Ramadan entre hier et aujourd’hui : Du social sacré au sacré folklorique
Autrefois, dès que le croissant du Ramadan se lève, annonçant l’avènement du mois saint, une atmosphère spirituelle et des brises fraîches prévalent. D’où la force des liens qui se tissent. Aujourd’hui, ce ne sont que de beaux souvenirs !
Jadis, Ramadan rime avec vitalité, mieux encore vitalisme. Les conduites vécues, marquées au sceau du sacré, affectent autant l’âme que l’esprit. Un schématisme sacré du social se donne à lire et à voir. L’ensemble des croyants, hommes et femmes, âgés et moins âgés s’y mettent. Une adhésion concrète, pratique, individuelle et collective se fait sans ambages à un mystérieux au-delà.
Autrefois, dès que le croissant du Ramadan se lève, annonçant l’avènement du mois saint, une atmosphère spirituelle et des brises fraîches prévalent. D’où la force des liens qui se tissent.
Tranches de vie et querelle des odeurs
Fatima, bonne septuagénaire et artisane à la mémoire tatouée, s’en rappelle : «A l’époque, le mois de Ramadan était autre chose, il était complètement différent. Je m’en rappelle comme si c’était hier. Notre quartier, sis au cœur de la Médina de Kairouan, se transforme en un royaume des odeurs où querelles du café, d’eau de rose et de fleurs d’oranger meublent les rues sinueuses de la vieille ville».
Et la gentille grand-mère de poursuivre, après avoir glané des fragments de mémoire, «dans la médina, ça grouillait de monde. Les valeurs auxquelles tiennent les gens passent, elles aussi, pour sacrées. Orphelins, veuves, vulnérables et moins nantis, ne sont plus livrés à leur propre sort. L’entraide, la solidarité, l’amour de son prochain et de son semblable deviennent une ligne de conduite. Jebbas, «safsaris» (voiles), fameuse chechia, hayeks, caftans ornant lieux de culte, rues et ruelles, composent un paradis des yeux, très typique ».
Ramadan d’hier et d’aujourd’hui, il y a tant de souvenirs et de nostalgies
Assistant à la conversation, au gré d’une escapade dans les coins de la Médina, Haj Taïeb Saddem, la soixantaine bien entamée, vient mettre son grain de sel. «Du bon vieux temps qui passe. Autant en emporte le temps. Oui, c’était le bon vieux temps, là où des cafés-chantants émanent chants populaires et liturgiques. Dans les mausolées et medressas, résonnent psalmodies, marmonnements, puis alternaient quasida, mouachah et soliloques. Les jardins deviennent les lieux d’un temps créateur, où promeneurs diurnes et nocturnes se faufilent sans cesse ».
Pour lui, le sacré tire alors profit et prestige du social. Les proches échangent les visites et les nuits meublées de mille et un contes sont indélébiles. «A cette époque, le mois saint, c’est un fort moment de solidarité où les mieux nantis supportent inconditionnellement leurs frères vulnérables et nécessiteux », révère-t-il.
De l’avis de Fatima comme de celui de Taïeb, Ramadan a beaucoup perdu de sa superbe. C’était un mois embaumé-embaumant où l’on avait la bénédiction d’être heureux malgré tous les malheurs possibles. Et c’est plutôt devenu aussi incolore qu’inodore.
Incolore et inodore !
Aujourd’hui que la civilisation mécanique semble avoir atteint «son dernier degré de sauvagerie» et les hommes leur dernier degré d’aliénation, notre Ramadan semble être sans âme ni attrait aucun, en conviennent les deux témoins. « Même préparés dans la même marmite, les plats délicieux d’autrefois sont aujourd’hui insipides. Ternes et fermés, les visages déçoivent et découragent. Egarés, les regards expriment mille et un soucis », soupire la dame.
Et Hadj Taïeb d’enchaîner : «Les portes sont fermées, les chemins du cœur sont barricadés, les demeures sont closes et les visiteurs, quoiqu’ils soient proches, ne sont plus les bienvenus ». Il va sans dire, au demeurant, que l’individualisme et l’égoïsme, il est vrai, l’emportent aujourd’hui sur la solidarité, l’entraide, le vivre-ensemble et l’échange de visites.
Et le mois saint semble avoir la capacité de rendre visibles les drames d’une société déchue. Une société où la sphère du sacré comme celle du social s’amenuise au lieu de s’étendre, se rétrécit au lieu de s’étoffer. Et pourtant, Ramadan demeure, sous nos cieux, une essence en perpétuelle quête des chemins de l’existence.
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