Economie tunisie

Projet de loi de finances 2024 | Moez Soussi, expert en évaluation des politiques économiques et des projets, à La Presse : «Le défi majeur réside dans la difficulté à générer une croissance significative»

 

Il est essentiel de souligner que la Tunisie a réussi à éviter une crise de paiement cette année, même sans un accord avec le FMI. Les transferts des Tunisiens à l’étranger et la performance du secteur touristique ont joué un rôle crucial, et les réserves de devises sont désormais à des niveaux plus rassurants. Cependant, certains secteurs clés, tels que le phosphate, la construction et le textile, qui étaient autrefois des moteurs de croissance, sont aujourd’hui des freins.

Quelle est votre vision du prochain projet de loi de finances 2024 ?

Il est important de noter que les préparatifs du projet de loi de finances 2024 ont débuté en mars 2023, conformément au calendrier de la loi organique de budget de 2019. Récemment, lors d’une réunion du conseil ministériel, le 12 octobre 2023, présidée par le chef du gouvernement, un projet de loi de finances rectificative pour l’année 2023 et le projet de loi de finances pour l’année 2024 ont été approuvés. Sur le plan formel, le processus semble respecter les délais, avec l’objectif que la Chambre des Représentants du Peuple reçoive le projet, ainsi que les documents annexes tels que les Projets Annuels de Performance et les Rapports Annuels de Performance des différentes missions ministérielles dans les délais.

Concernant notre vision du prochain projet de loi de finances 2024, il est essentiel de rappeler que la Tunisie continue de faire face à des défis économiques et n’a pas encore amorcé un nouveau cycle de croissance, d’investissement, de réduction du chômage et de maîtrise de l’inflation. L’économie tunisienne est toujours confrontée à un déficit commercial croissant en raison de la dépendance énergétique et à un fardeau croissant de la dette publique. Sur le plan géopolitique, les instabilités mondiales, telles que la guerre russo-ukrainienne et l’instabilité au Proche-Orient, notamment en Palestine, ne jouent pas en notre faveur.

De notre point de vue, la loi de finances 2024 sera couronnée de succès si l’État parvient à gérer efficacement ses dépenses, à les rationaliser et à honorer ses engagements en matière de remboursement de la dette, à la fois extérieure et intérieure. La loi de finances doit se concentrer sur le renforcement des mécanismes de collecte des ressources, en mettant l’accent sur l’équité fiscale et en luttant contre l’économie informelle. À cet égard, nous recommandons l’utilisation d’outils intelligents et innovants. La loi de finances doit également apporter une solution radicale au gaspillage des produits de base en réformant un système de subventions défaillant qui dure depuis des années. Dans le contexte social actuel, la loi de finances 2024 doit continuer à aider les catégories vulnérables en fournissant des allocations sociales aux familles dans le besoin (Pnafn, AMG1 et AMG2) ainsi qu’à leurs enfants jusqu’à l’âge de 18 ans.

La Tunisie dévoilera prochainement les grandes orientations de son budget pour l’année 2024. Quelles sont, selon vous, les objectifs cruciaux pour renforcer l’économie et améliorer le bien-être social ?

Nous ne nous attendons pas à des mesures révolutionnaires sur le plan économique. En fait, le budget de 2024, tout comme les budgets des années précédentes, ne disposera pas de beaucoup de marges de manœuvre pour renforcer les investissements publics, qui ne représentaient pas plus de 8% du budget. Le défi majeur réside dans la difficulté à générer une croissance significative, étant donné que le taux de croissance ne devrait pas dépasser 1,5 % en 2023, et un rebond en 2024 semble peu probable.

Cependant, il est essentiel de souligner que la Tunisie a réussi à éviter une crise de paiement cette année, même sans un accord avec le FMI. Les transferts des Tunisiens à l’étranger et la performance du secteur touristique ont joué un rôle crucial, et les réserves de devises sont désormais à des niveaux plus rassurants. Cependant, certains secteurs clés, tels que le phosphate, la construction et le textile, qui étaient autrefois des moteurs de croissance, sont aujourd’hui des freins. L’agriculture a souffert d’une saison catastrophique, nécessitant des efforts considérables pour garantir la sécurité alimentaire et la résilience face aux pénuries, dans un contexte de changement climatique et de rareté des ressources hydriques.

Pour améliorer le bien-être social et stimuler l’économie, la loi de finances 2024 devrait accorder une attention particulière à l’Economie sociale et solidaire (ESS), un domaine qui a un impact économique, social et environnemental. La création d’un fonds spécial de trésorerie pour le financement de l’ESS et des entreprises citoyennes serait, de notre point de vue, une mesure très pertinente.

Comment l’exécutif peut-il honorer les chantiers socioéconomiques dans la conjoncture actuelle nationale et mondiale ? Comment garantir la durabilité des réformes économiques et sociales ?

La Tunisie est à un stade critique de sa quête de réformes profondes dans de nombreux domaines, de la fiscalité à l’éducation, en passant par le système de santé et les subventions aux produits de base. Bien que la loi de finances ne soit pas chargée de mettre en œuvre toutes ces réformes, elle peut jouer un rôle essentiel en renforçant les libertés économiques, en réduisant la bureaucratie, en simplifiant les procédures, en favorisant la créativité et l’innovation, et en encourageant l’entreprise.

En 2024, nous avons la chance de disposer d’un plan de développement 2023-2025, d’une stratégie pour la Tunisie à l’horizon 2035, ainsi que d’une Assemblée des Représentants du Peuple. Le projet de loi de finances est disponible pour discussion, et nous espérons que le volet économique sera largement débattu et développé avant d’être validé par les membres de l’ARP.

Quelles réponses concrètes aux défis inflationnistes, hydriques et sociaux… ?

Vous avez soulevé les principaux défis économiques auxquels la Tunisie est confrontée, notamment l’inflation élevée en 2023, la sécheresse sévère et la pénurie de produits alimentaires de base. La loi de finances 2024 doit allouer des ressources financières pour garantir l’approvisionnement en produits céréaliers, avec un besoin estimé à 2,5 millions de tonnes de céréales, soit une facture de 2.325 millions de dinars. En outre, l’année 2024 nécessitera probablement l’importation de fourrage pour les animaux, avec un coût d’au moins 500 millions de dinars, pour sauver ce qui reste du cheptel.

Pour faire face aux défis environnementaux, la loi de finances 2024 devrait renforcer la transition énergétique en encourageant la production d’énergie et en améliorant le mix énergétique. La réalisation du projet Elmed, qui relie la Tunisie à l’Italie et garantit une interconnexion en courant continu entre les deux continents, est cruciale. Réduire la dépendance énergétique devrait être un objectif clairement défini, car le déficit commercial est en grande partie causé par le déficit énergétique.

Comment le gouvernement peut maintenir les équilibres macroéconomiques et la paix sociale ?

Le maintien des équilibres macroéconomiques dans un contexte de crise est délicat, car des mesures telles qu’une augmentation des taux d’imposition peuvent avoir un impact social négatif. L’augmentation du taux directeur par la Banque centrale pour lutter contre l’inflation peut entraîner la destruction d’emplois et le blocage de l’investissement, menaçant ainsi la paix sociale. La réduction des subventions, la pénurie de produits de base, la dépréciation du dinar et l’inflation sont autant de problèmes qui peuvent compromettre la stabilité sociale et le bien-être économique.

Cependant, retarder les réformes nécessaires et garantir un niveau de vie non mérité par l’endettement ne mèneront pas à une solution durable. Il est temps pour la Tunisie d’aborder directement les problèmes qui entravent la création et l’innovation, de supprimer les privilèges non mérités, et de s’engager dans des réformes structurelles et structurantes pour une société juste et moderne. La communication et le dialogue franc sont essentiels pour mobiliser la population en faveur de réformes visant à maîtriser l’inflation, à renforcer l’économie sociale et solidaire, à valoriser le mérite et l’effort, à promouvoir la création et l’innovation, à instaurer une justice sociale et à garantir une transition énergétique et une utilisation responsable des ressources disponibles.

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