Point de vue: Ces «ultras»…
Ce n’est pas un phénomène propre aux stades tunisiens. Le concept est européen et sud-américain. Nous n’avons fait qu’importer le phénomène des «ultras» au football tunisien depuis plus de 20 ans avec le CA et l’EST qui, jusqu’à aujourd’hui, sont les premiers leaders avec des mouvements «ultras» plus nombreux et plus pesants. On est passé de la «curva nord» et de la «curva sud» à d’autres appellations et à d’autres groupes plus organisés, mieux dotés et surtout plus «fanatiques». Ces jeunes supporters, en grande moyenne, deviennent depuis un bon moment incontrôlables et rebelles.
Voire «anarchiques» vis-à-vis du système incarné, à leurs yeux, par les forces de l’ordre et aussi par les médias classiques et les institutions sportives classiques. Ce ne sont pas des fans classiques de club. Ils sont spéciaux, distingués dans leur mode de penser, d’agir et d’aimer leur club. Leur espace au stade de Radès essentiellement, c’est le virage à droite pour l’EST, à gauche pour le CA et aussi le virage du stade de Sfax au M’hiri.
C’est leur terre, leur espace réservé qu’un supporter ordinaire ne peut pas aborder. On est passé surtout du simple groupe ultra qui réunit une jeunesse exaspérée et qui s’identifie à sa manière au club à des groupes concurrents qui se détestent et qui se livrent des guerres d’argent et de pouvoir. Et les choses ont changé au gré des changements de la société tunisienne : ce sont des groupes bien connectés avec une expertise à user de l’internet et des technologies numériques pour communiquer (logos, vidéos, groupes de discussion, chansons, réseautage…), hiérarchisés avec des chefs qui gèrent des zones géographiques et qui ont des finances solides et assez stables, dont les origines proviennent des cotisations et malheureusement d’autres sources suspectes. Ces groupes font la loi aujourd’hui à leur manière : à l’EST, ces ultras boycottent les virages à cause du quota des abonnements jugé bas. Au CA, ces groupes ultras sont en conflit et les dirigeants clubistes ont décidé de fermer les virages pendant 2 matches en attendant d’y voir clair pour le match de ce samedi.
C’est eux qui haussent le ton et qui veulent toujours se démarquer des autres catégories des supporters. Ils aiment leurs clubs, c’est le point commun entre eux (le seul), mais s’identifient plus à leurs groupes, quitte à se battre, à se marcher dessus. Ce sont des groupes qui n’ont pas froid aux yeux, qui aiment la violence verbale et physique et refusent toute autorité. Et hélas, ce phénomène d’ultras est sorti du cadre sportif pour rentrer au cadre socioculturel et même politique. On est actuellement en phase des ultras et de leurs subdivisions.
Ce n’est plus un seul, mais plusieurs mouvements et une fragilisation profonde et intense d’un même public. Le plus inquiétant, c’est qu’on n’a pas encore compris le mode de fonctionnement secret et complexe de ces groupes. L’Etat a été toujours en décalage et n’est pas allé au fond du problème, se contentant de quelques actions sécuritaires. Le phénomène est irréversible et beaucoup plus enraciné et menaçant. Et pour faire mieux, certains ne font qu’«héroïser» ces ultras et leur pardonnent tout. Ils sont devenus des idoles pour les jeunes et moins jeunes supporters frustrés et qui cherchent apparemment une entité pour se défouler. Cette violence et cette rébellion incarnées par les «ultras» leur font du bien, à leurs yeux.
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