Pourquoi la Croissance ne décolle pas ? | Mustapha Boubaya, ancien membre du Bureau Exécutif & Trésorier de la Chambre syndicale nationale des entreprises d’études, de conseil et de formation de l’Utica, à La Presse : «Notre seul salut, développer la capacité de résilience de notre système financier»
En ces temps difficiles et incertains, l’Etat ne peut faire redémarrer la croissance économique qu’en misant sur l’entrepreneuriat privé, en libérant les initiatives et en déployant «l’arme anticrise» que sont l’innovation et la créativité sur tous les plans, dans tous les domaines et tous les secteurs d’activité économique.
Quels scénarii et estimations proposez-vous concernant la croissance en Tunisie pour les années à venir ?
Les leviers déclencheurs de la croissance sont de trois sortes : pour croître, il faut produire plus et mieux de richesses dont on a besoin et dont on peut exporter le surplus. Pour produire plus, on n’a pas d’autres choix que d’investir, l’investissement étant le principal moteur de la croissance. Pour produire mieux, on a besoin de compétences productives, d’objectifs clairs et de créativité. Pour investir, on a besoin d’un climat d’affaires sain et de finances, ainsi que de soutiens pour entreprendre. Ces trois leviers font du surplace en Tunisie depuis une dizaine d’années, et à défaut de transformations en profondeur sur ces trois plans, la croissance en berne actuellement (0,9% à 1,2% tout au plus en 2023). Or, seule l’entreprise privée est capable d’assurer une croissance économique durable, face à l’indigence de l’Etat et ses entités économiques, dans un contexte instable depuis 12 ans (instabilité post-révolution 2011-2013, instabilité socio-politique 2013-2019, pandémie Covid 2019-2021, guerre en Ukraine 2022-2023).
Contexte d’instabilité, crise énergétique, inflation, situation géopolitique critique, aléas climatiques, etc. font peser de nombreuses incertitudes sur la croissance. Qu’en pensez-vous ?
En ces temps difficiles et incertains, l’Etat ne peut faire redémarrer la croissance économique qu’en misant sur l’entrepreneuriat privé, en libérant les initiatives et en déployant «l’arme anti-crise» qu’est l’innovation et la créativité sur tous les plans, dans tous les domaines et tous les secteurs d’activité économique. Ceci, en faisant confiance aux capacités des enfants de la Tunisie et en exploitant les savoirs et connaissances produites par leurs cerveaux. En effet, rien que pour résoudre la problématique actuelle du stress hydrique et relever le défi énergétique, nous devons inverser la tendance en concrétisant tous les «projets d’intérêt national», à l’instar des deux projets suivants : le projet de construction de drones pulvérisateurs, à réaliser en PPP afin de provoquer les pluies artificielles à chaque passage nuageux. En transformant ces drones en pompiers pour éteindre, en été, les incendies de forêts et dans les zones montagneuses. Le deuxième projet est celui de dessalement des eaux de mer par l’énergie solaire, à réaliser en PPP également, pour irriguer en permanence les terres et champs agricoles dans toutes les régions, avec une technologie tunisienne brevetée, expérimentée et validée . En créant, en même temps, une nouvelle industrie de fabrication de stations modulaires de dessalement à exporter partout dans le monde, et divisant au moins par 10 le prix actuel du m3 d’eau dessalé. Rien qu’en engageant ces deux projets seulement, ce sont plusieurs centaines d’entreprises à créer dans l’agriculture, l’industrie et les services, dans toutes les régions, avec à la clé des dizaines de milliers (voire une centaine de milliers) d’emplois qualifiés et moins qualifiés, et sûrement 3,5 à 4 points de croissance annuelle.
L’impact économique et financier de la guerre en Ukraine a profondément modifié les perspectives de sortie de la crise Covid dans lesquelles nous nous placions il y a plus de deux ans, et soumis notre système économique et financier à de nouveaux chocs importants d’offre et de demande, qui se sont traduits par une forte accélération de l’inflation. Quelle lecture faites-vous sur cette situation ?
À mon sens, la guerre et la pandémie sont des crises comme bien d’autres qui nous impacteront dans les prochaines années. Notre seul salut, face à ces crises imprévisibles, est de développer une capacité de résilience qui fera résister nos entreprises économiques et notre système financier aux chocs. Et cette capacité de résilience ne serait optimale que si on sécurisait au préalable notre pays en produisant nous-mêmes «les biens de consommation essentiels» nécessaires à la vie décente et au bien-être de nos concitoyens, sans avoir à subir les pénuries cycliques et les forts renchérissements des prix. Sachant que la production de nouveaux biens de consommation, actuellement importés avec inflation, est elle-même génératrice de croissance économique, comme tout nouvel investissement, et même de nouvelles opportunités d’exportation pour les opérateurs économiques tunisiens.
Quels sont les grands chantiers et les priorités de l’Etat pour les années à venir pour stimuler l’activité économique et restaurer l’équilibre du budget ?
Pour stimuler la croissance économique, en restaurant les équilibres financiers en général, trois importants chantiers et réformes prioritaires sont en attente de mise en œuvre : l’amélioration du climat des affaires et la simplification des réglementations, qui ont fait l’objet de plus de 180 propositions de mesures fin 2022. La modernisation de l’administration publique, que tous les acteurs et partenaires économiques de la Tunisie considèrent comme «la mère des réformes», et l’adoption par le Gouvernement du «Programme-pilote Innov’Administration» (en décembre 2022) pourrait poser les jalons d’une profonde modernisation administrative et d’une réelle transformation des services publics. Et enfin la «Nouvelle stratégie industrielle et d’innovation à l’horizon de 2035», qui a été élaborée en 2020-2022 et restituée au Gouvernement en juillet 2022.
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