Pour l’accès des jeunes au financement de leurs projets : L’urgence d’un «Fonds de pré-amorçage»
L’étude de faisabilité du «Fonds de pré-amorçage» était prête depuis 2011, mais elle est restée dans les tiroirs, malgré l’investissement consenti surtout en benchmark avec plusieurs pays comparables à la Tunisie. Mustapha Boubaya, consultant en management de l’innovation & entrepreneuriat et ancien membre du bureau exécutif et trésorier de la chambre syndicale nationale des entreprises d’études, de conseil et de formation de l’Utica, nous donne plus de détails sur ce sujet.
Le «Fonds de pré-amorçage» (ou Pre-Seed Fund) est destiné à des promoteurs individuels et vise à combler le chaînon manquant pour financer les besoins du tout premier stade du projet. L’aide financière, généralement sous forme de subvention ou de prêt conditionnel (appelé aussi prêt d’honneur) de quelques dizaines de milliers de dinars, est fournie en vue d’aider le promoteur à faire passer le projet du stade de l’idée développée dans un plan d’affaires au prototype, de façon à rendre le projet suffisamment mature pour être présenté à un fonds d’amorçage ou un fonds de capital-risque.
Un précieux instrument de financement
Boubaya explique que l’aide financière est attribuée en fonction du seul «mérite du projet» pour couvrir les coûts des études préliminaires (validation de l’idée, étude de préfaisabilité, renforcement des capacités du promoteur), ainsi que les dépenses des études de faisabilité et de lancement du projet (frais relatifs au développement de l’idée de projet ou de recherche, prototypage, test du marché, à l’acquisition d’équipements et les frais de création de la nouvelle entreprise).
Selon lui, le bénéficiaire peut, également, utiliser une partie de l’aide financière pour payer des services d’appui et d’accompagnement (laboratoires, incubateur, services conseils, accélérateur…).
Ainsi présenté, ce fonds se révèle un précieux instrument de financement, mis en place dans les pays performants et innovants, pour aider les jeunes porteurs de projets, en manque de fonds, à valider leurs idées et les transformer en projets, puis en projets d’entreprises avant d’apprendre à devenir entrepreneur en herbe, pour finir en futur chef d’entreprise.
«Le pré-amorçage étant l’ensemble des dispositifs d’appui à la maturation d’une idée de projet ou d’un projet porté par un promoteur ou une équipe de promoteurs, dont la validation devrait déboucher soit sur la création d’une entreprise, soit sur l’abandon de l’idée de projet. Ainsi conçu, le pré-amorçage s’avère aussi une réponse appropriée au chaînon manquant dans le financement d’éclosion des idées de projets et de l’innovation, et c’est surtout dans le financement des jeunes pousses à haut potentiel, en l’occurrence les start-up, que le pré-amorçage trouve toute son utilité», développe Boubaya.
A quoi sert ce fonds ?
L’expert et consultant en management de projets mentionne par ailleurs que l’étude de faisabilité de la création du fonds en 2011 était motivée par trois constats. D’abord, la nécessité d’optimiser les instruments financiers d’incitation à l’innovation et à la création d’entreprises par l’importante population de jeunes diplômés bien formés mais qui avaient du mal à s’insérer dans le marché du travail et à trouver un emploi, ensuite l’absence en Tunisie d’un dispositif de financement des besoins de ces jeunes durant la phase en amont de l’amorçage et, enfin, la prise de conscience de la nécessité d’opérer une transition vers l’économie du savoir permettant à la Tunisie de se mesurer aux pays leaders en innovation et qui disposent, quasiment tous, d’instruments d’appui-amont aux porteurs de projets pour leur faciliter le passage à la création d’entreprises.
«Or, la transition vers l’économie du savoir requiert un renforcement du tissu industriel par la promotion des jeunes pousses de la nouvelle économie, pour lesquels il est toujours primordial d’adapter les dispositifs d’appui à l’innovation qui étaient, à l’époque, tournés vers les entreprises déjà constituées, et peu orientés sur l’amont de la création d’entreprises, c’est-à-dire l’accompagnement des porteurs de projets avant de créer l’entreprise», dévoile Boubaya.
Et de poursuivre : «En termes de résultats attendus, la mise en place d’un fonds de pré-amorçage, ou d’un guichet spécial de pré-amorçage au sein de fonds existants, devait permettre d’édifier, à court et moyen termes, un écosystème performant d’appui à l’entrepreneuriat innovant, avec une multiplication des organismes d’accompagnement des porteurs de projets : incubateurs, pépinières, accélérateurs, pôles et associations d’entrepreneuriat, centres d’affaires, espaces entreprendre et technopoles. D’autre part, et en termes d’impact sur l’écosystème entrepreneurial en général, le fonds devrait ouvrir la voie au déploiement à grande échelle d’autres instruments de la finance alternative. Il sera une solution aux dettes. Je cite, à titre d’exemples les fonds d’amorçage, Business Angels, Capital-risque et Fonds d’investissement… accélérant davantage le processus de maturation des projets et contribuant à créer plusieurs centaines de jeunes pousses chaque année».
Principaux obstacles à sa mise en œuvre
L’expert ajoute : «Je pense essentiellement à trois raisons : l’accès des jeunes promoteurs au financement n’était pas une préoccupation partagée par tous les responsables et dirigeants de l’époque ; l’absence d’un cadre juridique approprié et incitatif, comme pour les fonds communs de placement à risque, les fonds d’amorçage et les fonds d’essaimage, ce qui a dissuadé les meilleures volontés de s’y aventurer sans ce cadre de référence ; et aussi l’insuffisante prise de conscience des pouvoirs publics, ces 10 dernières années, de l’importance stratégique d’un tel instrument financier, malgré la prédisposition de nombreux partenaires techniques et financiers et de certaines institutions financières internationales à soutenir sa création en apportant leurs contributions à son fonds initial. Ces contributions pourraient facilement atteindre, sinon dépasser, celles du fonds des fonds «Anava» doté récemment de 100 millions d’euros en vue de créer plusieurs fonds d’investissement dédiés aux start-up selon les phases de leur développement, y compris le stade de pré-amorçage, semble-t-il».
Le montant total alloué à ce fonds
Toujours selon l’expert, en actualisant les estimations initiales de 2011, le fonds devrait être doté, aujourd’hui, d’un budget national de 50 millions de dinars, ainsi que de contributions internationales équivalentes à 10 fois (au moins) le montant précité (entre 7 agences de coopération bilatérale et 5 IFI), soit un montant total de plus d’un demi-milliard de dinars. Quant aux sources de financement prévues, l’éventail des contributeurs était assez large : dotation budgétaire de l’État, subventions de la coopération internationale bilatérale (Agences de coopération), subventions adossées aux participations des bailleurs de fonds (IFI), participations des IFI, capitaux privés d’amorçage (tels que «Phenicia-Capital») et capitaux privés dédiés au pré-amorçage (comme le fonds «CapitalEase»).
Des initiatives pour relancer ce fonds
«Le fonds des fonds “Anava” devrait permettre d’ouvrir la voie à la création du premier fonds de pré-amorçage (et d’essaimage scientifique aussi), avec une initiative parallèle pour mettre en place une agence partenariale publique-privée spécialisée en la matière, par fusion, par exemple, de la Caisse des dépôts et de consignation, de Smart-Capital et de Sages-Capital», proclame-t-il.
Il développe que cette agence bénéficierait de la mise en commun des ressources et des savoir-faire, pour être le fer de lance du financement du stade précoce des projets, grâce à une mise en œuvre performante du fonds de pré-amorçage et d’essaimage.
«Le contexte actuel étant triplement favorable à une telle initiative salutaire : l’entrepreneuriat innovant s’étant avéré une arme anti-crise, la dynamique de création des start-up ayant pris son envol, l’écosystème entrepreneurial gagnant en performance avec une forte demande d’accompagnement des porteurs de projets et d’appui aux jeunes entrepreneurs».
Surmonter les obstacles et garantir des initiatives de soutien
D’après Boubaya, la première des initiatives à entreprendre serait de mettre en place un partenariat entre les parties prenantes publiques et les représentants des entreprises économiques, pour entamer la mise en œuvre des choix et des leviers d’action de la «nouvelle stratégie industrielle et d’innovation à l’horizon 2035», qui préconise toute une série de plans d’actions pour surmonter les obstacles devant l’innovation qui empêchent son déploiement au bénéfice de l’économie nationale.
La seconde initiative serait de pré-amorcer un bon nombre de petits projets à même de relancer l’investissement dans de nouvelles micro et petites entreprises est l’adoption d’une «Charte de partenariat Etat-Entreprises» fixant les engagements des deux parties et les responsabilités de gouvernance de la nouvelle stratégie. Cette «charte» pourrait même faire l’objet d’une «loi», afin de donner aux engagements pris tout leur impact positif sur la confiance des investisseurs et la relance d’une croissance économique profitable à tout point de vue pour le pays. Cette loi pourrait, par ailleurs, instaurer, utilement, un dispositif de gestion de tous les services publics d’appui à l’entrepreneuriat en mode de Partenariat Public-Privé (PPP). «Enfin, on ne manquera pas de rappeler la proposition de décharger les entités publiques de la gestion des instruments financiers d’incitation à l’entrepreneuriat et à l’innovation, en déléguant cette gestion à des sociétés de gestion spécialisées, plus diligentes et plus performantes, comme c’est le cas dans la plupart des pays à forte croissance et comme c’est le cas, également, pour la gestion des fonds d’investissement en général», conclut-il.
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