Réforme du régime fiscal forfaitaire | Ramzi Bouassida, Expert en Finances publiques et Locales à La Presse : «Pour instaurer une réforme significative, il est nécessaire d’envisager des mesures plus larges et intégrées»
Bien que des ajustements aient été apportés au régime forfaitaire et aient contribué à augmenter les ressources fiscales, ils demeurent limités et ne peuvent être considérés comme une réforme substantielle.
Quelle lecture faites-vous sur la réforme du régime fiscal forfaitaire ?
Le système fiscal tunisien propose divers régimes pour la détermination du bénéfice imposable, comprenant le Régime Réel. Ce régime requiert la tenue d’une comptabilité conforme aux normes comptables pour déterminer le bénéfice imposable. Les entreprises relevant de ce régime doivent enregistrer toutes leurs transactions de manière détaillée, ce qui permet une évaluation plus précise du bénéfice imposable.
Le Forfait d’Assiette, c’est-à-dire destiné à certaines catégories de revenus, ce régime autorise la déduction forfaitaire d’une tranche des revenus, considérée comme dépenses, de la base imposable. Contrairement au régime réel, il simplifie le processus en utilisant des montants forfaitaires pour représenter les dépenses, offrant ainsi une approche plus simplifiée de la déclaration fiscale.
Un Régime exceptionnel pour les entreprises individuelles de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) : ce régime allège les obligations comptables et fiscales des entreprises individuelles et permet le paiement d’un impôt forfaitaire en fonction du chiffre d’affaires réalisé, sans prendre en compte le bénéfice réalisé. Cela offre une approche simplifiée spécifiquement conçue pour les entreprises individuelles opérant dans la catégorie des BIC.
Chacun de ces régimes fiscaux présente ses propres avantages et inconvénients, et le choix du régime dépend de la nature, de la taille de l’entreprise et de ses préférences en matière de gestion fiscale.
Le régime forfaitaire a longtemps été au cœur de débats portant sur son efficacité, étant souvent associé à l’évasion fiscale. Il est devenu un refuge pour de nombreuses activités commerciales, notamment en raison du manque de moyens qui a empêché le contrôle fiscal de réaliser des vérifications et ajustements appropriés. Depuis son instauration, il a évolué pour devenir la norme plutôt qu’une exception, représentant même plus de 70% des Bénéfices industriels et commerciaux (BIC). De plus, les délais de bénéfice de ce régime ont été prolongés à plusieurs reprises, avec la possibilité de renouvellement.
L’annulation du forfait optionnel en 2011 a suscité de vives contestations de la part des experts en fiscalité. Certains estimaient que cette option aurait pu constituer une solution aux limitations en termes de moyens de contrôle fiscal et aux tarifs réduits. Cependant, cette annulation a été maintenue malgré les débats, et cela a contribué à façonner le paysage fiscal, soulevant des questions sur la manière dont les régimes fiscaux sont conçus et mis en œuvre en Tunisie.
Depuis l’année 2014, le ministère des Finances a initié une réforme progressive du régime forfaitaire en excluant un nombre significatif d’activités au profit du régime réel. Cela a été réalisé par le biais de l’arrêté 2014-2939 du 1er août 2014, qui a exclu 68 activités. En 2018, le ministère a augmenté les tarifs du régime forfaitaire et prolongé la période de bénéfice. En 2023, une deuxième liste d’activités comprenant 27 éléments a été exclue du régime forfaitaire.
Bien que l’évaluation de l’impact des réformes de 2014 et 2018 ne soit pas disponible, à partir du 1er janvier 2023, les contribuables ont été soumis aux obligations du régime réel. Pour simplifier les procédures, notamment pour les personnes réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 100.000 dinars, des ajustements ont été apportés aux modalités de dépôt des déclarations, lesquelles se font désormais par trimestre.
Les recettes budgétaires ayant dépassé les 100 millions de dinars marquent une évolution positive en termes de revenus. Cependant, plusieurs questions cruciales subsistent quant au nombre de contribuables restant sous le régime forfaitaire, à leur potentiel réel, et aux conséquences de leur transition vers le régime réel depuis 2014.
Quelle est la portée de cette réforme ?
Il est nécessaire de connaître le nombre actuel de contribuables demeurant sous le régime forfaitaire pour évaluer la portée de la réforme. Une analyse du potentiel réel de ces contribuables, notamment en termes de revenus déclarés, permettrait d’évaluer l’efficacité du régime fiscal actuel. Sans statistiques détaillées, il est difficile d’évaluer l’impact financier des exclus du régime forfaitaire. Il serait important de savoir s’ils sont en conformité avec les exigences du régime réel et si leur contribution fiscale a augmenté.
Il est crucial de déterminer si les contribuables ayant basculé vers le régime réel depuis 2014 respectent les exigences de ce régime et s’ils ont effectivement déclaré leur chiffre d’affaires de manière précise. Le nombre d’interventions réalisées par les services de contrôle fiscal pour identifier les faux forfaitaires restants est essentiel pour mesurer l’efficacité des mécanismes de contrôle. L’obtention de ces statistiques permettrait de mieux évaluer l’efficacité de la réforme fiscale et d’ajuster les politiques en fonction des résultats réels observés.
La situation semble avoir évolué depuis 2014, mais pour obtenir une évaluation précise, des données statistiques actualisées sont nécessaires. En 2014, le projet de réforme fiscale soulignait que malgré le nombre important de contribuables sous le régime forfaitaire, leur contribution aux recettes fiscales restait faible.
Le rapport mentionnait que 60% des inscrits au fichier contribuaient à concurrence de 0,2% des recettes fiscales, avec 45.000 interventions des services de contrôle et un rendement annuel de 12 millions de dinars. Ces chiffres indiquent des résultats limités en termes de contribution fiscale malgré le nombre élevé de contribuables.
En 2013, le FMI avait identifié des difficultés pour l’administration fiscale à vérifier sérieusement la situation des entreprises relevant du régime réel en raison de leur nombre anormalement élevé. Cette problématique est devenue encore plus pertinente avec l’ajout de 95 activités supplémentaires.
Pour évaluer l’efficacité des réformes, il serait nécessaire d’obtenir des données récentes sur le rendement financier, le nombre d’interventions du contrôle fiscal, et la conformité des contribuables au régime réel. Ces informations permettraient de déterminer dans quelle mesure la situation a évolué depuis 2014 et si les ajustements apportés ont eu l’effet escompté.
Bien que des ajustements aient été apportés au régime forfaitaire et aient contribué à augmenter les ressources fiscales, ils demeurent limités et ne peuvent être considérés comme une réforme substantielle. L’efficacité réelle de ces ajustements nécessite une évaluation approfondie, notamment en termes de conformité des contribuables, de rendement financier, et de l’impact global sur les objectifs fiscaux. Pour instaurer une réforme significative, il pourrait être nécessaire d’envisager des mesures plus larges et intégrées afin de garantir une contribution fiscale équitable et transparente de l’ensemble des contribuables.
S’agissant de la stabilisation du cadre macro-économique, cette notion englobe l’ensemble des mesures et politiques visant à maintenir une stabilité générale dans l’économie d’un pays. Elle se concentre particulièrement sur les agrégats macro-économiques, tels que le produit intérieur brut (PIB), l’inflation, le chômage, les taux d’intérêt, la balance commerciale, l’équilibre budgétaire et d’autres indicateurs clés.
Pour la Tunisie, où les ressources fiscales représentent 89.6% des recettes budgétaires en 2023, totalisant 44.050 millions de dinars, il devient impératif d’envisager une augmentation de ces ressources pour assurer la stabilité macro-économique. Cependant, malgré l’augmentation des recettes liées au régime forfaitaire, celui-ci ne semble pas exercer un effet stabilisateur perceptible à court ou moyen terme, en raison des limites actuelles de la réglementation.
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