Culture

Rencontre avec le jeune acteur Slim Dhib : De la passion à revendre

 

«Il s’agit d’un concept de théâtre hors le théâtre dans des lieux communs et que je conçois comme une alternative au problème des subventions dans les arts de la scène. C’est une forme qui ne sollicite pas beaucoup de moyens et surtout qui est en dehors du circuit des financements étatiques qui ne sont pas toujours accessibles, se font rares et/ou tardent à venir».

C’est un jeune homme au style un peu dandy, un peu bohème qui vient à notre rencontre, un large et doux sourire d’enfant contrastant avec une petite barbe qui s’affirme sur un visage hâlé, celui des gens de la mer.  Une mer qui ne le quitte pas et qu’il ne veut pas quitter, lui qui a choisi de s’installer à La Marsa où on s’est donné rendez-vous, une ville côtière comme sa Kélibia natale où il a vécu jusqu’à l’obtention de son bac et qui a accompagné son amour naissant pour le Théâtre et le cinéma.

On s’installe dans un café tenu par des jeunes de sa génération et où il a ses habitudes. Lui, c’est Slim Dhib, 29 ans, il est acteur professionnel. L’œuvre de Wajdi Mouawedh l’inspire énormément, celles d’Olivier Py et de Romeo Castellucci aussi et il rêve de tourner avec Abdellatif Kechiche, Yosri Nasrallah et Wim Wenders. Entre désillusions, défis, rêves et autres aspirations, il nous parle de son parcours.

Portrait de Slim Dhib (Crédit photo : Nassim Slaimi)

«Je ne vis pas loin d’ici, dans une colocation avec un groupe de jeunes gens de différentes nationalités, une sorte d’auberge espagnole», nous raconte-t-il en d’emblée. Slim est très sociable, bouge énormément et veille à diversifier les expériences tant professionnelles que sociales tout en essayant de faire de bons choix, chose pas évidente du tout quand on débute, que l’on vit uniquement de son art et que l’on n’a pas le luxe du temps creux. Deux semaines avant, Slim répétait au CinéMad’art pour une nouvelle pièce, intitulée «Mhayer Sika», mise en scène par Jamel Madani sur un texte de Bechir Drissi et dont le personnage principal s’inspire du poète et militant Mnawar Smadah (qui, pour avoir critiqué le régime de Bourguiba, fut, à la fin des années 1960, emprisonné, torturé et hospitalisé à l’hôpital psychiatrique El Razi). La création était en suspens au moment de notre rencontre et devait reprendre bientôt. Entre-temps, Slim a choisi de faire quelques apparitions ici et là dans des projets disparates de films (courts et longs métrages), tout en menant un projet personnel à la «Living théâtre» qui lui tient à cœur et qu’il est en train de monter avec un groupe d’ami.e.s. «Il s’agit d’un concept de théâtre hors le théâtre dans des lieux communs et que je conçois comme une alternative au problème des subventions dans les arts de la scène. C’est une forme qui ne sollicite pas beaucoup de moyens et surtout qui est en dehors du circuit des financements étatiques qui ne sont pas toujours accessibles, se font rares et/ou tardent à venir», nous dit-il. Devenir acteur, il l’a rêvé depuis son enfance. La magie a commencé à opérer à l’âge de 10 ans, lors d’exceptionnelles projections de films en 35 mm, organisées dans son école primaire, nourrie par des siestes d’été animées par le visionnage de comédies italiennes et autres westerns-spaghettis à travers des chaînes italiennes autres que les habituelles Rai1 et 2 dont le signal parvenait à son village natal «Oued El Khatef». Un intérêt naissant cultivé grâce à son papa et leurs virées cinématographiques dans l’unique salle de Kélibia «Cinéma el borj» (cinéma de la tour), «devenue malheureusement aujourd’hui une salle de fête qui porte le même nom», nous dit-il. Il y avait aussi le Festival International du film amateur de Kélibia (Fifak) qui a embraqué beaucoup d’enfants et de jeunes de Kélibia dans le monde de l’image et du cinéma. «Mais c’est le film «Jounoun» (Démences) de Fadhel Jaibi que j’ai vu à l’âge de 13 qui m’a donné envie de faire du théâtre», nous livre-t-il et d’ajouter : «En 2018, ce dernier m’a fait découvrir la pièce éponyme dont il est adapté». Aussi et après l’obtention de son bac en 2014, Slim s’est naturellement orienté vers l’Institut supérieur d’art dramatique (Isad) de Tunis. « J’ai vite désenchanté car la théorie l’emportait sur la pratique qui manquait terriblement au programme et j’ai fini par abandonner après deux années.», nous confie-t-il. Il rejoint par la suite l’école de l’acteur (promotion 2017, 2018) du Théâtre national, où, encadré par Fadhel Jaibi, il a pu approfondir sa compréhension des techniques théâtrales. Venait ensuite, en 2019, son premier rôle dans une production professionnelle. Il s’agit de «Kaligula» de Fadhel Jaziri, co-produite avec le Théâtre national et inspirée de l’une des pièces les plus connues du théâtre contemporain «Caligula» d’Albert Camus, où il a retrouvé sur scène ses camarades de l’école de l’acteur, ainsi que le grand Mohamed Kouka. D’autres rôles et d’autres expériences ont suivi : «Woyzeck» du dramaturge et metteur en scène syrien Oussema Ghanam. «C’était très enrichissant comme expérience avec une approche différente de la scène qui m’a permis de me libérer et de jouer d’une maière très naturelle». «Le nom du père», une pièce écrite et mise en scène par Marwa Manaiet, qui lui donnait l’opportunité, en 2020, de jouer sur la scène du prestigieux Théâtre de plein air de Hammamet. C’était l’été qui a suivi le premier confinement en mars 2020, où on a pu souffler un tant soit peu avant que la courbe des contaminations du Covid-19 ne reprenne son ascension pour atteindre dans la même période en 2021 des chiffres effrayants. C’est à cette période que Slim a commencé à explorer le cinéma en interprétant un rôle principal dans le court-métrage «Désir conditionnel» de Houcem Slouli, tourné en 2020 et sorti en 2023 et qui a été récompensé dans un bon nombre de festivals internationaux.

En 2022, il intègre la distribution du long-métrage tuniso-italien «Une semaine sans dieu», une comédie sociale signée par Mourad Ben Cheick. «C’était une belle expérience que j’ai abordée comme un grand atelier où j’ai énormément appris techniquement et humainement».

Entre 2022 et 2023, il fait quelques apparitions dans des productions étrangères, histoire de ne pas chômer et de diversifier les expériences, avant de rejoindre l’équipe de «Kaligula 2», où il retrouve de nouveau Fadhel Jaziri, Mohamed Kouka, avec de nouvelles têtes côté distribution. Son jeu et sa présence scénique sont remarqués par la critique qui en souligne l’énorme potentiel.

En juin 2023, il embarque pour trois semaines de tournage avec le génial Ala Eddine Slim («The Last Of Us» et «Tlamess») de son nouvel opus «Agora». «Il s’agit du deuxième long-métrage auquel je prends part avec un rôle plus important et donc plus de responsabilité. J’ai acquis entre-temps plus de maturité, plus de facilité devant la caméra et plus de technicité», note le jeune acteur. «Je suis admiratif devant l’engagement et le professionnalisme de Ala qui, d’ailleurs, m’a remarqué garce à «Kaligula». Pour mon rôle, j’ai eu droit à beaucoup de préparation, j’ai même appris à conduire grâce à son film», poursuit-il en souriant. Slim prend actuellement part à un court-métrage où il campe le rôle d’un policier pourri, un tout nouveau registre pour lui. Bien avant, il a retrouvé encore une fois le jeune réalisateur Houcem Slouli pour un nouveau court-métrage intitulé «Citoyen du monde» qui est actuellement en post-production. En revenant sur son projet au living Théâtre qu’il prépare avec beaucoup de passion et d’implication, son regard s’illumine comme un petit enfant et l’on retrouve le sourire largement dessiné du début de notre rencontre. Entre-temps en racontant son jeune parcours, les déboires et les désillusions dans ce métier qui, dans notre pays, nécessite une âme de militant; en racontant aussi les belles rencontres et l’espoir qui demeure malgré tout, nourri par une passion dévorante, son visage nous a embarqués dans différentes nuances de ressentis. Seuls demeurent l’amour, le talent et les rêves et Slim en a à revendre.

Bon vent!

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