Culture

«Par-delà les montagnes»: Ainsi parla Ben Attia !

La capacité d’émerveillement perdue chez la plupart des adultes demeure vive et intacte chez les enfants, semble vouloir nous dire Ben Attia.  Une capacité que le cinéma a le pouvoir de ranimer et de raviver et que lui-même semble vouloir cultiver pour continuer à voir ses dos de dragons…

Lorsque recroquevillés sous le poids du réel, du quotidien, lorsque l’on pense que nos cœurs et nos âmes vont s’étioler, peuvent ou doivent alors s’ouvrir en nous de nouveaux espaces, comme des salles qui seraient encore inexplorées et qui nous doteraient de capacités extraordinaires… comme celle de déployer nos ailes et de voler «Par-delà les montagnes»…, voilà ce que l’on garde du film éponyme de Mohamed Ben Attia, visible actuellement dans nos salles.

Et si cette forme de libération et d’émancipation devenait possible ? Et si ce chemin d’évolution était permis comme ce fut le cas pour ce premier hominidé qui, un jour, a ressenti le besoin et la capacité de se mouvoir en station verticale et qui l’a tout simplement fait ? Nous dit encore le réalisateur.

Il était une fois, Rafik, un homo-modernus tunisien aux ailes brisées qui, à l’instar de ses congénères, fait rouler au quotidien son rocher de névroses et de stress. Vient un jour où las, il explose et se libère dans un violent cri de ras-le-bol et de rage (on comprendra par la suite qu’à l’image du cri nouveau-né il s’agira pour Rafik d’une deuxième naissance) et met en pièces son bureau de travail.

De la prison aux allures trompeuses d’un open-space qui lui tenait de lieu de travail, Rafik se retrouve dans une autre prison pour une peine de quatre années. Il tentera, tout au long de son séjour, de déployer ses ailes et découvrira, à coups de soûleux essais —que l’on tentera, en vain, de brider avec des tranquillisants— sa capacité naissante et balbutiante de voler avant d’être finalement «libérée».

Dès lors, tout se passera de manière hachurée sans réel lien de cause à effet et l’on se retrouve vite embarqués dans les péripéties inattendues de Rafik obsédé par l’idée de partager sa découverte avec sa femme et son fils Yassine interprété par l’adorable Walid Bouchhioua.

Il se heurte, bien entendu, à l’incompréhension de sa femme qui mettra en doute, ainsi que son entourage, sa santé mentale, lui interdisant de voir son fils. Il décide alors de le kidnapper et de l’emmener derrière les montagnes pour lui révéler son pouvoir.

C’est comme ça que se dessine la première partie ou plutôt le prologue du film. Dans un enchaînement de séquences suggestives, Ben Attia installe l’«intrigue», confiant à Majd Mastoura (qui joue le rôle de Rafik), la lourde tâche d’annoncer le propos.

Après «Inhebbek Hédi», la collaboration est renouvelée avec ce dernier qui avait affaire ici à un personnage nuancé et très complexe, une sorte d’automate sans émotions apparentes hormis la colère (cette fameuse colère libératrice !), qui se révèle à lui-même et au monde.

Un personnage toujours en état de devenir et de passage à… (devenir-émotions, devenir-émancipation), échappant à la boucle, comme si son système aurait subi une sorte de bug qui l’empêcherait de retourner à l’état d’avant et de bien avancer dans son devenir.

Le passage à la deuxième partie du film (dont la portée mystique est indéniable) est marqué par le changement de décors et de l’exiguïté urbaine étouffante, l’on transite vers de magnifiques panoramiques et aériennes montagneuses (la symbolique est claire). Rafik sort son fils de la ville pour se réfugier avec lui dans l’infini de la nature, ouvrant ainsi le champ des possibles.

Première tentative d’envol hors prison échouée pour le bird-man qui n’arrive pas encore à dompter la gravité. En plus de son fils, un berger assiste à la scène et n’hésitera pas à tout abandonner pour suivre l’homme, comme un disciple qui aurait trouvé son prophète… Référence biblique consciente ou pas, le berger, admirablement campé par Samer Bisharat, fera office, dans le film, de témoin de vérité et de protecteur.

Après une petite course-poursuite avec la police, le trio s’enfoncera profondément dans la nature, accueilli par une forêt dont l’hostilité devient refuge (l’aspect fantastique qui ne suit pas un tracé linéaire dans le film revient ici avec une séquence qui fait carrément référence au film d’épouvante avec bruitage suggestif de bêtes et ambiance embuée).

Rafik se heurtera à nouveau au rejet des autres quand il demandera l’aide d’un couple (Helmi Dridi et Selma Zguidi) et leur fils (Wissem Belgharak) qui vivent reclus dans un chalet en pleine forêt. Les choses se corsent à partir de là et face à l’incompréhension de ses congénères, la tension monte et Rafik exprime de nouveau sa colère… Et c’est là que l’on a eu un peu de mal avec certaines séquences de «violence» qui n’étaient pas toujours convaincantes et qui auraient pu être plutôt suggérées (on pense surtout aux gentilles gifles que Dridi donne à Mastoura).

Le couple de parents qui était dans un premier temps victime se révèle bien plus violent une fois que celui-ci a les moyens de devenir à son tour bourreau. La femme (sous Lysanxia, jouée par une incroyable Selma Zguidi que l’on aimerait voir souvent sur grand écran) a perdu la capacité de voir et refoule la véracité d’un probable envol de Rafik à laquelle elle seule fut témoin. Son fils en revanche ne demande qu’à y croire. La capacité d’émerveillement perdue chez la plupart des adultes demeure vive et intacte chez les enfants, semble nous dire Ben Attia. Une capacité que le cinéma a le pouvoir de ranimer et de raviver et que lui-même semble vouloir cultiver pour continuer à voir ses dos de dragons…

Le film de Ben Attia est a-frontières, constellé çà et là d’évocations, dans lequel il se fait plaisir en s’essayant (parfois maladroitement) à différents genres cinématographiques pour nous servir du road-trip, de l’échappée fantastique et du thriller psychologique et tenter de nouveaux challenges techniques pour assurer la séquence d’envol. Il nous livre au final un récit humaniste, instinctif, sans mièvreries, sans effusion d’émotions, une sorte d’aphorismes cinématographiques surréels, mais ancrés dans nos réalités, sur ces petites choses que l’on aurait perdues, comme nos capacités innées d’émancipation, d’émerveillement, d’imagination, d’évasion et sur l’importance de ces liens humains ineffables et indéfectibles qui nous font déployer nos ailes par-delà nos montagnes. Ainsi parla Ben Attia !

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