Culture

Myriam Joobeur, réalisatrice de Mé al Aïn : «Je travaille sur le ressenti et le symbolique»

Prix de la Fédération internationale de la presse cinématographique (Fipresci) aux dernières JCC 2024, «Mé al Aïn», en salles actuellement en Tunisie et en France, est une première œuvre dense et de grande qualité sur le thème du retour des jeunes ayant rejoint Daesh en Syrie. En 2018, Myriam Joobeur avait réalisé un court métrage «Brotherhood» qui préfigurait le long métrage et qui a été sélectionné aux Oscars.

La Presse — « Mé al Aïn » (La source) est-il la suite ou le prolongement de votre court métrage « Brotherhood » ?

« Mé al Aïn » et « Brotherhood » sont deux fictions qui semblent se dérouler dans un monde parallèle. Parfois, on se retrouve entre deux chemins. On choisit l’un et on se demande qu’est-ce qui aurait pu se passer si on avait choisi l’autre chemin. Les deux films ne sont pas loin de cette image. Dans « Brothehood », Mehdi revient de Syrie et choisit une vie différente mal acceptée par sa famille. Alors que dans « Mé al Aïn », le film épouse le regard de la mère. Dans le premier film, j’ai mis en lumière le regard masculin représenté par le père dont le retour du fils n’est pas le bienvenu, dans le second film, l’accent est mis sur le regard féminin, celui de la mère. Les deux films sont différents mais se complètent.

Le retour du fils avec une femme portant le niqab n’est pas le bienvenu dans le village. Il crée même un malaise dans la famille. D’où vient cette idée de rejet ?

En 2018, en tournant « Brotherhood », j’ai remarqué qu’en Tunisie et particulièrement dans le village où j’ai tourné, il n’y a pas beaucoup de femmes portant le voile intégral.

Lorsque l’actrice vêtue du nikab se baladait dans la rue, j’ai remarqué que les gens, intrigués, la scrutaient et se demandaient qui elle pouvait être. J’ai trouvé intéressant de travailler sur cette question. Qu’est-ce qu’il y a sous le niqab ?

J’ai donc joué sur ce symbole et le malaise que peut créer le voile intégral de peur, de jugement et d’angoisse. A la fin du film, on comprend mieux le personnage ambigu de Reem. Le film est très symbolique.

Pour filmer cette tragédie familiale, vous avez choisi un traitement tantôt réaliste et tantôt onirique. Ce choix s’est-il imposé de lui-même lors de l’écriture du scénario ?

Reem est le déclencheur du scénario. J’ai évité le côté social et politique et approfondi la question spirituelle universelle. Je pense que le symbolisme et la métaphore aident le spectateur qui vient voir le film avec son expérience. Il y a des choses qui ne s’expliquent pas forcément. Je travaille sur le ressenti. J’aime les films qui m’offrent un espace de lecture et de réflexion. On n’a pas besoin de tout comprendre. Le plus important est de ressentir l’émotion qui se dégage de l’œuvre.

Le film évoque la gêne pour ne pas dire la honte des parents dont les enfants ont rejoint Daesh en Syrie, mais aussi de leur souffrance, notamment celle de la mère dont vous épousez le point de vue.

La souffrance est un point intéressant. Depuis mon jeune âge, je pense aux gens qui ont vécu des situations difficiles. Comment peuvent-ils continuer à vivre et à avancer dans la vie ? C’est une forte question qui m’a toujours préoccupée. En réalisant ce film, l’expérience m’a appris l’importance de l’acceptation de l’autre. Généralement, avec la peur et la souffrance, on a tendance à fuir parce que c’est une sensation complexe et difficile. C’est ce que j’ai voulu passer comme message à travers la figure de la mère. Pendant tout le film, elle essaie de fuir, mais elle finit par accepter la situation à la fin.

Visuellement, le film est riche en couleurs, lumière et cadre bien maîtrisé. Est-ce que vous l’avez prévu en amont ou intuitivement lors du tournage des premières séquences ?

Vincent Gonneville, le D.O.P est le premier avec qui je discute lorsque me vient l’idée de réaliser un film.    On commence à travailler sur l’image en amont du scénario. Il fait des recherches. On s’envoie des photos. On pense à l’image avant tout qui est importante pour faire aboutir l’histoire. On a travaillé depuis des années ensemble.

Dans quelle région du pays avez-vous tourné ? Et pourquoi ce choix ?

Le lieu de tournage est un petit village, Louka, dans la région de Sejnane. J’ai beaucoup aimé la nature, la mer, la forêt, les montagnes, le désert. J’ai senti une connexion avec les villageois et une forte sensation que je ne peux expliquer logiquement.

Le casting est le point fort du film. Comment avez-vous procédé pour le choix des acteurs ?

Le casting s’est fait de manière intuitive. Malek et Rayen Mechergui qui campent les rôles de frères sont des acteurs non professionnels du village de Louka. Je les ai rencontrés par hasard. Je leur ai appris à jouer devant une caméra. Mohamed Grayaâ (le père), je l’ai découvert, depuis «Brotherhood» à travers des photos qu’on m’ a montrées et j’ai tout de suite flashé sur lui. Pour ce qui est de Salha Nasraoui (la mère), c’est Sarra Ben Hassen, la productrice qui m’a parlé d’elle et, dès que je l’ai vue, j’ai compris qu’elle est faite pour le rôle de la mère. Pour Adem Bessa (le policier), j’ai dû faire un casting. Dea Liane(la femme au niqab), j’ai été impressionnée par ses yeux. Elle est originaire de Syrie mais vit en France. J’ai eu la chance de rencontrer des acteurs aussi doués.

La musique est impressionnante. Comment l’avez-vous créée avec le compositeur ?

On a commencé à travailler Peter Venne et moi sur la musique depuis l’écriture du scénario. Je lui ai donné le script en lui proposant des indications : comment transmettre la tristesse, la peur, etc. et on s’est mis à jouer sur des éléments naturels comme le bruit de l’eau, le vent, le silence que nous avons transformé en musique. C’est très important parce que tout est lié. On a beaucoup travaillé sur le son. Comment transmettre les sensations des personnages… La musique du film est l’une de mes plus belles expériences.

Le film a été projeté aux JCC, puis en avant-première et maintenant, il sort en salles. Quelles sont vos premières impressions ?

J’accorde une importance au débat que peut susciter le film. Le dialogue avec le public est nécessaire. Encore une fois, l’important n’est pas d’aimer ou pas le film mais de réagir en échangeant des idées autour de l’œuvre.

Quel est votre prochain film ?

Je suis en train de réfléchir sur le prochain film. Je cherche un thème sur une histoire qui se déroule en Tunisie. Mais je veux prendre mon temps et m’occuper actuellement de la promotion de « Mé al Aïn ».

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