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Présidentielle 2024 | Mahmoud El Ouaer, membre de l’Isie, à La Presse : « Fixer le montant du plafond des dépenses électorales permet de garantir l’égalité des chances entre les candidats »

 

Le financement de la campagne électorale suscite souvent les débats avant et après les scrutins. C’est que le sujet revêt une importance capitale, car les activités de production et de diffusion des informations lors de la campagne nécessitent des ressources financières importantes. De plus, le financement doit obéir à certaines règles fixées par la loi, telles que la transparence des sources et le respect des plafonds des dépenses électorales. Or, c’est précisément ce dernier point qui est la pomme de discorde entre les observateurs de la vie politique, dont une partie estime que les plafonds — désormais fixés à  150 mille dinars pour le premier tour et 100 mille dinars pour le second — seraient insuffisants pour que les candidats puissent mener à bien leurs campagnes. Mahmoud El Ouaer, magistrat financier et membre de l’Isie, revient sur la question pour apporter un éclairage édifiant.  

Comment l’Isie assure-t-elle  en pratique  le contrôle des dépenses électorales des candidats ? 

L’Isie assure un contrôle concomitant des dépenses électorales, c’est-à-dire tout au long de la campagne. Elle mobilise ses agents sur le terrain pour qu’ils suivent les activités des candidats et en évaluent le coût. Ensuite, elle compare leurs déclarations comptables aux estimations faites et évalue la sincérité de ces déclarations. L’objectif étant de s’assurer que les candidats ne dépassent pas le plafond des dépenses électorales, fixé par décret conformément à la loi. L’Isie contrôle également l’origine des fonds pour détecter ceux qui sont illégaux ou d’origine inconnue. Ce qui est interdit par la loi et peut entraîner l’annulation des voix obtenues par le candidat. En somme, le rôle principal de l’Isie dans le contrôle du financement des campagnes électorales concerne la justification de l’origine des fonds et le respect du plafond des dépenses, fixé par décret.

Est-ce que l’Isie a déjà relevé des infractions en rapport avec le financement des candidats ? 

On ne peut parler d’infractions qu’après la fin de la campagne électorale, lors du bilan pour voir s’il y a eu des infractions, des dépassements … Nous n’avons  pas encore accès à  la comptabilité des candidats pour l’évaluer. Les comptes doivent être arrêtés au dernier jour de la campagne, pour ensuite être évalués, notamment en ce qui concerne  l’origine des fonds et les dépassements éventuels des plafonds. 

Par rapport aux financements étrangers qui sont interdits par la loi, comment l’Isie contrôle-t-elle ces flux financiers ? 

C’est un travail coordonné entre l’Isie, la Banque centrale, le ministère des Finances, la Direction générale des douanes et la Cour des comptes, lequel travail se fait préalablement à l’échéance électorale et lors de  la campagne, pour récolter  toute donnée relative aux candidats indiquant un transfert d’argent  de l’étranger ou de déclarations de devise auprès de la douane.

Dans les précédentes campagnes électorales, on a parlé de graves dérives. Comment cela s’est-il manifesté précisément ? 

Pour les législatives 2022-2023, le référendum et les élections locales, il n’y avait pas vraiment d’infractions majeures à signaler. Mais  les  rapports de la Cour des comptes ont mis l’accent sur de graves infractions pour d’autres échéances électorales, surtout la présidentielle de 2019. Il est important de rappeler, à cet égard, que la Cour des comptes exerce un contrôle a posteriori sur les dépenses électorales et l’origine des fonds.

Est-ce qu’on a détecté  des financements étrangers ? 

Bien sûr que oui, surtout dans  la fameuse affaire du lobbying qui a récemment  abouti à de lourdes peines.

En l’absence de subventions octroyées par l’État, les candidats sont-ils en mesure de mener à bien leurs campagnes électorales ? 

Il faut d’abord comprendre comment le plafond a été fixé. L’Isie a été consultée conformément à la loi, par le gouvernement  qui a préparé le projet de décret fixant le plafond des dépenses électorales. Il s’est avéré que ce plafond a été déterminé sur la base de critères objectifs qui ont été établis, en se référant aux données relatives aux dépenses électorales effectives lors de l’élection présidentielle de 2014 et celle de 2019. Ce qu’on a constaté, c’est que mis à part quelques candidats qui ont des moyens financiers énormes leur permettant de dépasser le plafond fixé à l’époque,  la moyenne des dépenses électorales dépasse à peine les 100 mille dinars.  Par exemple, en 2014, il y avait 21 candidats. Mis à part trois candidats qui avaient alors bénéficié d’importants financements,  la moyenne des dépenses  électorales effectives était de 136 000 dinars. En 2019, elle était même  aux alentours de 124 000 dinars. Je veux rappeler que  l’objectif derrière la fixation d’un plafond est de garantir l’égalité des chances pour tous les candidats. Parce que le candidat qui dispose d’énormes moyens financiers sera favorisé par ces moyens par rapport aux autres candidats. A mon sens, l’approche suivie par l’Isie est bien convaincante. 

Même avec la hausse des prix par rapport à 2019 ?  

La moyenne  des dépenses électorales en 2019 a été de 124 mille dinars. Donc, on a tenu compte de l’inflation et de l’augmentation des prix. 150 mille  dinars  est un montant  logique. Cela nous permet d’atteindre l’objectif consistant à  garantir l’égalité des chances entre les candidats, alors que par le passé, les plafonds étaient fixés arbitrairement sans critères précis.  Pour rappel, en 2014, le plafond des dépenses électorales était de 795 mille dinars et en 2019, le montant a grimpé pour atteindre 1 million 764 mille. Sur quelle base cette décision de doubler le montant du plafond  a été prise  en 2019 ? Ce n’est pas clair du tout, d’autant qu’elle a profité à trois candidats seulement, alors que les autres  26 candidats ont déposé leurs comptes à la Cour des comptes.

Vous avez évoqué l’impératif de veiller sur l’égalité des chances pour tous les candidats. Est-ce que ce principe est aujourd’hui respecté ? 

Evidemment. Ce principe est garanti principalement par le fait du respect du plafond établi pour les dépenses électorales. C’est ce qu’on appelle l’égalité des chances en matière de financement. C’est vrai que cela  reste aussi tributaire de l’appréciation. S’il y a un léger dépassement qui ne peut pas affecter les résultats, ce n’est pas grave. Même du point de vue légal, les sanctions prévues par la loi sont progressives. Mais dès que le dépassement atteint 75% du plafond autorisé, cela devient grave et  entraîne l’annulation des votes obtenus par le candidat. 

Que diriez-vous en guise de conclusion ? 

Je souhaiterais que ceux qui jugent le plafond insuffisant apportent des critères objectifs à leur jugement.  C’est une appréciation subjective, personnelle. Sur quelle base estime-t-on ces montants-là ?  Il faut rappeler que ce plafond a été fixé par le gouvernement, par un décret présidentiel. Peut-être qu’il faudra penser à réformer la loi pour que, par exemple, l’Isie fixe ce plafond-là, sur la base d’études scientifiques, objectives qui évaluent par exemple, les dépenses nécessaires pour le déplacement d’un candidat à un tel gouvernorat ou une telle délégation. Je veux aussi rappeler que  les prix de référence minimaux pour les activités liées à la campagne de l’élection présidentielle publiés par l’Isie sont  à titre indicatif, dans le cas où précisément le candidat ne déclarerait pas une activité ou certaines dépenses. Si c’est le cas, l’Isie se réfère à ces prix. Cependant, si le candidat présente des justificatifs suffisants, tels que des factures ou des devis, l’instance n’aura pas de problèmes à accepter les prix déclarés. 

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