Monitoring des médias au second tour des législatives : «Des dépassements graves et une couverture sans saveur»
• Sur 260 «produits médiatiques» analysés, l’ONG a recensé 441 dépassements, soit un taux explosif de 170%.
• Les commentaires haineux autour des publications sur les réseaux sociaux ont augmenté de manière significative.
• Awfiya dénonce la faiblesse du « rendement » de l’Isie
La coalition Awfiya a organisé hier une conférence de presse pour présenter son rapport de suivi de la campagne électorale du second tour des élections législatives, en lien avec la couverture médiatique et l’intérêt qu’elles ont pu susciter sur les réseaux sociaux. S’étalant sur une période de près d’un mois, du 18 décembre 2022 au 21 janvier 2023, cette observation a permis à l’ONG d’arriver à la conclusion que la couverture médiatique dans son ensemble de ce rendez-vous électoral a été très «froide» en comparaison des scrutins précédents, à l’instar des élections présidentielles et législatives de 2019.
A titre d’exemple, la télévision nationale publique a été la seule chaîne de télévision à couvrir toutes les activités des différents candidats à ces élections qui se sont soldées par un taux de participation particulièrement bas (11,4%).
Par ailleurs, les observateurs de l’ONG ont relevé des dépassements relativement graves, notamment en termes de respect «des normes électorales». Ainsi, dans la presse écrite, sur 813 articles recensés, 235 sont considérés comme portant atteinte aux normes électorales, soit un taux de 28,9%. En outre 58% des dépassements concernaient des campagnes de diabolisation et des publicités négatives. A la télévision, les choses seraient encore plus flagrantes selon la coalition. En effet, sur 260 «produits médiatiques» analysés, l’ONG a recensé 441 dépassements, soit un taux explosif de 170%. Fait intéressant, 82% de ces dépassements ont été commis par la chaîne de télévision Al-Zitouna TV, notoirement connue pour sa proximité avec le parti Ennahdha.
Selon l’ONG, à l’image de la configuration électorale dont la parité n’a pas été respectée, la présence des femmes dans les médias a été également beaucoup trop faible. Dans la presse écrite, seules 18,3% des candidats présents étaient des femmes, 13,7% dans les radios, 13,3% à la télévision et 25,7% dans les médias électroniques.
D’un autre côté, dans l’ensemble, la couverture médiatique des programmes des candidats a été très faible et ne permet pas aux électeurs d’apprécier les offres politiques.
L’ONG a également scruté les discours de haine et de violence sur les réseaux sociaux, relevant au passage que sur près de 17.000 publications, 16,61% contenaient un discours haineux. Un taux qui semble bas en comparaison de celui de 26,32% relevé lors du premier tour des élections législatives.
Paradoxalement, les commentaires haineux autour des publications sur les réseaux sociaux ont augmenté de manière significative. Alors qu’ils ne représentaient que 16,43% au premier tour, ce taux a grimpé à 23,55% lors des observations au second tour.
Lors de sa présentation, le directeur du projet, Ibrahim Zoghlami, a présenté un «nuage de mots» (une sorte de représentation visuelle des mots-clés les plus usités sur les réseaux sociaux). Des mots qui se sont caractérisés par leur connotation négative et/ou péjorative. « Fachel » (raté), «Ikhwen» (frères musulmans), ou encore «Inkilab» (coup d’Etat), ont été les mots les plus écrits par les internautes.
Contexte politique, économique et social particulier
Pour Ali Sadraoui, membre du bureau exécutif de la coalition, le chiffre à retenir de ce scrutin est sans aucun doute le faible taux de participation. Un taux de participation qui s’explique par un contexte politique, économique et social particulier. «Il est indéniable que les appels de l’opposition à boycotter les élections ont eu un écho auprès des électeurs», a-t-il affirmé. Ali Sadraoui y lit également une faible adhésion des citoyen au projet politique post-25 juillet 2021 et la conséquence logique de la confrontation entre le pouvoir et les corps intermédiaires.
De plus, selon lui, la situation économique et la disparition des étals de plusieurs produits de base ont été une des raisons pour lesquelles les Tunisiens, et surtout les jeunes, ont boudé les urnes.
Par ailleurs, Awfiya a fustigé la faiblesse du « rendement » de l’instance électorale, qui n’a pas déployé les efforts requis pour convaincre les électeurs, notamment les jeunes enregistrés de manière automatiques et qui devaient voter pour la première fois.
Contrairement aux partis, les individus n’arrivent pas à mobiliser
En outre, le mode de scrutin en lui-même a été l’une des faiblesses de ce rendez vous électoral. En effet, toujours selon l’ONG, les candidats, qui se présentaient cette fois sans étiquette, ont eu du mal à mobiliser les électeurs et à intéresser l’opinion publique. «Contrairement aux partis politiques, les individus se présentant à ces élections ont été incapables de susciter de l’engouement pour ces élections», a affirmé Ali Sadraoui.
Dans ses recommandations, l’organisation appelle à une révision de la loi électorale de sorte à mieux définir les termes de « violences morales » sans toucher à la liberté d’opinion, d’expression et de publication. Awfia appelle également à l’abrogation du décret 54 relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication.
Pour se prémunir contre les violences et les discours de haine, l’ONG appelle l’Etat à mettre à jour les politiques publiques à destination des jeunes dans les domaines culturel, sportif et éducatif, en vue d’encourager les valeurs de tolérance et du sens critique.
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