Pourquoi la Croissance ne décolle pas ? | Mohamed Salah Ayari, Conseiller Fiscal et Membre du Conseil National de la Fiscalité à La Presse : «Les perspectives économiques demeurent aléatoires»
Les projections pour l’année 2024 tablent sur un taux de croissance qui ne dépasse guère le taux de 2,1%, qui paraît a priori un taux ambitieux par rapport à la réalité économique très difficile, mais qui demeure loin des aspirations escomptées, du fait qu’un taux de 1% de croissance ne peut créer au grand maximum que 20.000 emplois. Ce qui prouve que nous sommes encore très loin du compte…
Quel scénario proposez-vous concernant la croissance en Tunisie pour les années à venir ? Quelles sont les entraves qui ont empêché la croissance d’évoluer depuis la révolution ?
A priori, et suite à la «révolution» qui a eu lieu en Tunisie depuis 2011, les taux de croissance étaient largement en deçà de ceux réalisés avant 2011, et qui étaient en moyenne de l’ordre de 4,5% à 5%. Dans ce cas, et en faisant une simple constatation, on peut croire que les taux de croissance étaient meilleurs pendant les années de la «dictature», alors qu’ils se sont dégringolés pendant les années de la «démocratie».
En réalité, les raisons sont plus profondes du fait que «la révolution» a été accaparée par des néophytes qui se sont limités aux discours creux, et sans s’engager à réaliser les réformes économiques profondes qui se basent essentiellement sur un nouveau modèle économique qui doit s’écarter de l’ancien modèle adopté depuis les années 70 du siècle précédent et qui s’est basé principalement sur la main-d’œuvre bon marché, et ce, afin d’adopter les nouvelles technologies, le développement durable, la valeur ajoutée, l’économie verte qui nous oblige à nous orienter vers l’énergie solaire en premier lieu, vers l’énergie éolienne et toute autre forme de procédé qui permet la protection de l’environnement, dont notamment le recyclage et la valorisation.
En se référant au Budget de l’Etat et à la loi de finances pour l’année 2023, le taux de croissance estimé initialement était fixé à 1,8%, alors que ce taux a été ramené à 0,9% uniquement dans le cadre de la loi de finances rectificative de la même année. Les projections pour l’année 2024 tablent sur un taux de croissance qui ne dépasse guère le taux de 2,1%, qui paraît a priori un taux ambitieux par rapport à la réalité économique très difficile, mais qui demeure loin des aspirations escomptées, du fait qu’un taux de 1% de croissance ne peut créer au grand maximum que 20.000 emplois Ce qui prouve que nous sommes encore très loin du compte…
La Tunisie, à l’instar d’autres pays voisins, a été affectée par une série de chocs endogènes et exogènes sans précédent au cours des dernières années. Il en est résulté une dégradation des perspectives économiques et des révisions successives à la hausse des prévisions d’inflation et à la baisse des prévisions de croissance? Quelles sont les solutions envisageables pour sortir de ce marasme dans les années à venir?
Concernant les prévisions économiques, et en plus des difficultés rencontrées au niveau de l’évolution des taux de croissance, tel qu’explicité précédemment, le taux de l’investissement est passé de 24% en 2010 à 16% au titre de l’année 2023. Alors que la baisse du taux de l’épargne était encore plus inquiétante, du moment que ce taux est passé de 21,3% en 2010, à 8,7% en 2023.
En fait, il n’y a aucune solution magique pour sortir de ce marasme économique. Par contre, et en ce qui concerne le taux d’inflation, on peut dire qu’il a été difficilement maîtrisé du fait qu’il a dépassé le taux à deux chiffres durant le premier trimestre de l’année 2023, pour atteindre 10,4% mais a été réduit respectivement à 9,3% en août, à 9% en septembre et à 8,6% durant le mois d’octobre. Et pour être réaliste, et quoi qu’on dise, le taux d’inflation en Tunisie demeure très loin des taux atteints dans d’autres pays, et ce, à l’instar de l’Egypte (40%) et de la Turquie (60%). Mais à quel prix ? Surtout que la Banque centrale n’a pas cessé d’augmenter le taux d’intérêt directeur qui a atteint le plafond de 8%, et qui a permis de maîtriser l’inflation dans des limites raisonnables, mais c’était aux dépens de l’investissement et de la détérioration de la consommation, qui constituent les piliers de la croissance économique.
Par ailleurs, et pour sortir du marasme économique dans lequel s’est engouffré notre pays, les efforts doivent être accentués, afin d’entamer dans les meilleurs délais les réformes nécessaires qui concernent, essentiellement, l’accélération de la révision du Code des changes, l’amélioration du climat d’investissement qui consiste à faire une refonte totale de la loi de l’investissement, l’adaptation de la réforme fiscale à la situation économique très précaire afin de la rendre plus simple, plus efficace et plus commode la suppression des autorisations, quitte à fixer une liste négative pour certaines activités très sensibles afin de libérer l’initiative privée et de donner l’élan nécessaire aux jeunes promoteurs et aux petites et moyennes entreprises.
Quelle lecture faites-vous de la situation et des perspectives économiques en cette fin d’année 2023? Quels sont les grands chantiers et les priorités de l’Etat pour les années à venir pour stimuler l’activité économique et restaurer l’équilibre du budget de l’Etat?
En cette fin d’année 2023, la situation économique est très délicate, alors que les perspectives économiques demeurent aléatoires, du moment qu’on continue de naviguer à vue, et ce, en l’absence d’une vision économique claire et à l’égard d’une situation politique très fragile. Mais pour rester optimiste, du fait que l’optimisme est le gage principal de toute réussite, il serait indiqué de continuer à soutenir le secteur touristique qui a commencé à reprendre sa vivacité après les années maigres et difficiles du Covid-19, avec des recettes en devises qui passent de 4,2 Mds Dinars en 2022 à plus de 6 Mds Dinars en 2023.
Il serait indiqué également d’accorder une priorité absolue au secteur agricole afin de préserver le secteur laitier et de dynamiser davantage les grandes cultures et plus précisément la culture des céréales, pour réduire, un tant soit peu, l’importation du blé et atténuer l’effet néfaste sur les réserves en devises. Il faut améliorer la production du phosphate qui constitue une source indéniable de devises, surtout que la production actuelle qui ne dépasse guère 4 millions de tonnes, est très loin de la production atteinte en 2010 et qui était de l’ordre de 8 millions de tonnes. Il est nécessaire d’assurer la mise à niveau des entreprises, surtout des PME, pour qu’elles puissent surmonter la conjoncture économique très difficile et de réserver aux travailleurs tunisiens à l’étranger beaucoup plus d’égards, pour les encourager à investir davantage dans leur pays d’origine et à continuer à faire les transferts en devises, qui ont été d’un grand apport pour maintenir les réserves en devises à des niveaux appréciables, avec des transferts ayant atteint aux environs de 9 Mds de Dinars en 2022, et peut-être le même montant en 2023. En guise de conclusion, on peut dire que la situation économique en Tunisie est très délicate, mais nous avons les moyens pour l’améliorer progressivement, et ce, avec beaucoup de plus d’abnégation, de solidarité et de sacrifice pour la patrie.
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