Economie tunisie

Réforme du régime fiscal forfaitaire | Skander Sellami, président de l’Association tunisienne pour la gouvernance fiscale à La Presse : “Les 400.000 contribuables forfaitaires ne sont pas tous des évadés fiscaux”

 

Sellami estime que, pour déterminer si une entreprise peut bénéficier ou pas du régime forfaitaire, le fisc doit se fier uniquement au chiffre d’affaires. Selon lui, l’exclusion de certaines activités du bénéfice de ce régime peut porter préjudice à plusieurs contribuables qui sont au bout du rouleau. Il apporte son éclairage sur un sujet qui continue de faire couler beaucoup d’encre.

Beaucoup estiment que l’administration fiscale tente, depuis quelques années, de réviser le régime forfaitaire sans parvenir à des résultats concrets. A quoi est dû cet échec?

L’administration fiscale a agi sur la base de sa propre conviction et celle de plusieurs acteurs qu’elle consulte fréquemment. Cette conviction repose sur l’idée que le régime forfaitaire consiste un foyer d’évasion fiscale. Le fisc considère qu’une part importante des contribuables profite de ce régime sans qu’elle y soit éligible. Rappelons que le régime forfaitaire est un système simplifié destiné aux petites affaires, aux entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires limité avec un plafond fixé à 100.000 dinars pour les activités commerciales et artisanales et à 50.000 dinars pour les activités de services. Ce plafond n’a pas été d’ailleurs actualisé depuis 2012. L’administration a donc procédé à une révision des conditions de bénéfice du régime. Ainsi, elle a instauré une liste restrictive des activités exclues de ce dernier. De nombreux contribuables forfaitaires ont basculé définitivement et automatiquement vers le régime réel. Pour l’heure, il n’y a pas d’étude d’impact indépendante et fiable. Mais d’après le retour de plusieurs entreprises et en prenant en considération l’augmentation du taux de défaut de dépôt de déclaration, on peut déduire que le coût du régime réel est hors de portée de ces entreprises déclassées. Beaucoup d’entre elles se sont retrouvées déclassées à leur insu et sont dans l’impossibilité de régulariser leurs situations en raison des pénalités exorbitantes qu’elles doivent payer. Ces chefs de famille, qui doivent assurer la survie de leurs micro-entreprises afin de subvenir aux besoins de leurs familles, ont été contraints de basculer vers l’informel et passent désormais sous les radars du fisc. A mon sens, c’est ça l’échec de l’administration: son approche unilatérale et déformée de la réalité.

Mais, on ne peut pas nier que le régime forfaitaire est tout de même un foyer d’évasion fiscale ?

Si vous affirmez cela, vous adhérez à la propagande prônée par l’administration et certains métiers. On ne peut pas considérer les 400.000 contribuables comme des évadés fiscaux. Certes, il existe des faux forfaitaires mais la faute incombe à la défaillance au niveau du contrôle. C’est à l’administration fiscale, avec ses prérogatives et ses moyens de contrôle, de les débusquer. Il ne faut pas sanctionner les 400.000 personnes qui gèrent de petits métiers et qui sont touchées de plein fouet par la crise Covid ainsi que par les crises qui se sont succédé.

Donc, selon vous, la décision consistant à étendre la liste des activités exclues du bénéfice du régime forfaitaire est à revoir ?

Tout d’abord, il faut revenir à la vocation fondamentale des régimes simplifiés. Partout dans le monde, on soumet les petits contribuables à un régime qui n’est ni coûteux ni risqué. Car les citoyens ont droit à un régime stable et qui n’est pas compliqué. Les coûts et les charges induits par le régime réel sont exorbitants : un minimum de perception par déclaration mensuelle et un minimum d’impôt à payer par déclaration annuelle sans oublier la contribution sociale et solidaire, etc. Même si l’entreprise traverse une crise, elle est condamnée à payer des sommes au-delà de ses capacités. Et d’ailleurs le principe même de l’équité et de la justice fiscale consiste à soumettre les contribuables à des obligations qui tiennent compte de leur capacité de paiement. Une fois soumise au régime réel, l’entreprise doit tenir une comptabilité, avec des charges liées à cette obligation estimées à environ 3.000 dinars. Décider si une entreprise peut bénéficier du régime forfaitaire ou être soumise au régime réel, sur la base du critère de l’activité n’est pas, à mon sens, un critère objectif. La seule boussole est le chiffre d’affaires. D’ailleurs, le plafond n’a pas été révisé en fonction de l’inflation et de l’évolution des prix depuis 2012. Il ne faut pas oublier que le régime forfaitaire a été introduit pour permettre aux entreprises individuelles de croître et de se développer. Il est difficile pour un petit projet de grandir au bout de trois ou quatre ans surtout avec l’instabilité qu’on connaît au niveau de l’approvisionnement des marchés en matière premières, mais aussi avec l’instabilité des prix. Dans un environnement imprévisible, il vaut mieux améliorer la stabilité fiscale pour certaines professions. A cause de ces décisions, beaucoup de personnes ont déclaré la cessation d’activité et travaillent dans la clandestinité.

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