Nahid Djalili Marand, universitaire et traductrice iranienne, à La Presse : «J’ai l’intention de faire connaître notre patrimoine littéraire iranien aux lecteurs français et francophones…»
Discrète et fort peu bavarde sur sa personne, parce que naturellement humble de cette belle humilité qui apparaît tout de suite sur son visage et sa manière d’être, Nahid Djalili Marand, qui a été la vice-doyenne de la Faculté des Lettres, à l’Université Alzahra, à Téhéran, et qui enseigne et dirige régulièrement des mémoires et des thèses au département de français et de traduction dans cette faculté, ne s’est jamais empressée à nous révéler les prestigieux «Insignes de Chevalier dans l’Ordre des Palmes académiques» qui lui ont été remis, le 5 avril 2021, par l’ambassadeur de France en Iran, Philippe Thiébaud, qui a salué son exemplaire carrière d’universitaire et de traductrice, sa contribution «au rayonnement du français en Iran» et son «inlassable attachement à la langue et à la culture françaises». Nous l’avons rencontrée avec bonheur en Tunisie et accompagnée dans sa découverte de Sousse, d’Hammamet, de Nabeul et de Takrouna et elle nous a accordé sans façon cet entretien…
Nahid Djalili Marand est professeur de littérature française et de traduction à l’Université Alzahra, à Téhéran. En plus des travaux de recherches qu’elle avait conduits pour l’élaboration de la thèse de Doctorat qu’elle avait soutenue, en 1998, à l’université de Franche-Comté, à Besançon, sur «L’évolution méthodologique en didactique du français langue étrangère» et où elle a travaillé tant en linguistique qu’en interculturel, elle a publié de nombreux articles et communications sur la traduction et sur les problèmes sémantiques et lexicaux qu’elle pose. «Les emprunts français dans la langue persane et leur parcours évolutif» ont fait aussi l’objet de certaines de ses publications en Iran comme en France. Grande voyageuse dans le monde entier, sans préjugés et avec amour, en quête du Beau qui réconcilie les hommes et les cultures, elle a fait différentes haltes en Tunisie où elle est intervenue par exemple, en novembre 2019, à la faculté des Lettres et des Sciences humaines de Sousse, dans le colloque international organisé sur «Langue française, écrivains francophones» (Paris, L’Harmattan, 2020) où sa communication a porté sur l’écrivain afghan francophone Atiq Rahimi. Passionnée, traductrice de haut niveau, elle s’est engagée depuis plusieurs années à traduire en français de très beaux livres iraniens qui informent le lecteur sur les joyaux et merveilles de la culture persane et sur ses profondeurs historique, spirituelle et humaine que rien ne saurait occulter : de l’Iran auquel Nahid Djalili Marand demeure indéfectiblement fidèle, tous les voyageurs du monde reviennent fascinés, émus au suprême degré, par tant d’art, de beauté, de finesse, de richesse culturelle, de poésie, de propreté et de générosité dont elle essaye de rendre compte à travers ses multiples traductions souvent publiées dans des volumes de qualité éditoriale supérieure.
Discrète et fort peu bavarde sur sa personne, parce que naturellement humble de cette belle humilité qui apparaît tout de suite sur son visage et sa manière d’être, Nahid Djalili Marand, qui a été la vice-doyenne de la faculté des Lettres, à l’Université Alzahra, à Téhéran, et qui enseigne et dirige régulièrement des mémoires et des thèses au département de français et de traduction dans cette faculté, ne s’est jamais empressée à nous révéler les prestigieux «Insignes de Chevalier dans l’Ordre des Palmes académiques» qui lui ont été remis, le 5 avril 2021, par l’ambassadeur de France en Iran, Philippe Thiébaud, qui a salué son exemplaire carrière d’universitaire et de traductrice, sa contribution «au rayonnement du français en Iran» et son «inlassable attachement à la langue et à la culture françaises».
Nous l’avons rencontrée avec bonheur en Tunisie et accompagnée dans sa découverte de Sousse, d’Hammamet, de Nabeul et de Takrouna et elle nous a accordé sans façon cet entretien :
Vous ne cessez de traduire en français des livres écrits en persan, surtout des contes, des poèmes et des ouvrages parlant de votre pays. Quel est pour vous l’intérêt de cette traduction ?
Tout d’abord, en choisissant les contes et les textes poétiques de nos écrivains et nos poètes contemporains pour les traduire, j’ai l’intention de faire connaître notre patrimoine littéraire aux lecteurs français et francophones. Quant aux livres qui présentent l’Iran, pays à civilisation millénaire, j’envisage en quelque sorte d’exprimer mon amour pour ma Mère-Patrie, dont les beautés émerveillent tout regard et tout esprit raffiné. Puis, ces livres illustrés grâce à de belles photos d’un grand photographe, Davood Vakilzadeh, et représentant divers sites historiques et naturels de notre pays, pourraient intéresser les passionnés de voyage, en l’occurrence les Français et les francophones.
Vous publiez vos traductions à Téhéran. Pourrait-on en déduire que vos lecteurs sont exclusivement des Iraniens francophones et non des Français ou d’autres peuples francophones? Pensez-vous que vos traductions arrivent en France et s’y vendent à des lecteurs français?
En fait, ces œuvres traduites en français s’adressent aussi bien aux Iraniens francophones qu’aux étrangers parlant cette langue. Les livres en question se trouvent dans les rayons des librairies de la capitale et celles des villes touristiques comme Ispahan, Chiraz, Yazd, Kāchān, etc. surtout dans les lieux fréquentés par les touristes. En général, ces derniers aiment rapporter des souvenirs de voyage dans leur valise, entre autres, de tels livres. Je reçois de temps en temps des mails de lecteurs français et francophones qui s’expriment sur mes traductions et le contenu de ces ouvrages, donc, je dirais oui, ils arrivent en France ou dans d’autres pays, mais ils ne s’y vendent pas puisque c’est la maison d’édition qui doit s’en occuper, la situation politico-économique du pays aurait pu empêcher une telle exportation culturelle vers l’étranger.
Dans votre entreprise de traduction, les deux langues que vous traitez, celle de départ et celle d’arrivée, le persan et le français, appartiennent toutes les deux à la famille des langues indo-européennes. Seulement, elles ne s’inscrivent pas dans le même groupe, puisque le persan fait partie du groupe des langues «indo-iraniennes», alors que le français fait partie des langues romanes ou latines. Des différences majeures doivent les opposer à tous les niveaux. Comment parvenez-vous à résoudre les difficultés dues aux constitutions différentes de ces deux langues et à traduire en même temps, dans les mots de la langue française, l’atmosphère culturelle enveloppant votre langue natale ?
Certes, il y a le décalage sur les plans linguistique et culturel entre les deux langues, mais on sait très bien qu’un traducteur doit maîtriser les deux langues source et cible avant de se mettre à pied d’œuvre. En tant que traductrice depuis presque trente ans, j’essaye de surmonter les hauts et les bas rencontrés dans les textes en puisant dans mes bagages linguistiques (syntaxique, grammatical, lexical) et culturels sans oublier les acquis empiriques de mon parcours. Pourtant, tout texte a ses particularités, alors, à chaque fois, de nouveaux défis se lancent et il faut les affronter avec patience et persévérance. Heureusement, les théories en traductologie me servent d’appui consciemment ou inconsciemment. Dans mes traductions, je m’attache beaucoup à quelques principes : la fidélité à deux langues en question, la qualité du niveau de langue, la précision et finesse dans le choix des mots ainsi que l’aspect esthétique du texte.
Côté culturel, il va sans dire que les «culturèmes» (les traits culturels spécifiques) émaillent tout texte et pour les transférer, surtout quand il s’agit des deux langues situées dans deux sphères différentes, il faut recourir à des stratégies appropriées avant de les transmettre dûment en langue cible, ce qui exige des connaissances élargies et approfondies de la part du traducteur. Quand les obstacles s’y dressent, le traducteur n’oubliera jamais son caractère de chercheur pour subvenir à ses manques de savoir en la matière. On ne peut pas traduire un texte en négligeant la culture de la langue.
Quelle fonction principale assignez-vous à vos traductions ?
Avant tout, j’aimerais que mes traductions procurent d’agréables moments de lecture à ceux qui s’y plongent non sans enrichir leurs connaissances, donc leur principale fonction se résume dans l’épanouissement intellectuel des lecteurs.
Vous avez traduit de l’iranien en français différents ouvrages à caractère historique et touristique illustrés par les photos du célèbre photographe iranien Valkilzadeh, dont par exemple «Iran, pays qu’il faut connaître» ou «Iran, soleil de l’antiquité». Est-ce qu’une instance officielle quelconque vous a choisie, en votre qualité d’universitaire spécialiste en langue et littérature françaises, pour faire ces traductions majeures ou c’est vous-même qui les avez entreprises volontairement ?
Ma collaboration avec cette maison d’édition remonte à plus de 15 ans. Pour la première fois, les collègues qui me connaissaient m’ont présentée à cette entreprise, laquelle cherchait à l’époque un traducteur francophone, puisque des traducteurs anglophone, germanophone, hispanophone, etc. y travaillent pour transférer le patrimoine historico-culturel de l’Iran vers d’autres langues. Et me voilà depuis comme leur traductrice pour faire refléter la richesse de tous ces sites touristiques par la langue de Molière. Comme l’occasion s’est présentée, je voudrais ajouter le titre d’un autre ouvrage que j’ai traduit dans ce cadre, c’est «Saveurs de mon pays» qui illustre l’art culinaire iranien, photos à l’appui.
Vous avez traduit aussi le livre de la conteuse et poète persane de grande notoriété en Iran, Erafan Nazarahari, «Malheur à toi, si tu fais du mal à un oiseau» et les poèmes du non moins célèbre Sohrâb Sépéhri. Est-ce que c’est le contenu très humain, leur appel à la vie, à l’amour et à la nature qui vous a décidée à les traduire ?
Oui, effectivement, leurs contenus intéressants qui nous rappellent les valeurs humaines, le respect de la nature, l’amour des animaux, etc. m’ont beaucoup touchée d’où ma décision de partager ces petites leçons à la fois grandes et très profondes avec mes lecteurs francophones. En ce qui concerne Sohrâb Sépéhri, illustre poète contemporain, c’est son regard perçant qui me fascine en lisant ses textes poétiques, il s’agit d’un regard hors du commun qui fait de lui un poète unique en son genre puisqu’il le laisse planer partout : sur la nature, le milieu où il vit, les gens qu’il croise sur le chemin de sa vie…
Vous enseignez la langue et la littérature françaises à l’Université Alzahra, à Téhéran. Quel intérêt a cet enseignement dans un pays qui n’est pas connu pour être francophone ?
Oui, l’Iran n’est pas un pays francophone, même le français est placé derrière l’anglais étant la première langue étrangère. Pourtant, il ne faut pas oublier l’histoire de la francophonie chez nous qui remonte à quelque deux siècles, mais la présence des Français au moins à l’époque de la dynastie safavide. Certes, le français était tout d’abord la langue enseignée aux princes et aux enfants d’aristocrates qui continuaient, par la suite, leurs études à l’École Polythétique de Téhéran. En même temps, il y avait de nombreux établissements français dont l’Alliance française, les écoles Saint-Louis, Saint-Joseph, Jeanne d’Arc, Lycée Razi, etc. Alors, vu cette historique ainsi que les affinités linguistiques et culturelles entre les Iraniens et les Français, l’enseignement-apprentissage de cette langue pourrait bel et bien se justifier en Iran, surtout que, depuis quelques décennies, le français n’est plus l’apanage de la haute bourgeoisie et que les enfants de toute classe sociale peuvent se lancer dans cette aventure linguistique grâce à l’existence des départements de langue et de littérature françaises dans la quasi-totalité des universités et des instituts de langue ainsi que dans les écoles privées.
Comment êtes-vous venue personnellement à la langue française, à son étude approfondie et à son enseignement ? Comment était votre parcours de l’Iran en France, puis de la France en Iran ?
Pour ma part, j’avais appris l’anglais dès l’école maternelle et après le baccalauréat, pour entrer à l’université dans notre pays, on doit passer un concours national et une fois réussi, choisir une discipline d’étude. Comme je connaissais déjà l’anglais, j’ai opté pour le français en tant que ma deuxième langue étrangère. C’était en 1984 que j’ai commencé à apprendre cette langue avec tant de motivation et de patience à l’Université Alzahra, à Téhéran. Dès les premiers cours, à peine ayant balbutié quelques mots français, le charme de cette langue m’a séduite, j’en suis tombée amoureuse. Et depuis, non seulement cet amour persiste, mais aussi il va crescendo. De même, la connaissance de cette langue/culture m’a ouvert des horizons insoupçonnés dans la vie en m’orientant vers un univers très riche sur les plans linguistique, littéraire, culturel et humain, univers de la francophonie qui est, aux dires de Gilles Vigneault, «un vaste pays sans frontières. C’est le pays de l’intérieur. C’est le pays invisible, spirituel, mental, moral…». J’insiste sur «humain», puisque j’ai trouvé des amis aux quatre coins du monde avec qui je communique en français.
En ce qui concerne mon parcours, après avoir obtenu ma licence, j’ai continué mes études en Sciences du Langage, Didactique, Sémiotique à l’Université Franche-Comté à Besançon. Après le doctorat, j’ai regagné le pays pour m’engager dans l’éducation et contribuer à l’épanouissement intellectuel des jeunes Iraniens. Depuis mon retour au pays en 1998, je fais partie du corps enseignant de l’Université Alzahra ; bref, l’enseignement, la traduction et la recherche constituent mes chevaux de bataille dans la vie.
La littérature persane, on le sait, est tout aussi immense que variée et profonde. Elle contient aussi des écrivains qui écrivent en français comme Zoyâ Pirzâd, Nahal Tajadod, Zohreh Ghahremani, Bahiyyih Nakhjavani, Yassaman Montazami ou encore Danielle Digne, et j’en oublie. D’après vous, qu’est-ce qui aurait décidé ces écrivains à écrire en français ?
Je ne sais vraiment pas les motifs du choix linguistique de ces femmes écrivaines. Je les connais plus ou moins grâce à leurs œuvres. Probablement, elles écrivent en français pour présenter notre littérature aux francophones, ou bien parler des tabous qu’on ne peut exprimer en persan.
Pensez-vous que tous ces écrivains iraniens francophones vivent en France pour écrire en français ?
Pour répondre précisément à votre question, je dirais que ces écrivains ont élu domicile en France ou dans d’autres pays européens pour beaucoup de raisons dont personnelles, socio-politiques, économiques, etc. sans oublier l’exil forcé, sinon ils auraient pu laisser couler leur plume en Iran tout en s’adressant aux lecteurs francophones.
La grande littérature persane a tout le temps côtoyé la grande littérature arabe pour différentes raisons surtout géographiques, historiques et religieuses. Dans votre lecture de la littérature de votre pays, y trouvez-vous les traces de la littérature arabe ? Connaissez-vous aussi cette littérature ?
Bien sûr, on peut repérer les traces de la littérature arabe dans la nôtre surtout en ce qui concerne les textes religieux. Quant au lexique, nous avons beaucoup d’emprunts arabes en persan, ce qui facilite l’apprentissage de cette langue aux Iraniens.
De plus, étant la langue de la religion officielle du pays, l’apprentissage de l’arabe comme l’une des langues étrangères est obligatoire à l’école et au lycée. Personnellement, j’ai des connaissances moyennes en langue et littérature arabes.
En novembre 2019, vous avez participé avec deux de vos compatriotes, les universitaires Mohammad Ziar et Sharareh Chavoshian, à un colloque international qui s’est tenu à l’Université de Sousse sur «Langue française, écrivains francophones» (Paris, éd. L’Harmattan, 2020). Vous êtes intervenue sur «Les traces de la culture afghane dans l’œuvre d’Atiq Rahimi». Qu’est-ce qui vous a conduite à choisir un écrivain francophone d’Afghanistan et non pas d’Iran ?
A l’époque où j’ai vu l’appel à communication de ce colloque sur Fabula, j’étais en train de lire le roman «Les porteurs d’eau» d’Atiq Rahimi qui venait d’être publié. J’ai décidé sur-le-champ, en fonction de l’intitulé du colloque sans avoir pensé aux hommes et femmes de Lettres francophones de mon pays. De surcroît, l’histoire du peuple afghan me touche énormément, un pays où la désolation, la détresse et le désespoir ont pris possession depuis plus de quatre décennies. Intéressée par l’histoire de ce pays voisin, j’ai également fait quelques recherches dans ce domaine, entre autres, une communication présentée lors d’un colloque en 2017 à l’Université de Tabriz (Iran) et publiée dans les Actes du colloque, ayant comme titre «Le sentiment d’insécurité dans le miroir de la littérature» qui était une étude du roman «Les hirondelles de Kaboul» de Yasmina Khadra.
Vous avez visité la Tunisie plus d’une fois. Quelles impressions en gardez-vous ? Notre pays vous paraît-il vraiment francophone ?
Oui, j’ai visité votre beau pays trois fois dont le dernier séjour pendant cet été, en septembre. Certes, d’agréables moments passés en Tunisie m’ont encouragée à m’y rendre pour la troisième fois. La chaleur humaine, la nature splendide, le bleu du ciel et la Grande Bleue, l’art culinaire y compris la succulente pâtisserie m’ont émerveillée à chaque fois. Je n’oublierai pas les maisons blanches avec des fenêtres et des portes bleues dont je garde un grand nombre de photos comme souvenir.
Côté francophone, sans compter mes amis et mes collègues, j’ai été agréablement surprise de voir la quasi-majorité des Tunisiens parler français : les chauffeurs de taxi, les commerçants, les employés des bureaux (à la poste, à l’aéroport, au terminus des autocars…). Oui, à mes yeux, c’est un pays vraiment francophone.
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