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Recul de l’âge de départ à la retraite : Gouvernance et financement de la protection sociale, les questions qui s’imposent

 

Le secteur privé emboîtera-t-il le pas au secteur public en optant l’an prochain pour l’augmentation de l’âge de départ à la retraite ? C’est la question que se posent d’ores et déjà les assurés de la Caisse nationale de sécurité sociale. Est-ce réellement la bonne solution ? Les experts demeurent sceptiques. Ces mesures sont importantes certes, mais restent insuffisantes pour la durabilité d’un régime basé sur le principe de répartition.

Un projet de loi stipulant le recul volontaire de l’âge de départ à la retraite dans le privé de deux ans supplémentaires, soit de 60 à 62 ans, est à l’étude, selon une récente déclaration du ministre des Affaires sociales, Malek Ezzahi. De son côté, le directeur général de la sécurité sociale au ministère des Affaires sociales, Nader Ajabi, dévoile la possibilité de pousser l’âge de la retraite à 65  ans. Pour plus de souplesse, cette décision sera soumise à l’accord aussi bien de l’employeur que de l’employé. En avril 2019, l’ARP, rappelons-le, avait adopté la loi n° 2019-37 relative au régime des pensions civiles et militaires de retraite et des survivants dans le secteur public. L’augmentation de l’âge de départ à la retraite des employés dans la fonction publique de 60 à 62 ans (de 55 à 57 pour les agents exerçant des fonctions astreignantes) est entrée en vigueur à partir de 2020.

Les caisses sociales commencent à éponger leurs dettes

Parmi les principales raisons qui ont poussé l’Etat à relever l’âge de départ à la retraite, la situation d’endettement endémique dans laquelle se sont enlisées à cette époque les caisses sociales. Il fallait intervenir au plus vite pour freiner l’aggravation du déficit des caisses et éviter que tout le système social national ne s’écroule.

En effet, depuis l’entrée en vigueur en 2020, un léger mieux a été ressenti à la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam)  avec un bénéfice net de plus de 1 milliard de Dinars en 2021. Cela est dû à la légère amélioration de la situation financière de la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnss) qui accusait un déficit de plus d’un milliard de Dinars en 2020. Ce déficit est tombé de 1.241 en 2021 à 951 millions de dinars en 2022. Idem pour la Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale (Cnrps) qui semble se revigorer, grâce notamment à l’augmentation effective depuis 2020 de l’âge de départ à la retraite. Selon le DG de la Cnrps, Kamel Meddouri, le déficit, qui s’élevait à 171 millions de dinars au cours de l’année 2020, a été ramené  à 158 millions de dinars l’année suivante.  La Cnrps s’attelle aujourd’hui à améliorer la gouvernance et la qualité des services.

Ces légères améliorations au niveau de l’absorption de la dette encouragent à persévérer dans la politique de l’augmentation de l’âge de départ à la retraite, en particulier pour le secteur privé. Il est à signaler que l’effectif des assurés sociaux pour l’ensemble des régimes (Cnss) est de 2 353 743 pour l’année 2020, selon le site officiel de la Cnss, alors que le nombre de pensionnés est estimé à 904 621.

L’allongement de l’âge de départ à la retraite dans le secteur public et éventuellement dans le secteur privé est une mesure importante certes, mais reste insuffisante pour la durabilité d’un régime qui s’appuie sur le principe de la répartition du fait que le nombre de retraités est en train d’augmenter plus rapidement que celui des actifs.

D’autres alternatives sont à explorer, selon certains experts dans le domaine de la sécurité sociale, d’autant que la Tunisie comptera quelque 1,250 million de retraités en 2024, selon l’Institut tunisien des études stratégiques (Ites).

Tenir compte des nouvelles données démographiques

Les dettes des trois caisses sociales (Cnss, Cnrps, Cnam) ont accéléré l’adoption de la loi relative au recul de l’âge de départ à la retraite certes, mais il ne faut pas négliger non plus les nouvelles tendances démographiques enregistrées ces dernières décennies qui ont été vraisemblablement prises en compte dans la prise de cette décision importante, ainsi que celle relative à l’intention de relever l’âge de départ à la retraite dans le privé en 2024.

En effet, ces décennies ont été marquées par une baisse de l’Indice synthétique de fécondité (ISF) qui a régressé, passant de 2.2 enfants par femme en 2016 à 2 en 2020, pour descendre actuellement à 1.8. Cela est de nature à impacter les contributions dans les caisses sociales et les revenus d’impôt. «Notre population est en train de vieillir à un rythme rapide à l’avenir avec de profondes mutations», nous  a déclaré  Hassène Kassar, chercheur et professeur de démographie et sciences sociales à l’Université de Tunis et auteur de plusieurs études sur la question démographique.

Le vieillissement rapide de la population tunisienne étant un fait avéré,  et comme nous le souligne le professeur de démographie Hassen Kassar, les statistiques  démographiques enregistrées au niveau du taux de natalité qui a reculé (20.5‰ en 2013, 14.8‰  en 2021) et celui de mortalité qui a relativement stagné (5.7‰ en 2013, et 6.8‰ en 2021) nous rapprochent inéluctablement du modèle européen où l’âge de départ à la retraite est de plus en plus poussé à 65 et même à 67 ans, comme c’est le cas pour l’Allemagne.

Le vieillissement de la population tunisienne est inéluctable

«L’évolution démographique de la population est au centre de nombreux enjeux sociétaux, économiques et politiques. Elle impose donc de nouvelles contraintes sur les systèmes de retraite, les systèmes de santé, les systèmes de couverture sociale, la pauvreté, l’emploi, l’économie, l’habitat, etc.», soulignent Karim Ben Kahla et Kais Hammami dans leur étude élaborée en 2022.

Sur le plan social, le vieillissement de la population tunisienne posera des défis à trois niveaux, dont en premier lieu le financement des retraites et la soutenabilité de la situation financière des régimes de pension, ajoute l’étude.

Le ministère des Affaires sociales est conscient des défis qui se profilent à l’horizon et s’attelle à changer le mode de gouvernance du système de protection sociale dans les deux secteurs public et privé. Cela passe impérativement par l’augmentation des taux de cotisation et l’allongement de l’âge de départ à la retraite dans les années à venir.

Certainement, par les temps qui courent, on est appelé à travailler plus pour vivre mieux, que ce soit au privé comme dans le public, quoique ce dernier ait connu une dégradation abyssale depuis 2011.

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