« Mahfel Room » à l’inauguration du Festival « Tarnimet » : Quand la Rachidia se réinvente

Devant des centaines de spectateurs, majoritairement jeunes, trois DJ ont commencé le show en jouant des morceaux de musique électronique mixés. Un concert debout, où il était quand même difficile de se trouver une place a réussi à drainer un grand nombre de curieux et de mélomanes venant découvrir ce nouveau concept.
Les veillées musicales et patrimoniales de la Rachidia reviennent cette année avec une programmation « Au nom de Cheikh Khemais Tarnane ». C’est Aziz Mbarek qui a donné le coup d’envoi de cette dixième édition avec un spectacle aussi original qu’ambitieux qui s’inscrit dans un genre nouveau : Electronic Malouf. En effet, loin d’être un oxymore, la musique de «Mahfel Room» fusionne notre Malouf tunisien avec des sons de musique électronique. On a beau qualifier aisément tous les métissages musicaux de «mélange audacieux», mais il paraît que, cette fois, le mot audacieux prend tout son sens.
Au cœur de Dar Daouletli, monument historique somptueux datant du XVII siècle et local officiel de la Rachidia depuis 1934, trois DJ se sont succédé : Aquanima, Hamdi Ryder puis PAN-J. Devant des centaines de spectateurs, majoritairement jeunes, ils ont commencé le show en jouant des morceaux de musique électronique mixés. Un concert debout, où il était quand même difficile de se trouver une place, a réussi à drainer un grand nombre de curieux et de mélomanes venant découvrir ce nouveau concept. Il s’agit, en effet, de la toute première représentation sur scène de «Mahfel Room», annoncée sold-out plusieurs jours auparavant. Sous les voûtes de Dar Daouletli, la musique occidentale a résonné en début de spectacle avant d’entamer la seconde partie avec «Zaama nar tetfachi » comme on ne l’a jamais entendue. Cet air de Malouf célèbre a été remixé et subtilement intégré dans des notes occidentales.
Il a été repris en chœur par le public surexcité qui a réagi avec la chanson en applaudissant. PAN-J, le DJ, n’est pas étranger aux lieux. Il s’est présenté comme étant élève de la Rachidia jusqu’à 2011. C’est là où il a exploré cet univers musical du Malouf et où il a appris à manipuler un instrument pour la première fois. Il a accompagné les sons mixés par une prestation au tar, un instrument de percussion arabo-andalou qui ne laisse pas indifférent. Kais Kekli, alias VIPA, l’a rejoint, derrière la console, pour une suite surprenante. Ce rappeur tunisien de renom que le public a connu principalement au sein du groupe Erkez Hip hop, et à travers des duos avec de nombreux chanteurs célèbres, se démarque par sa prestation dynamique et ses textes percutants.
Ses chansons essentiellement rythmiques, que les jeunes connaissent par cœur, sont toutefois engagées et au message plus fort qu’il n’y paraît. En survoltage permanent, le duo a enflammé la scène avec leur son unique, leur fougue jubilatoire et leur énergie débordante. De l’ardeur, il en faut, pour maintenir le public attentionné durant plus de trois heures de concert où l’on ne voit pas le temps passer. Ils ont également invité le chanteur et percussionniste Aziz Belhani pour un passage concis, mais marquant. Le show a été clôturé par un remix de «Mahboubi mathaltek warda».
Le concert de Aziz Mbarek, qui était réussi dans l’ensemble, risque cependant de soulever de fortes critiques. En effet, c’est la première fois que la Rachidia, symbole de résistance contre l’invasion de la musique orientale et occidentale et ayant vu passer les plus belles voix qui ont repris des chansons du malouf tunisien, accueille des DJ. Une chose est sûre, cette institution se réinvente et s’ouvre à des influences culturelles inaccoutumées. Mais, dans quelles limites et à quel prix ? Cette nouvelle vocation est contestée par des voix qui réclament la préservation du temple musical à l’état de base, comme on l’a connu 90 ans auparavant, depuis sa création, et s’opposent à l’idée de le profaner en introduisant des airs nouveaux.
Or, Aziz Mbarek nous a expliqué avant le concert que « Mahfel Room » est plus qu’une simple performance musicale. C’est un concept entier prêt à l’exportation pour faire connaître le patrimoine tunisien au-delà de nos frontières. D’ailleurs, en parallèle au spectacle musical, des stands sont organisés dans les salles du bâtiment où divers produits artisanaux sont exposés : vêtements, bijoux, aliments et autres.
Une salle a été réservée pour la projection de séquences filmées en vidéo qui expliquent les étapes de création de certains produits faits à la main. L’odeur de l’encens qui emplit l’espace accentue cet effet d’immersion au sein de nos traditions artisanales comme on les aime et comme on aime les montrer aux amateurs de la culture tunisienne. D’ailleurs, nous avons noté un nombre considérable d’étrangers ayant assisté au spectacle. Aziz Mbarek, qui réside en France, envisage de faire le tour d’autres monuments emblématiques avec le show musical et l’exposition, mais aussi de reproduire « Mahfel Room » à l’étranger.
Après le spectacle, nous avons rencontré M. Taher El Habib, secrétaire général de l’Association La Rachdia, et qui est derrière l’organisation de cette édition de « Tarnimet ». Il nous a indiqué qu’il est temps de céder le flambeau aux jeunes, qui sont les futurs gardiens du temple. « On va sortir de l’ordinaire », souligne-t-il.
« Ça va être intrigant pour certains, choquant pour d’autres. Mais il faut accorder la chance à la nouvelle génération qui a grandi avec une cadence musicale différente de la nôtre. On ne peut pas leur imposer la musique de nos aïeux à son état pur. Nous avons alors pensé à la véhiculer autrement, à l’intégrer aux sonorités auxquelles ils sont habitués à travers des artistes qui maîtrisent les technologies modernes, les éclairages, les effets spéciaux.
Il y a une part de risque dans cette aventure que j’ai acceptée de mener en dépit des critiques. Ce soir, je vois un public épanoui. La majorité écrasante de ces jeunes n’ont jamais été à la Rachdia auparavant. Nous souhaitons qu’ils deviennent habitués des lieux. C’est aussi une manière de faire la promotion touristique de ce patrimoine riche à travers les stands qui donnent un coup de pouce aux jeunes artisans».
Finalement, «Mahfel Room » semble avoir validé deux objectifs principaux : le succès public et sa qualité de «soirée patrimoniale» comme il est à l’ouverture de «Tarnimet». Rappelons que les spectacles se poursuivent à la Rachidia jusqu’au 28 mars. Les prochaines soirées seront dédiées au malouf et au foundou dans leur format classique.
L’article « Mahfel Room » à l’inauguration du Festival « Tarnimet » : Quand la Rachidia se réinvente est apparu en premier sur La Presse de Tunisie.
lien sur site officiel