vigueur. Cette instance indépendante sera aussi chargée de donner un avis consultatif sur les programmes d’investissement, les stratégies mises en place et les plans d’actions.
En outre, dans le cadre de la libéralisation du secteur de l’énergie, il est courant de créer un régulateur indépendant pour superviser le marché de l’énergie. L’un des principaux rôles de ce régulateur est de fixer les tarifs de l’énergie de manière indépendante.
Cette décision est généralement prise en fonction de plusieurs facteurs, tels que le coût de production de l’énergie, les investissements nécessaires pour maintenir ou améliorer les infrastructures, les taxes et impôts applicables et les bénéfices des entreprises.
Cela constitue généralement les prémices de la libéralisation des prix et de la priorisation de la rentabilité financière sur l’aspect social du service public.
Pour conclure, Ameni Ben Sik Ali a souligné que ces mesures de libéralisation, qui visent à rendre le cadre réglementaire plus attractif pour les investisseurs privés, mettent fin à un monopole étatique naturel. Ces mesures déjà engagées, auxquelles s’ajoute la levée des subventions énergétiques, pour atteindre la réalité des prix, devraient pousser les Tunisiens à s’interroger non seulement sur l’avenir de la Steg, mais sur l’avenir de l’accès à l’énergie en général, devenu, par ces temps d’instabilité tous azimuts, une question vitale.
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