Mes Humeurs – L’hommage de Garcin à Bastide
«Son excellence, monsieur mon ami», biographie romancée, éminemment littéraire et captivante de Jérôme Garcin (Gallimard)
Le titre désigne François-Régis Bastide (1926- 1996), écrivain, ancien ambassadeur et ami de longue date de l’auteur. Régis fut une figure éminente des lettres de la deuxième partie du siècle dernier, il avait tout fait, de son vivant, pour être célèbre, pour se donner une allure; pianiste empêché, germanophile, érudit en matière de musique, intarissable sur les romantiques Schumann, Mendelssohn, Brahms, Schubert, etc, il a connu et admiré Ravel, son aîné de plus de quarante ans ( les deux sont de Biarritz) ). Sa vie fut riche d’aventures, toujours habillé avec soin, il fut l’ami de Cocteau à qui il ressemblait et avait Giraudoux pour modèle d’écrivain; très cultivé, lettré mondain et populaire, séducteur et beau style ; il avait la classe des hommes à femmes, spécialement attiré par celles qui ont l’aspect germanique. Il disait : « Je n’aime pas les femmes heureuses, j’aime changer la vie des femmes », charmé par une dame parfumée, il lui adresse dans la revue Vogue ( pas moins !) une lettre ouverte. «Je pourrais raconter ma vie avec des parfums», côté vin il était plutôt Bourgogne et collectionnait le Vosne-Romanée. Il était aux commandes de l’émission littéraire à grand succès «Le masque et la plume». Plume appréciée, il écrivait aux Nouvelles littéraires, et au Nouvel Observateur, publiait chez Gallimard. Spécialiste de Saint-Simon et de Ravel, il a publié «La Fantaisie du voyageur», «La palmeraie», etc., et obtenu le Prix Fémina en 1956 pour «Les adieux», ses livres n’ont pas été réédités, faute de vente ; son nom s’est dissous dans la longue cohorte des oubliés. Il avait de la passion pour les astres, il en analysait les thèmes avec précision. Dans les dîners en ville, on se disputait, sinon ses prédictions, du moins ses interprétations. L’écrivain François Nourrissier (de l’Académie française) aimait l’inviter avec une dizaine de convives pour lui demander à table de deviner, à la manière de s’exprimer, de se tenir, de manger…le signe de chacun. L’hôte donnait du Bélier au Bélier, du Gémeaux au Gémeaux, etc. «Il ne se trompait jamais», affirmait Nourrissier. A Garcin, imperméable à l’astrologie, Bastide confiait que cette matière l’aidait à séduire les femmes, ça « facilitait les travaux d’approche et abattait des digues ». « Brillant avec les mots, brillant avec les femmes », dira Gilles Jacob (longtemps président du Festival de Cannes).
Une description noble d’amour, comme des étincelles, a émergé de l’ouvrage ( pour moi), elle a suscité mon émerveillement, elle me travaille encore, me sidère et me trouble ; elle reflète le grand esprit qu’était François-Régis Bastide. Décrivant Béatrice, sa future femme, celle pour qui il a abandonné femme et enfants et avec qui il finira sa vie, notamment à Copenhague et à Vienne où il fut nommé ambassadeur. « Très grande, des bras de harpiste », des « jambes de marine », « des yeux d’acier », etc., etc., il définit «un menton tenu haut qu’il faut tenir encore comme une note chantée» c’est cette image qui me subjugue, sachant que Bastide est musicien, qui sait comme personne la valeur d’une note chantée qu’il faudrait tenir haut et qui pourrait gâcher un chant en baissant. Merveilleux !
Jérôme Garcin, son cadet qui a hérité de lui « Le Masque et la plume », et l’a longuement fréquenté et aimé, lui porte une affection et une amitié sans réserve, il lui rend dans cette biographie un hommage émouvant et déclaré. « J’aime bien, écrit-il, l’idée de prolonger mon ami, je ne déteste pas, en général, les devoirs de la filiation, les charges de l’héritage, les rigueurs du souvenir».
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