Economie tunisie

Projet de loi de finances 2024 | Mohamed Salah Ayari, Conseiller Fiscal et Membre du Conseil National de la fiscalité, à La Presse : «Il est nécessaire de changer de modèle économique pour donner la priorité aux secteurs à forte valeur ajoutée»

 

La réforme fiscale constitue l’épine dorsale du développement économique, social et culturel. Les grandes lignes de la réforme fiscale entamée en 2014 visent essentiellement à l’élargissement de l’assiette imposable, l’instauration d’une vraie justice fiscale, l’atténuation de l’effet négatif de la fraude fiscale qui est estimée actuellement à 50%.

Quelles doivent être, d’après vous, les grandes orientations budgétaires pour le prochain projet de la loi de finances 2024 dans le contexte économique et géopolitique actuel ?

A priori, et selon les premières estimations élaborées par le ministère des Finances, les grandes orientations du Budget de l’Etat pour l’année 2024 se présentent comme suit : le montant global du Budget de l’Etat : 71.790 MD contre 69.914 MD prévus pour l’année 2023, soit une hausse de l’ordre de 2,68%. Le déficit budgétaire : 5,7% du PIB, sans prendre en considération les dons et les revenus de confiscation, par rapport au taux de 5,2% estimé pour 2023. Le taux de croissance : la rectification vers la hausse du taux de 2023 qui était initialement fixé à 1,8% et qui a été relevé à 2,1% selon les dernières estimations. Le prix du baril de pétrole : 71$ contre un prix de 89$ au titre de 2023. Un taux de change fixé au même niveau que celui de 2023, soit 3,100 Dinars pour 1$ américain.

Parmi toutes ces estimations, il serait plus prudent de réviser le prix du baril de pétrole à la hausse pour qu’il soit fixé au moins à 90$, et ce, en tenant compte de l’accord entre la Russie et l’Arabie saoudite pour la réduction de la production et qui peut facilement impacter le prix du baril de pétrole au cours de l’année 2024.

Dans le contexte actuel, marqué par une hausse importante des prix, quelles sont les mesures devrait contenir la prochaine PLF 2024 pour protéger le pouvoir d’achat des ménages ?

Concernant les mesures qui devraient être prises en 2024 au profit des ménages, elles peuvent être résumées comme suit :

– L’augmentation des subventions des produits de base, tout en tenant compte de l’évolution des prix des céréales et des huiles végétales sur les marchés mondiaux.

– Le renforcement de la surveillance de la distribution des produits de consommation, dont notamment les dérivés des céréales subventionnés tout en procédant à l’augmentation des stockages des produits de base.

– L’expansion de la culture des céréales et plus précisément le blé dur, tout en mettant à la disposition des agriculteurs les semences et les produits chimiques nécessaires.

– Le maintien des interventions dans le domaine social, économique et culturel.

Quelles sont, d’après vous, les projections macroéconomiques du gouvernement pour les années à venir ?

Il est nécessaire de changer le modèle économique pour donner la priorité aux secteurs ayant une forte valeur ajoutée, au développement durable, à l’énergie solaire dans un pays où le soleil est présent au moins 300 jours par an, et à un degré moindre, à l’énergie éolienne et à l’économie circulaire pour préserver davantage l’environnement. Il faut adapter une façon accélérée des énergies renouvelables afin de préserver l’environnement et encourager l’économie verte.

La réforme du système des subventions des carburants est fondamentale aussi, et ce, en tenant compte de l’augmentation de la demande interne, et prenant en considération la montée des taux de change et des prix du pétrole sur le marché mondial. Il s’agit finalement de libérer l’initiative privée, tout en supprimant les autorisations préalables, et faire un contrôle a posteriori, avec une liste négative restreinte pour certaines activités sensibles qui peuvent avoir un impact sur l’ordre public.

Selon plusieurs observateurs, l’administration n’a pas suffisamment progressé dans la réforme fiscale qui a été amorcée en 2014, avec la tenue des assises de la fiscalité. A quoi est dû ce piétinement ?

La réforme fiscale constitue l’épine dorsale du développement économique, social et culturel. Les grandes lignes de la réforme fiscale entamée en 2014 visent essentiellement à l’élargissement de l’assiette imposable, l’instauration d’une vraie justice fiscale, l’atténuation de l’effet négatif de la fraude fiscale qui est estimée actuellement à 50%. Elle vise aussi la lutte contre le secteur parallèle pour l’intégrer graduellement dans le secteur organisé, tout en créant les espaces adéquats pour l’exercice de l’activité dans des conditions favorables. La réforme prévoit l’aménagement de zones franches sur les frontières avec les deux pays voisins et le renforcement des contrôles sur tout le territoire tunisien, afin de juguler ce fléau qui représente 35% du PIB et qui ne participe pas à l’amélioration des recettes fiscales.

Il ne manque que la volonté politique pour engager une réforme fiscale profonde, avec la restructuration de l’Administration fiscale pour la doter des moyens humains et matériels nécessaires, afin de la soutenir pour réussir une vraie réforme fiscale tant attendue.

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