Mokhtar Zannad, P.-D.G. du groupe Aramis et président du cluster Green Tech à La Presse : “Nous sommes sur la bonne voie mais on peut mieux faire…”
Ceux qui estiment que l’industrie du recyclage est inexistante en Tunisie ont certainement tort. Car c’est un secteur pourvoyeur d’emplois directs et indirects et c’est une filière où on a cumulé le savoir-faire et l’expertise. Certes, la complexité des procédures administratives ou encore l’instauration de nouvelles taxes touchant certaines activités liées à ce secteur mettent un coup de pied dans la fourmilière. Mais la filière est solidement structurée et les parties prenantes œuvrent de concert à aplanir les difficultés. C’est, en tout cas, ce que pense Mokhtar Zannad, P.-d.g. du groupe Aramis et président du cluster Green Tech. Fort de ses 30 ans d’expérience dans le domaine du recyclage, le chef d’entreprise nous parle, à bâtons rompus, des rouages d’un secteur qui joue un rôle environnemental, de plus en plus important. Interview.
Quel état des lieux dressez-vous de l’industrie du recyclage en Tunisie ?
Cela fait près de 30 ans que je suis dans le domaine et je commence à connaître un peu le métier du recyclage et de la valorisation des déchets. La Tunisie compte aujourd’hui plusieurs sociétés de recyclage. Il faut parler de success stories. Notons ici, que le recyclage consiste à prendre une matière qui n’a aucune valeur qui est un déchet et la soumettre à un procédé pour en faire une matière secondaire en parallèle avec la matière première. Cette matière secondaire va être vendue, recyclée pour enfin créer un produit commercialisable. Pour le papier et le carton, par exemple, on recycle ces matériaux en Tunisie, depuis les années 80 parce qu’on n’a pas de bois ni de forêts. Finalement l’idée de recycler et de récupérer les papiers et les cartons a fait son chemin depuis 40 ans en Tunisie. Nous avons, aujourd’hui, 5 usines qui recyclent le carton et 2 qui recyclent les vieux papiers, on parle de plusieurs centaines de tonnes par jour. Les chiffonniers sont très importants pour l’industrie du recyclage : entre 50 et 60% des déchets sont récupérés et triés par les barbechas qui, même s’ils sont un peu dénigrés au sein de la société, jouent un rôle-clé dans cette filière, parce que tout commence à la collecte et au tri. Par exemple, pour la fabrication des papiers toilette à partir des papiers recyclés, deux usines spécialisées dans cette activité font le désencrage des papiers de cahier et de magazine —elles éliminent les charges minérales et l’encre— pour en faire des papiers hygiéniques. Le recyclage du papier et du carton en Tunisie est très avancé et cela a été par nécessité puisqu’on n’a pas de matières premières fibreuses vierges locales. La même chose a lieu avec le plastique. Il y a une grande demande aujourd’hui pour ce qu’on appelle le PET qui est un plastique utilisé pour la fabrication des bouteilles de soda et d’eau minérale. Une nouvelle loi en Europe exige qu’à partir de 2025 toutes les bouteilles plastiques devront contenir 25% de matières recyclées. Avec la crise Covid, le déclenchement de la guerre en Ukraine, et la Chine qui a arrêté le négoce des déchets, la Tunisie peut tirer profit de cette nouvelle donne, vu sa proximité avec l’Europe. Nous sommes le 4ème plus grand consommateur d’eau minérale au monde par tête d’habitant, et de l’autre côté, il y a une forte demande en Europe pour cette matière. Il existe, d’ailleurs, une usine qui, depuis 10 ans, fait du recyclage de PET grâce à tout un procédé de lavage, de tri optique, de granulation. Elle a une capacité de 30.000 tonnes par an de granulés alimentaires. Il y a également d’autres types de recyclage pour la même matière PET. Trois usines en Tunisie fabriquent des feuillards à partir du plastique 100% recyclé. Et la liste des exemples est vraiment longue. Nous avons, également, un grand exportateur de canettes d’aluminium qui fournit deux clients installés au Brésil et en Corée du Sud qui fabriquent des feuilles d’aluminium, qui sont utilisés, à leur tour, dans l’industrie automobile européenne pour la carrosserie. En fin de compte, la voiture entre en Tunisie avec des éléments faits de matière où nos canettes tunisiennes de Boga ou Celtia ont été incorporées après recyclage. Imaginez le circuit mondial qu’a suivi cette canette. La Tunisie compte aussi des recycleurs de pneus, de verre, de palettes ou de déchets de bois et de bien d’autres matières valorisées ou recyclées. C’est pour dire que le monde du recyclage est un monde qui existe en Tunisie. C’est vrai qu’on peut faire mieux. C’est le message qu’il faut toujours véhiculer : nous sommes sur la bonne voie depuis 40 ans déjà et on a la compétence et la matière pour aller plus loin. Vous vous imaginez qu’on a des brevets pour le recyclage des huiles de vidange ? Mais là où le bas blesse c’est qu’il y a beaucoup d’informel dans ce métier-là. Les réglementations changent, les procédures deviennent lourdes ce qui décourage les industriels à y investir. Le fameux article 45 de la loi de finances 2023 est en train de mettre beaucoup de pression sur les sociétés offshore en Tunisie, qui récupèrent les déchets des sociétés industrielles, notamment celles qui opèrent dans les secteurs aéronautique et de la construction automobile. Ce sont les sociétés qui gèrent et recyclent ces déchets qui vont subir la nouvelle taxe et non les industriels qui peuvent les exporter directement sans payer d’impôt. Or, la gestion des déchets industriels n’est pas du ressort des industriels eux-mêmes. Chacun a son métier. Et puis les déchets prennent tout de suite énormément de volume et il est dangereux de les garder chez soi. Des cartons, qu’on stocke pendant des semaines, constituent un risque d’incendie. Des usines et des boîtes leaders mondiales stockent des déchets métalliques depuis des mois, le temps de trouver des solutions pour la nouvelle taxe. C’est ingérable. Or la gestion et la valorisation des déchets sont un métier, un service et une industrie à part dans l’écosystème. Il ne faut pas prendre les risques de voir certaines sociétés offshore partir à cause de procédures trop lourdes et rigides. Il faut au contraire encourager ce secteur. L’économie circulaire devrait nous faire gagner 2% de croissance et créer 300.000 emplois sur 5 ans. De toute façon, nous n’avons pas le choix. Nous n’avons pas beaucoup de ressources naturelles, nous ne sommes pas un pays minier ni un pays où l’énergie est bon marché. Le monde va vers l’économie verte et le développement durable et nous devons emprunter ce chemin parce qu’on est un pays intermédiaire.
Cette industrie est-elle structurée selon le bon modèle ?
Oui même si on doit faire mieux. Finalement, il ne faut ni inventer, ni copier. Il faut adapter. Il y a eu, par le passé, des essais pour faire du tri à la source dans les maisons, mais cela n’a pas marché. Ce n’est pas dans notre habitude. Nous-mêmes avons installé des poubelles semi-enterrées pour le compte d’une municipalité à l’image de ce qui se fait dans le Sud de l’Europe. Elles ont été brûlées au bout de 24h car nous n’avons pas mesuré l’impact d’une telle solution sur les Berbechas. Il a fallu s’adapter, expliquer, installer à côté des caissons grillagés pour les bouteilles, les canettes, les cartons. Aujourd’hui ça marche et on a plus des bennes de poubelles qui débordent. En Tunisie et en Afrique de manière générale, il faut s’adapter aux réalités locales. On ne peut pas faire du copier-coller. Ce qui marche en Europe ne marche pas ici. De plus, nous avons l’exemple et l’expérience Ecolef et l’Anged qui a été quand même précurseur dans les années 2000. On parle déjà de plus de 20 ans d’expérience. Pour la collecte des déchets plastiques, Ecolef est une école. C’est un modèle qui a été repris dans beaucoup de pays africains. Il y a des mécanismes qui sont là, c’est pour cela que je dis qu’il faut positiver. Après la révolution de 2011, la dynamique a ralenti, la pollution a augmenté mais le Tunisien est résilient et le secteur a le temps de reprendre son rythme. Puis sont arrivées les crises exogènes, à savoir le Covid, la guerre en Ukraine, la Chine qui se ferme… ce qui fait qu’on n’est moins les leaders régionaux. Mais on a été précurseur en Afrique dans tout ce qui est traitement, valorisation et recyclage. Mis à part l’Afrique du Sud, il n’y avait pratiquement aucun pays qui a mis en place aussi tôt des filières de collecte et un modèle de recyclage. On a vraiment créé des choses intéressantes qui sont aujourd’hui reprises dans d’autres pays d’Afrique.
La Tunisie exporte-t-elle des produits recyclés ou seulement des déchets?
On fait les deux. Je vais prendre l’exemple le plus mâture, celui du carton. On exporte du papier ondulé et du carton couché. Nous avons quatre grandes usines qui sont dans cette activité. Notre carton recyclé est exporté vers l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient. La même chose pour le papier tissu. Deux grandes usines exportent désormais le papier toilette recyclé vers l’Italie, l’Afrique subsaharienne et le Moyen-Orient. On exporte donc des produits recyclés et des produits à base de recyclé. Il y a d’autres matières où l’investissement pour fabriquer un produit recyclé est très lourd et le gisement trop faible. C’est le cas de l’aluminium. Il n’est pas possible de faire des fonderies d’aluminium ou de cuivre en Tunisie. La quantité elle-même collectée ne suffit pas pour rentabiliser un tel investissement. Mais, comme je le disais tout à l’heure, il y a des exportateurs qui exportent les canettes compactées ou les déchets de cuivre broyés. A la fin, il s’agit d’un modèle économique dans lequel la Tunisie joue son rôle. Pour mettre sur pied une usine de recyclage, rentrer des déchets, trier, traiter, recycler en produits vendables en B2B ou en B2C, il faut qu’il y ait la quantité suffisante de déchets collectés. C’est une question de quantité et de modèle économique qui doit être rentable.
Avec les difficultés liées à la saturation des décharges et les problèmes environnementaux relatifs à l’enfouissement des déchets, est-il possible aujourd’hui d’instaurer de nouvelles méthodes de gestion de déchets?
Absolument. Là, encore une fois, il faut voir ce qui se passe ailleurs et l’adapter à la Tunisie. Les déchets ménagers, ce sont des matières récupérables, réparties en matières organiques (grosso modo deux tiers) et autres recyclables (un tiers). A part la matière récupérée par les barbechas, tout le reste part à la décharge. Le mode est simple: vous prenez, enfouissez, recouvrez de terre, tassez et ainsi de suite dans un décharge contrôlée. Il faut traiter le lixiviat qui est un liquide très nocif. Donc finalement c’est un peu bête de faire tout ça, parce qu’il faut récupérer les matières recyclables qu’elles soient industrielles ou organiques. On peut faire le compostage, de la méthanisation pour créer de l’énergie à partir de déchets organiques. Le fait de ne pas réduire la quantité de déchets qui seront mis en décharge va impacter sa durée de vie qui peut passer de 20 ou 25 ans à seulement 10 ans. On parle quand même de plus de 2.500 t par jour pour Tunis ! Au bout de 10 ans, on commence à réfléchir à faire des casiers à proximité, parce qu’on ne peut pas construire une décharge ailleurs puisqu’aucun riverain n’en veut. Et puis, la construction d’une décharge est très compliquée et peut prendre des années où on doit faire des études d’impact environnemental, social, lancer les appels d’offres, etc. Finalement, on est en train de couper la branche sur laquelle on est assis. Il y a des techniques de tri mécano-biologique qui permettent de traiter et trier les déchets afin de récupérer ceux qui peuvent être valorisés et ne mettre en décharge que le résiduel, c’est-à-dire les déchets ultimes non valorisables. Il faut dire que c’est en train de changer. Il y a des appels d’offres qui ont été lancés pour un nouveau modèle de concessions avec valorisation de déchets, mais ça fait 8 ans qu’on attend. Mais là aussi on se cherche encore pour définir les durées de gestion qui permettent à l’exploitant de rentrer dans les frais, les techniques de valorisation adaptées à la Tunisie. Est-ce que nos déchets très humides permettent l’incinération ? Est-ce que la composition permet d’avoir un bon compost dénué de polluants lourds. Il y a des choses qui sont en train de changer mais cela prend du temps. Tout est en train de bouger sauf qu’on ne le voit pas, parce que ça va trop lentement à cause des procédures administratives et de la crainte même de prendre des initiatives. Plus les lois sont rigides et plus les projets sont ralentis. De plus, ce genre de projets nécessite des financements extérieurs, assez souvent sous forme de PPP, avec des sociétés de renommée, qui ont le savoir-faire en la matière et qui se mettent en partenariat avec les sociétés tunisiennes qui ont, elles aussi, acquis une grande expérience. Après les reports répétés des appels d’offres, les fonds accordés mais non utilisés, ces sociétés rechignent à travailler en Tunisie, alors que nous avons besoin de bâtir avec elles des partenariats gagnant-gagnant et d’aller ensuite ensemble sur d’autres marchés sur notre continent où là aussi nous avons de l’expérience et une bonne image de marque et de sérieux.
Vous avez évoqué l’Afrique. Est-ce qu’on demande l’expertise et le savoir-faire tunisien en Afrique?
Bien entendu. Je prends mon cas particulier. Nous vendons des machines de traitement de déchets. Aujourd’hui, on vend sur 23 pays africains. Et ce n’est qu’en 2015 qu’on a démarré notre activité en Afrique subsaharienne. Nos méthodes et nos techniques en Tunisie font des émules dans les pays d’Afrique subsaharienne qui veulent instaurer des méthodes similaires aux nôtres. Il y a une très belle formule qui dit que l’Afrique est le berceau de l’humanité et l’avenir de l’homme. Moi qui passe mon temps à voyager sur le continent je peux témoigner de l’énorme potentiel de partenariat. Il y a énormément d’opportunités et la marque Tunisie est très appréciée. Nous avons la connaissance, la compétence qu’on peut exporter. C’est indéniable, et personne ne peut nous enlever ça.
Le cluster que vous présidez a été récemment créé. Quels sont les futurs projets sur lesquels va travailler le groupement, notamment dans le domaine des énergies renouvelables qui sont un pilier du développement durable?
L’assemblée constitutive du cluster s’est tenue en décembre 2022. Son activité repose sur deux piliers, le premier c’est la gestion et la valorisation des déchets et le deuxième, ce sont les énergies renouvelables. Tout cela s’inscrit dans le cadre de l’économie circulaire ou du développement durable. On est en train de créer une équipe. Le but est de regrouper une vingtaine voire une trentaine de membres. On vise à soutenir les efforts en termes de protection de l’environnement, recyclage, développement durable et production verte. Nous avons un rôle de sensibilisation pour démocratiser la culture du développement durable et de production propre. Le plus important pour nous c’est d’être une force de proposition. L’autre objectif, également, c’est d’aller ramener des financements pour faciliter les PPP dans le domaine du développement durable mais aussi pour appuyer tout projet vert qu’une usine compte engager tels que la dépollution, le traitement des eaux rejetées, etc. Beaucoup d’entreprises cherchent des financements verts, puisque elles ont de plus en plus besoin d’un bilan carbone, à part le bilan financier,. Dans le cadre de ce cluster, nous misons également sur l’échange d’expériences. Vu l’importance de ce sujet crucial, pour gagner du temps et créer la dynamique, nous avons accepté l’adhésion des sociétés offshore et résidentes, membres de la Chambre de commerce et d’industrie tuniso-française ou pas. S’agissant des projets. Tout d’abord, il y a le fameux article 45 de la loi de finances 2023, qui a constitué le premier sujet qui nous a rassemblés. On a eu des réunions avec le ministère des Finances et toutes les parties prenantes qui ont compris les doléances de nos membres mais, finalement, le décret sera appliqué et les déchets métalliques non ferreux seront taxés à l’export. C’est une mesure qu’il va falloir digérer et surveiller ses conséquences. Certaines sociétés étrangères mettent la pression. Il faudra laisser du temps au temps et faire le bilan au bout d’une année. Par contre, c’est au niveau des procédures que ca reste très lourd. Nous sommes en train de négocier la simplification des procédures de la gestion des déchets pour les sociétés offshore industrielles et de valorisation des déchets. C’est très compliqué aujourd’hui et il y a une kyrielle d’intervenants. Nous allons faire une proposition très bientôt et je pense que des deux côtés, on est tout à fait conscient qu’il n’est pas concevable de compliquer la vie des industriels à cause de formalités compliquées. Le deuxième travail sur lequel nous nous sommes penchés actuellement est lié aux énergies renouvelables. Aujourd’hui, nous souhaitons mutualiser la production d’énergie essentiellement photovoltaïque qui est moins chère et dont la matière première est, encore une fois, disponible dans notre pays.
A ce jour, la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique n’est que de 3%. On parle de blocage au niveau du financement mais aussi au niveau de la réglementation. Qu’en pensez-vous?
Ce qu’il ne faut pas oublier c’est que la Tunisie s’est engagée à atteindre une part de 25% d’énergies renouvelables en 2025 et de 35% en 2030. Mais 2025 c’est demain. Et ce qui fait peur, c’est la vitesse avec laquelle on y va. Je parlais tout à l’heure de la lenteur et de la lourdeur administrative. Je n’aime pas tirer sur l’ambulance, ça me fait mal mais il faut voir autour de soi et comment les choses changent rapidement. Savez-vous que la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique au Togo est de 40%, qu’elle est de 30% au Maroc, de 60% en Angola et de 10% en Egypte ?. Le temps joue contre nous. On attend toujours la loi transversale qui réglementera le secteur des énergies renouvelables surtout pour la production hors site. Mais une fois adoptée, la réalisation des études de faisabilité, de foncier et d’impact environnemental et social va prendre du temps : au moins 5 ans pour la construction d’un parc éolien et 3 ans pour le photovoltaique. Donc, imaginez le temps et l’argent perdus, si on prend encore du retard pour finaliser le côté réglementaire. Actuellement, le secteur est régi par une seule loi qui autorise uniquement la production in situ. C’est pourquoi l’adoption de la fameuse loi transversale qui va autoriser l’autoconsommation hors site est importante. Car la solution est de mutualiser la production d’énergie pour baisser les prix de l’électricité. Une dizaine de sociétés, membres de la chambre, comptent passer au photovoltaïque. Pour ce faire, on veut construire un parc photovoltaïque, par exemple à Kairouan, qui va alimenter ces sociétés à un prix beaucoup moins cher. Il faut mettre le turbo et passer d’idées de projets à des réalisations concrètes. Or, au cours des années 2018, 2019, 2020, 2021, 62 projets photovoltaïques ont été attribués. Il n’y en a que 4 ou 5 qui sont aujourd’hui réalisés. Imaginez la perte sèche enregistrée en raison des retards sachant que la plupart des projets en question sont des projets de capacité de 1 à 10 mégawatts, ce dont ont exactement besoin nos PME et notre agriculture. Pendant ce temps-là, après le déclenchement de la guerre en Ukraine, et la crise Covid, le prix des matières premières utilisées pour la fabrication des panneaux photovoltaïques a explosé de 50%, entraînant une hausse des coûts des 62 projets, qui ne verront probablement plus le jour tel quel. Il va falloir tout reprendre à zéro parce qu’on n’était pas dans les délais et on a subi entre-temps les conséquences des crises exogènes. Ce qui fait mal au cœur c’est que ces projets-là sont très économiques. Si on se base sur un prix de baril de pétrole aux alentours de 100 dollars, le coût du gaz pour la production d’1 kilowatt est supérieur à 350 millimes, alors que pour le photovoltaïque, le coût de production par une centrale de capacité de 1 mégawatt sera de 240 millimes et de moins de 200 millimes si on parle d’une centrale de 10 mégawatts. Il n’y a pas photo, il faut y aller rapidement et fructifier notre expérience pour la dupliquer en Afrique subsaharienne qui est une grande opportunité pour nous puisque 50% des habitants n’ont pas accès à l’électricité. Imaginez les opportunités offertes par cet important marché pour les sociétés tunisiennes spécialisées dans la construction des parcs éoliens ou photovoltaïques. Un ami ivoirien ne s’est pas trompé et s’est installé en Tunisie pour se développer à partir de chez nous avec des compétences et des prestataires de service tunisiens. Le développement durable, c’est au moins 35 ans de marché, d’opportunités et d’investissements dans les deux sens. Aujourd’hui les financements verts ne cessent de s’accroître dans le monde. Des milliards d’euros sont investis dans la région méditerranéenne et seul 1% du total des financements vont en Afrique. Il faut rapidement monter dans le train, saisir les opportunités d’investissements car les places sont chères et nous jouons l’avenir de nos enfants. Encore une fois, les choses avancent chez nous mais on doit simplifier les procédures et aller plus vite pour rester attractifs.
Le mot de la fin ?
Il y a quelque chose qui est en train d’arriver et dont on ne se rend pas compte. L’Europe a instauré le CBAM. C’est un mécanisme d’ajustement carbone qui entrera en vigueur le 1er octobre 2023. L’Europe est notre premier partenaire. Les entreprises tunisiennes qui exportent vers l’Europe doivent justifier de l’empreinte carbone de leurs produits. Si elle est supérieure à celle des produits fabriqués en Europe, les produits seront soumis à une taxe. Et j’ai personnellement l’impression qu’on n’est pas conscient de l’urgence et de l’importance d’une telle mesure. J’imagine qu’on va négocier un moratoire mais, malgré tout, un an ou deux ans de gagné ce n’est rien. L’instauration de cette taxe va être un chamboulement pour tout le monde chez nous et peut être un point faible si l’on ne met pas le turbo pour la transition énergétique et la valorisation des déchets industriels et agricoles. Tout cela rentre en compte dans le calcul du bilan carbone d’une société ou d’un produit. Il faut comprendre que le monde autour de nous est en train de bouger, de changer pour rester compétitif et nous devons rester et même gagner rapidement des places dans cette course. Pour conclure, il faut toujours positiver. On a quand même beaucoup d’avantages: un tissu industriel mature et résilient, des compétences, une proximité avec l’Europe tout en étant à la pointe géographique de l’Afrique et enfin une disponibilité de matières recyclables de qualité et du soleil en permanence. On a de l’expérience. N’oubliez pas qu’on est la population la plus âgée d’Afrique. Cela fait 40 ans qu’on fait du recyclage en Tunisie, on a de belles success stories chez nous et à l’international. On innove, on a une forte proximité culturelle avec les Européens, les Africains, les Maghrébins, les Libanais. On a tout pour gagner. Pour revenir à notre secteur de gestion des déchets et de recyclage, je dis toujours que cette industrie repose sur un trio gagnant: elle dépollue, crée de l’emploi et crée de la richesse.
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