Economie tunisie

Regard d’expert | Budget 2024 : Les actions possibles pour une mission difficile

Par Skander SALLEMI
Conseiller fiscal et membre actif de la société civile tunisienne

Tout au long des dernières années, et malgré des contraintes et des impératifs incompatibles ou carrément opposés, le ministère des Finances a assumé la responsabilité de fournir un budget équilibré et judicieux afin de préserver la stabilité et d’éviter des scénarios fâcheux. Ce succès reste néanmoins mitigé. En effet, si le ministère des Finances a réussi tant bien que mal à éviter le pire, il faut reconnaître aussi que, dans sa quête annuelle d’un équilibre budgétaire, il été à l’origine de beaucoup d’instabilité et de dispositions controversées. Dans le contexte actuel du pays, le gouvernement doit aligner cet outil en faveur de ses priorités et de son programme et rompre avec l’habitude de proposer des moutures de budgets figées. A cet égard, et afin de participer au débat d’une manière positive, constructive et responsable, il est permis d’avancer quelques pistes et de les soumettre à la réflexion de toutes les parties prenantes.

A situation exceptionnelle, des mesures exceptionnelles…

La première idée, qui nous semble être la pierre angulaire et dont tout le reste dépend, a trait à l’amélioration du mode opératoire actuel du gouvernement. En effet, chercher à résoudre les problèmes du pays présuppose un passage en revue systématique de toutes les difficultés actuelles et l’extrapolation de celles à venir dans le futur. Pour cela, il est nécessaire de trouver les moyens adaptés au contexte et aux défis urgents.

Avec son mode opératoire long et imprécis, l’administration actuelle ne peut malheureusement, et en aucun cas, remplir les objectifs escomptés avec l’efficacité et la rapidité requises. Dans ce sens, le gouvernement serait bien inspiré de compléter chaque décision, projet ou programme envisagé, par la conception d’un circuit optimal pour sa réalisation effective.

Un comité supérieur du budget

Le budget constitue un instrument très important pour la mise en œuvre de la politique d’un gouvernement. Afin de redonner à cet instrument une dimension économique impactante, le gouvernement peut créer un comité supérieur de budget et le loger à la présidence du gouvernement. Cet organe permettra de soulager le ministère des Finances afin de le ramener à son rôle technique.

Ce comité central du budget permettra de mettre à contribution tous les ministères pour une conception plus globale du budget avec une étendue plus vaste et une vision plus lointaine. Ainsi, chaque ministère adoptera les moyens qu’il jugera les meilleurs pour contribuer à la mise en œuvre de la politique du gouvernement, et ce, par des solutions et des propositions basées sur les données qu’il détient et sur son expertise dans son propre domaine. Cette manière de faire, qui va mettre à contribution tous les ministères, peut donner à l’opération de l’élaboration du budget plus de complémentarité et d’envergure, et permettra au gouvernement de mettre en œuvre sa politique économique d’une manière moins stressante.

Cette approche permettra de créer plus de synergie entre les membres du gouvernement et de répartir la responsabilité de la politique budgétaire et économique sur toutes les parties prenantes qui participent à l’élaboration du budget en question. Les ministères, frustrés par les contraintes budgétaires posées par le ministère, des Finances, peuvent défendre et inscrire leurs projets à la hauteur de leurs engagements. En outre, cela aura l’avantage de permettre la mise en place d’hypothèses et de simulations plus réalistes donc plus fiables et plus capables de convaincre tous nos partenaires dont la plupart ont été désabusés dans le passé par des hypothèses hypothétiques jamais réalisées, ce qui a entaché beaucoup la crédibilité de l’administration et dont le pays est en train de payer le prix actuellement. Nul doute que l’éventail des solutions économiques proposées et leur complémentarité telles que conçues par le collectif des ministères participant à l’élaboration du budget ne peut que renforcer davantage les choix et stabiliser, sinon amorcer, le redressement de la situation économique d’une manière plus efficace.

Aborder les urgences d’une manière franche

Afin de faire face aux urgences, le gouvernement doit cheminer vers ses objectifs via des raccourcis lui permettant d’éviter de se perdre dans les labyrinthes de la bureaucratie administrative. Cela permettra de mettre en exécution les décisions prises d’une manière plus rapide, franche et sans tergiversations ni atermoiements. On peut penser à mettre en place un chemin court pour la mise en œuvre de chaque projet et des canaux fiables pour remonter les informations nécessaires à la mise en place des indicateurs quantitatifs et qualitatifs. Le retour d’information est nécessaire pour renseigner sur l’état d’avancement de chaque projet et chaque mesure prise, ainsi que pour apporter les correctifs et les adaptations requises dans un temps raisonnable. Il serait judicieux à cet égard que le gouvernement fasse appel à l’ingénierie administrative afin de mettre au service de chaque projet les moyens adéquats permettant de trouver les solutions optimales et de mettre en œuvre les décisions et de réaliser les projets décidés dans les temps impartis. La communication interne entre les équipes gouvernementales est aussi un élément déterminant pour la réussite, parce qu’elle induit une synergie d’équipe, qui est à son tour un élément capital dans la réussite de ce genre d’initiatives.

Agir sur les prix

Afin de réduire les prix des produits à la consommation, le gouvernement peut utiliser l’article 8 du code de la TVA qui prévoit que «dans le cadre de l’action du gouvernement pour le développement et la promotion de l’économie nationale ainsi que dans les cas conjoncturels, des suspensions ou des réductions de la taxe sur la valeur ajoutée pourront être prévues par décret pris après avis du ministre des Finances et des ministres concernés». Cet instrument peut lui permettre d’intervenir soit sur le coût des produits et des intrants importés soumis à la TVA à la douane, ou sur les prix de vente des produits soumis à la TVA. Les lois de finances précédentes n’ont pas cessé d’alourdir les prix par des impôts et taxes et par des charges financières qui ont eu un effet néfaste sur la trésorerie des entreprises. On peut citer, à titre d’exemple, les dispositions relatives à la suspension de la TVA et à l’avance sur impôt payée à l’importation et qui ont créé des reports d’impôts que l’administration fiscale traîne à restituer, faute de moyens.

Pour anticiper les situations pareilles il est nécessaire de soumettre les dispositions envisagées dans la loi de finances pour l’année 2024 à une étude d’impact afin de comprendre leurs conséquences économiques et sociales.

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