Nouveau modèle de développement | Issam Chouchen, président de la Commission des finances à l’Arp, à La Presse : «Réviser les lois qui freinent l’entrepreneuriat et l’investissement est une priorité»
En quête d’un nouveau souffle, l’économie tunisienne, bien que résiliente, a besoin d’un nouveau modèle de développement qui permet d’impulser la croissance et de résorber le chômage. Pendant plusieurs années, cette question est restée sans réponse. Mais aujourd’hui, les repères ont été fixés: avant d’ébaucher un nouveau modèle, il faut d’abord réformer les lois qui freinent l’investissement et l’innovation. Issam Chouchen, président de la commission parlementaire des finances, nous en dit plus lors d’un entretien accordé à La Presse.
Le modèle de développement qui a été instauré depuis l’indépendance, repose sur une main-d’œuvre bon marché. Aujourd’hui, essoufflé, il ne génère plus de croissance. Est-ce que la Tunisie est en mesure d’instaurer un nouveau modèle de développement?
Le modèle de développement qui a été instauré à l’aube de l’indépendance est clair. Il reposait essentiellement sur la main-d’œuvre ainsi que sur l’intelligence tunisienne, notamment les compétences formées en Tunisie. Mais avec les changements économiques et géostratégiques que connaît aujourd’hui le monde, notre pays est appelé à adopter un nouveau modèle. Or, dans le contexte tunisien actuel marqué par des difficultés au niveau du financement du budget de l’Etat ainsi que de la création de la richesse et l’attraction et la rétention de la main-d’œuvre, nous n’avons pas d’autres choix que de nous orienter vers un modèle de développement qui repose sur nos propres moyens, et ce, en comptant sur nous-mêmes et en créant des opportunités d’investissement national et étranger. Pour atteindre ces objectifs, il faut s’attaquer à deux aspects clés. Tout d’abord, il y a l’aspect législatif car il existe encore des lois qui freinent l’initiative et l’entrepreneuriat dans les secteurs privé et public. Je cite, à titre d’exemple, le code des changes, le code d’investissement et d’autres lois qui entravent l’investissement national et étranger et qui n’incitent pas les investisseurs à s’installer en Tunisie. Ce qui empêche la création des richesses et de l’emploi et, par conséquent, l’amélioration du pouvoir d’achat des citoyens.
Le second volet, auquel il faut accorder une attention particulière, concerne la complexité administrative qui représente un problème majeur en Tunisie. D’ailleurs, le chef du gouvernement a décidé, lors d’un conseil ministériel tenu la semaine dernière, la création d’un comité au niveau de la présidence du gouvernement, chargé de l’étude des projets d’investissement. Ce comité composé des représentants des divers ministères représente un pas en avant vers l’accélération de l’exécution des projets d’investissement en Tunisie et vers l’amélioration de l’environnement des affaires. C’est un pas concret. En outre, la présidence du gouvernement a publié un décret relatif à l’accélération des programmes de développement, notamment les grands projets et ceux bloqués. Ces deux décisions peuvent être perçues comme un signal positif pour encourager l’investissement en Tunisie, voie incontournable vers la création des richesses. En tant que commission parlementaire des finances, nous avons recommandé, dans nos rapports et dans nos correspondances avec le gouvernement ainsi qu’avec la ministre des Finances, d’amender les lois qui entravent l’entrepreneuriat et l’investissement en Tunisie.
Vous faites allusion au code des changes ?
Le code des changes qui date des années 90 est devenu caduc. Il est inconcevable de parler d’un code des changes qui a été créé depuis 35 ans, au moment où le monde connaît un progrès technologique et scientifique sans précédent, d’autant plus que ce code n’encourage pas l’investissement, notamment étranger. Il est important de rappeler que les modèles économiques, qui sont en train de prospérer à travers le monde, sont ceux des start-up. En Tunisie, cette catégorie d’entreprise rencontre encore des difficultés en matière de change, notamment lors de l’ouverture d’un compte en devises en Tunisie ou à l’étranger, qui nécessite des autorisations auprès de la BCT. Il est urgent de réviser ce code. Je rappelle, d’ailleurs, qu’en examinant la balance commerciale, on constate que le secteur des services figure parmi les principaux secteurs exportateurs. Et là, il y a une contradiction : on ne peut parler d’un secteur de services prospère avec un code des changes caduc qui a favorisé le développement d’un marché de change parallèle. Aujourd’hui, la majorité des startuppeurs y sont contraints. La révision du code des changes est une priorité à laquelle il faut s’atteler pour baliser, au moins, la voie vers un nouveau modèle économique qui doit être en phase avec les aspirations de la Tunisie.
Où en est-on par rapport à l’exécution du plan triennal 2023-2025? Et qu’en est-il de l’élaboration d’un nouveau plan de développement ?
Pour répondre à cette question, il faut être réaliste et revenir à la problématique initiale.
Qui dit plan de développement, dit dépenses, car un plan de développement a un coût financier. C’est pourquoi j’ai toujours appelé — et j’appelle encore — à la fusion des deux ministères du Plan et des Finances parce qu’il faut mettre en adéquation les objectifs de la planification et les moyens financiers dont dispose le pays. Lors d’une séance plénière récente, j’ai souligné que la réussite de notre modèle de développement est tributaire de cette fusion.
Est-ce que vous considérez que le PLF 2025 jette les bases d’un nouveau modèle de développement ou qu’il ressemble aux lois précédentes ?
Rappelons d’abord que, d’une manière générale, la loi de finances est sous-tendue par diverses hypothèses. Ces dernières sont établies par le ministère des Finances. La loi de finances comporte également des objectifs à atteindre et dépend de son exécution qui est du ressort aussi bien du ministère des Finances que des autres ministères. Ses hypothèses peuvent concerner le prix du baril de pétrole, le prix du change, les changements climatiques, le prix des matières premières, le taux de croissance, les tensions géopolitiques. Ces hypothèses sont importantes car elles servent à établir le budget économique de l’Etat. Par exemple, la variation d’un dollar de baril de pétrole coûte à l’Etat 140 millions de dollars. Sur un autre plan, les politiques extérieures de l’Etat qui sont définies par le président de la République, reposent sur le principe “compter sur soi”. Ce qui veut dire que nous devons rompre avec la politique d’endettement extérieur que la Tunisie a longtemps suivie, pour compter sur nos propres moyens. Or le PLF 2025 ne traduit pas cette politique, car pour compter sur nous-mêmes, nous devons encourager l’investissement. Or, le PLF 2025 augmente la pression fiscale qui décourage l’investissement. Plus de 50% des ressources de l’Etat proviennent des impôts. Et comme on le sait, l’impôt et l’investissement ne s’articulent pas. Pour que la LF 2025 soit en adéquation avec les politiques de l’Etat, nous avons toujours demandé d’encourager l’investissement, et ce, à travers la révision du barème fiscal pour les entreprises. Cette révision doit être réalisée, mais pas dans la logique actuelle du PLF 2025. Les articles du PLF 2025 relatifs à l’imposition vont être, en effet, révisés par la commission parlementaire des finances.
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