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Pérégrinations régionales: Cap sur les régions du Sahel tunisien

Dans le cadre de notre série d’articles consacrés aux régions, et après avoir braqué la lumière sur les problèmes spécifiques dans les régions du Sud tunisien, on remonte dans cet article plus vers le Nord. Plus précisément au Sahel tunisien, le long du littoral où les grandes villes balnéaires de Sousse, Monastir et Mahdia constituent les plus belles régions de notre pays. Cependant, elles sont rattrapées par les effets du réchauffement climatique, l’épuisement des ressources halieutiques, les disparités importantes entre les délégations et les atteintes à l’environnement.

Quand on évoque la région du Sahel, on tombe facilement sous le charme des trois grandes villes côtières, à savoir Sousse, la perle du Sahel, Monastir, ville natale du leader Habib Bourguiba, et Mahdia, capitale de la Tunisie sous la dynastie des Fatimides. Devenue aujourd’hui célèbre grâce à la montée en flèche du tourisme balnéaire qui draine des milliers de visiteurs tout au long de la période estivale, la région du Sahel qui court du golfe d’Hammamet (Nabeul) au nord à La Chebba (Mahdia) au Sud, est marquée aujourd’hui par des inégalités qui font que lorsqu’on s’aventure loin d’une côte peuplée de touristes et d’habitants pour aller à la découverte d’autres plages encore à l’état sauvage, on est frappé par la situation précaire de la population locale.

Mahdia, un gouvernorat relativement pauvre !

A quelques pas des stations balnéaires les plus modernes de Mahdia et son célèbre port de pêche, d’autres habitants des villages enclavés vivent encore dans la précarité et s’adonnent soit à des activités agricoles ou de pêche artisanale comme moyens de subsistance. Ce gouvernorat souffre de disparités géographiques importantes entre les délégations, en raison notamment d’un manque croissant de ressources hydriques, de l’insuffisance d’infrastructures et d’équipements collectifs, comme est venu le souligner le rapport sur la carte de la pauvreté élaboré par l’Institut national de la statistique (INS) de la Tunisie, en collaboration avec la Banque mondiale.

Au niveau des 11 délégations du gouvernorat de Mahdia, le taux de pauvreté moyen est estimé à 25 %. Un taux considéré comme élevé selon le rapport en question. A ce propos, on signale que la délégation de Chorbane, située à une vingtaine de kilomètres à l’ouest d’El Jem, est connue pour son huile d’olive Chorbane Extravierge Bio qui s’exporte bien. Toutefois, elle a un taux très élevé de pauvreté de 36,9 % alors que le taux enregistré à Mahdia ville est de 13,3 % seulement !

Pour ce qui est des autres délégations, Ouled Chamekh affiche un taux de pauvreté élevé de 35%, Hebira 33,4%, Melloulech 30,9%.  Ces dernières affichent les taux de pauvreté les plus élevés et se caractérisent par les taux d’abandon scolaire les plus importants selon le même rapport.

En comparant ces indicateurs avec l’augmentation du nombre de visiteurs à Mahdia qui a enregistré une hausse de plus de 4% depuis le début de l’année en cours et un taux d’occupation de l’ordre de 33,5% à la même période, on ne peut que conclure que notre modèle de développement régional ne favorise guère les habitants des délégations au sein d’un même gouvernorat. Cette inégalité engendre occasionnellement des remous sociaux dans certaines de ces délégations. A titre d’exemple, à Melloulech et à Ouled Jaballah où la principale activité économique reste l’agriculture, des mouvements de protestation ont eu lieu en 2021 contre l’augmentation des prix du fourrage.

Cependant, il est à rappeler qu’une société citoyenne a été lancée une année après ces manifestations dans la localité d’Ouled Jaballah, avec la participation de près de 300 souscripteurs. Ce type de société offre, selon les décideurs, une nouvelle approche de développement durable et d’inclusion.

Malgré sa position côtière, la ville de Mahdia est considérée comme un gouvernorat relativement pauvre par rapport à sa zone géographique, selon le rapport de la Banque mondiale et l’Institut national de la statistique. Son taux de chômage de 12,2 % est supérieur à celui de la région centre-est qui est estimé à 9,9 % seulement.   Son économie s’articule essentiellement autour des activités de services qui occupent 46,6 % des personnes actives. Les activités industrielles et agricoles ne sont pas très développées. En effet, le tourisme demeure le levier de développement du gouvernorat. Les cartes des délégations indiquent un lien positif entre les taux de pauvreté et les taux d’abandon scolaire.

La région du Sahel assoiffée d’année en année  

Si les plages du Sahel figurent parmi les plus belles du pays, un nouveau facteur est venu troubler la quiétude des habitants dans les villages côtiers et bouleverser leurs habitudes et a rendu leur vie encore plus difficile.

On ne parle plus de risques de pénurie d’eau pour les différents acteurs en charge de la gestion de la ressource dans la zone du Sahel tunisien, en particulier à Sousse  et à Monastir, mais plutôt d’une  pénurie endémique causée par le réchauffement climatique qui a fait que dans la plupart des régions côtières de Sousse, la distribution de l’eau est suspendue à partir de 20h ou 21 h. L’approvisionnement en eau ne reprend généralement qu’au lever du jour.

D’une année à l’autre, les coupures d’eau sont devenues plus fréquentes. De retour d’un pays du Golfe, Imen (docteur en mathématiques) a acquis un appartement à Hergla, ville côtière située à une vingtaine de kilomètres au nord de Sousse. « Au début j’étais très heureuse, même avec ces coupures d’eau dans la soirée. Mais, cette année, les choses ont empiré, puisque la coupure d’eau se fait quotidiennement à partir de 17h00. L’approvisionnement en eau ne reprend généralement qu’à partir des premières heures du lever du jour ».

Outre les facteurs inhérents à la situation de stress hydrique, proche même de la situation de pénurie, dans laquelle se trouve notre pays, il est bien utile de souligner la concentration de plus en plus forte des habitants dans les régions côtières du Sahel qui fait augmenter les besoins en eau et, conséquemment, les risques accrus de pénurie, souligne à La Presse un habitant de Sousse.

Il va sans dire que les décideurs n’ont fait, au fil des ans, que renvoyer aux calendes grecques les réformes stratégiques susceptibles de contribuer à faire face au réchauffement climatique et réduire l’impact du stress hydrique.

Il est à noter que « la région du Sahel compte 21 % de la population totale du pays, 16 % des nappes phréatiques, 9 % des nappes profondes et un potentiel en eau de surface très faible », d’après une étude se rapportant aux ressources en eau de la Tunisie.

Il faut souligner, à ce propos, que l’Etat a pris plusieurs mesures et entamé l’exécution  de projets visant à réduire l’impact du stress hydrique sur le pays à l’instar des  stations de dessalement d’eau de mer à Sfax, Sousse et Gabès qui entreront en exploitation prochainement, le transfert de l’excédent d’eau potable du nord vers le centre et le lancement d’une expérience visant à réduire l’évaporation de l’eau des barrages.  Des mesures prises de manière tardive, mais mieux vaut tard que jamais.

Monastir : plus on s’éloigne du centre, plus les disparités se font sentir

Contrairement à Mahdia où le taux de pauvreté moyen est estimé à 25 %, le gouvernorat de Monastir possède un taux moyen de pauvreté faible. Il est de 7,7 %, alors que le taux de chômage est de 6,6 %. Ce taux est largement inférieur au taux national. Le nombre d’entreprises industrielles est de 633 dont 456 entreprises exportatrices. Ce gouvernorat est connu pour ses activités touristiques, le textile-habillement et les cultures de primeurs. En outre, il possède une armature urbaine ramifiée et une densité démographique élevée.

Cependant, plus on s’éloigne des stations balnéaires et des milieux urbains, plus les disparités se font sentir. C’est ainsi que les délégations les plus pauvres sont éloignées du centre de Monastir et sont caractérisées par les taux d’abandon scolaire les plus élevés selon le rapport sur la carte de la pauvreté cité précédemment. Les délégations de Zéramdine (13,1%) qui compte environ 16 mille habitants, Moknine  (12,1%) avec plus de 89 mille habitants et Beni Hassen (10,6 %) avec 13.869 habitants affichent les taux de pauvreté les plus élevés et se caractérisent aussi par les taux d’abandon scolaire les plus importants.

Autres défis soulevés dans ce même rapport pour ce gouvernorat, la rareté des ressources en eau comme à Sousse et Mahdia.

Graves atteintes à l’environnement

Depuis la fin des années 90, un signal d’alarme a été donné  à cause de la dégradation de la partie nord de la baie de Monastir, en raison des caractères d’eutrophisation (forme de pollution qui se produit lorsqu’un milieu aquatique reçoit trop de matières nutritives), marqués par un développement spectaculaire d’algues qui débute avec la saison hivernale. Dans leur étude élaborée en 1989, des chercheurs du laboratoire de géochimie (Inrst- Hammam Lif) et du laboratoire de sédimentologie et d’océanographie (faculté des Sciences) ont démontré que « cette frange littorale a connu depuis quelques décennies une nette augmentation de la densité urbaine et les activités industrielles (agro-alimentaires, textiles, huileries, etc.) se sont développées parallèlement au tourisme, à la pêche et à l’aquaculture ».

L’étude a révélé que « l’analyse de la matière organique a permis de montrer que ce littoral est affecté par une pollution organique, avec des teneurs en carbone organique total élevées. Une bonne partie de la matière organique qui entre dans le sédiment provient des rejets des eaux usées domestiques ou des eaux de la station d’aquaculture ».

Après deux décennies, les choses n’ont fait qu’empirer, en l’absence de mesures susceptibles de juguler la pollution. On parle aujourd’hui d’une « catastrophe environnementale » dans cette région. En effet, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes) a indiqué, récemment, que «les atteintes à l’environnement se poursuivent depuis 20 ans dans le golfe de Monastir, à la suite du déversement incessant des eaux polluées ménagères et industrielles par les stations d’épuration et les usines». Il a appelé à déclarer « l’état d’urgence environnementale dans le golfe de Monastir, suite à une nouvelle catastrophe environnementale résultant du pourrissement des poissons, du jaunissement de la mer, et des mauvaises odeurs».

Des mouvements de protestation auxquels ont pris part les marins pêcheurs et la société civile ont été enregistrés dans la ville de Ksibet el-Médiouni les 22 et 23 juillet, à la suite de la découverte de cette catastrophe, selon le bureau du Ftdes à Monastir. Ce dernier n’a pas manqué d’évoquer  le calvaire des habitants de Ksibet el-Médiouni, Lamta et Sayada, en raison du déversement anarchique des eaux usées par l’Office national de l’assainissement (Onas), au niveau de la station Sayada-Lamta-Bouhjar.

Il est à souligner que les pêcheurs artisans dans plusieurs régions du Sahel, dont celle de Teboulba, vivent dans la précarité et dans des conditions socioéconomiques difficiles. Ville côtière rattachée administrativement au gouvernorat de Monastir, Teboulba constitue une municipalité de plus de 37 mille habitants.

Selon une enquête menée dans cette région et publiée en octobre 2021 par le Ftdes, la majorité des pêcheurs interrogés (environ 70 %) n’adhèrent pas à une association ou une organisation. 30% ont choisi de devenir membres de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap). Seulement, et même les adhérents de cette organisation ne sont pas vraiment satisfaits de la qualité des services fournis pour défendre les intérêts de cette modeste corporation. Cela a engendré plusieurs formes de conflits entre les différents types de pêcheurs, tels que des conflits avec les chalutiers.

Autres problèmes et difficultés enregistrés, les stocks de poissons de la pêche côtière à Teboulba ne cessent de diminuer au fil des ans, en raison du non-respect par certains pêcheurs des réglementations en vigueur. Les petits pêcheurs de cette région ont aussi soulevé d’autres difficultés liées à la dégradation de l’infrastructure portuaire et à l’encombrement au niveau du port de pêche en raison de l’évolution rapide de la flottille de pêche. Donc même au Sahel, réputé région prospère de la Tunisie, il y a fort à faire.

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