Ressources hydriques en Tunisie: Les guerres de l’eau peuvent-elles encore être évitées ?
Les pays du Golfe dépendent étroitement de l’eau dessalée pour subvenir aux besoins de leurs habitants en matière d’eau potable. Aux Émirats arabes unis, 42 % de l’eau potable provient d’usines de dessalement représentant plus de 7 millions de mètres cubes (m3) par jour, tandis qu’en Arabie Saoudite, le taux est de 70%.
À la date du 12 juin 2023, le taux de remplissage des barrages tunisiens a atteint 36,1%, selon l’Observatoire national de l’agriculture (Onagri). Et les niveaux de remplissage les plus importants varient aujourd‘hui entre 1% et 36%, à l’exception des barrages de Sejnane et de Mellègue, dont les taux s’élèvent respectivement à 53% et à 49%, d’après la même source.
Pour le reste des barrages, la moyenne de 42,1% a été atteinte au Nord, 16% au Centre et 9,2% au Cap Bon. Les dernières précipitations sont donc venues à point nommé sauver le pays d’une sécheresse qui persiste sur près de quatre ans.
Le taux de remplissage des barrages à l’échelle nationale se situait, en effet, à 30,3 % durant la période allant du 1er septembre 2022 au 18 mai 2023, selon l’Onagri.
Face à cette situation, le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche avait décidé, en mars dernier, l’interdiction provisoire de certains usages de l’eau et l’instauration d’un système de rationnement conjoncturel, afin de faire face à la pénurie hydrique dans le pays.
Un constat terrifiant
Lors d’un récent atelier organisé à Tunis par le ministère de l’Agriculture avec la Banque africaine de développement (BAD), l’état des lieux des ressources hydrauliques tunisiennes a été présenté. On a alors appris ce que l’on redoutait: la Tunisie, qui enregistre 400 m3 d’eau par habitant et par an en moyenne, se trouve sous le seuil du stress hydrique, fixé à 500 m3 par habitant et par an, selon l’Institut des ressources mondiales.
Tout porte à croire que le pays est sous la menace d’un scénario catastrophe le jour où toutes les réserves en eau potables seront taries. A titre d’anticipation,le gouvernement tunisien a demandé à la Banque africaine de développement de mobiliser une enveloppe de 1,34 million d’euros via sa « Facilité africaine de l’eau » et auprès de l’agence et la banque publique allemandes pour la coopération internationale KFW et la GIZ (1,31 million d’euros) afin de financer une étude intitulée « Eau 2050 ». Cette initiative a permis au gouvernement tunisien de développer sa vision et sa stratégie pour le secteur de l’eau à l’horizon 2050.
Qu’en est-il des orientations futures ?
D’après une source relevant du ministère de l’Agriculture, la stratégie « Eau 2050 en Tunisie » a la délicate mission de contribuer au développement socioéconomique du pays, en sécurisant l’accès aux ressources de manière efficiente et inclusive, équitable et durable. Cette approche de gestion intégrée des ressources en eau requiert un plan d’action d’un coût de 23 milliards d’euros.
Par ailleurs, le point fort dudit atelier réside dans le partage d’expériences mené par des experts et professionnels issus d’une douzaine de pays : Algérie, Afrique du Sud, Égypte, Kenya, Libye, Maroc, Mauritanie, Namibie, Niger, RD Congo, Sénégal et Togo.
Exposant des projets durables, l’Égypte a, pour sa part, évoqué la question des bassins transfrontaliers et l’importance de coordonner en vue de concevoir des projets d’ampleur, comme construire de grands barrages sur le Nil. La Mauritanie, pays sahélien d’Afrique de l’Ouest, a quant à elle présenté son programme « Taahoudaty » destiné à améliorer l’accès à l’eau. Le Kenya, pays souffrant d’une sécheresse similaire à celle qui affecte la Tunisie, a exposé le contexte d’aridité prononcée qu’elle traverse et qui accentue sa dépendance aux ressources en eaux souterraines déjà limitées.
L’Algérie et la Libye, nos voisines, se sont montrées préoccupées en grande partie par le Sahara et ont souligné l’importance du dessalement pour la première et le transfert d’eau pour la deuxième. Ainsi, chaque pays a élaboré un scénario spécifique selon son contexte local et ses attentes.
Les solutions ne manquent pas
Proposant de s’inspirer des démarches scientifiques réussies sous d’autres cieux, l’ingénieur hydraulicien Salem Oussaifi, approché par La Presse, préconise diverses solutions.
Selon lui, le dessalement de l’eau de mer, le traitement des eaux usées, l’ensemencement des nuages (injection de minuscules particules semblables à des cristaux de glace dans les nuages, ndlr), le stockage de l’eau dans des bassins souterrains et les retenues collinaires seraient des solutions efficaces pour faire face au stress hydrique. De ce point de vue, l’expert se réfère aux expériences les plus réussies dans le monde arabe, notamment en Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis.
« Les pays du Golfe dépendent étroitement de l’eau dessalée pour subvenir aux besoins de leurs habitants en matière d’eau potable : aux Émirats arabes unis 42 % de l’eau potable provient d’usines de dessalement représentant plus de 7 millions de mètres cubes (m3) par jour, tandis qu’en Arabie Saoudite, le taux est de 70% », détaille-t-il.
Ces pays résolument tournés vers l’avenir, de l’avis de notre interlocuteur, comptent doubler leurs capacités de dessalement afin de diversifier leurs économies et de préparer l’après-pétrole.
Dans la même perspective, l’expert fait observer qu’en 2022, plus de 21 000 stations de dessalement d’eau de mer ont été opérationnelles dans le monde, soit presque deux fois plus qu’il y a dix ans, et le secteur connaît une croissance de 6 à 12 % de capacité par an.
Toutes ces expériences sont, du reste, à prendre en considération par un pays semi-aride comme le nôtre. L’incapacité de se partager une ressource trop rare conduira systématiquement aux conflits interétatiques. Autrement dit, les guerres de l’eau.
MH.ABDELLAOUI
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