Loi de Finances 2025 – Hafedh Zribi, expert-comptable et membre fondateur de l’Association tunisienne pour la gouvernance fiscale à La Presse: « L’activation du statut de l’autoentrepreneur constitue un point positif majeur »
Hafedh Zribi, expert-comptable et membre fondateur de l’Association tunisienne
pour la gouvernance fiscale à La Presse
« L’activation du statut de l’autoentrepreneur constitue un point positif majeur »
Comme chaque fin d’année, le débat sur la loi de finances ne tarit pas. Une simple feuille comptable, une loi sans grands reliefs … Si les avis des spécialistes et des experts divergent, la LF 2025 apporte désormais des nouveautés. Dans cet entretien, l’expert-comptable Hafedh Zribi revient sur les principales nouvelles dispositions et nous livre son analyse.
Est-ce que les modifications apportées à la LF 2025 après les débats parlementaires auront un impact significatif sur ses équilibres financiers ?
Tout d’abord, revenons sur la forme. Une comparaison entre le budget de 2024 et celui de 2025 montre qu’il n’y a pas de grandes différences. Les niveaux des dépenses restent presque similaires, avec des chiffres dépassant les 59 milliards de dinars. Il y va de même pour le service de la dette, qui a franchi les 17 milliards de dinars. En somme, nous parlons quasiment des mêmes chiffres et valeurs entre les deux années.
Cependant, il faut rappeler que 2024 a été marquée par une croissance lente. Les recettes fiscales ont pu être dopées grâce à l’amnistie fiscale. Pour 2025, le ministère des Finances a proposé des mesures visant à maintenir un niveau équivalent de recettes fiscales, soit environ 44 milliards de dinars. Ainsi, la première version du projet de loi présenté par le gouvernement visait à accroître les recettes fiscales à travers de nouvelles mesures.
Lors des débats parlementaires, les députés ont tenté de trouver un équilibre entre la nécessité d’alléger la pression fiscale pesante sur les citoyens et l’obligation de renflouer les caisses de l’État. C’est dans ce contexte que les modifications proposées par les députés ont suscité des débats houleux et des controverses avec la ministre des Finances. On essayait d’évaluer l’impact d’une telle mesure, de proposer une autre alternative… et les débats, en somme, se sont exacerbés. Les deux parties ont essayé à maintes reprises de trouver un consensus autour de mesures controversées telles que celle relative à l’augmentation de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (Irpp) pour les salaires de plus de 50 mille dinars. Car, le premier souci de l’administration est de trouver les moyens d’accroître les recettes fiscales pour atteindre les équilibres budgétaires et financiers prévus. En contrepartie, les députés voulaient introduire de nouvelles mesures pour répondre un peu aux attentes de la population.
Quelles sont les principales dispositions qui ont été retenues dans la version adoptée de la LF ?
Tout d’abord, il y a l’amnistie fiscale. Mais il faut bien la définir, car elle est devenue une pratique à laquelle recourt l’administration pour accroître les recettes fiscales. Concrètement, sur une période donnée (généralement à la mi-année), l’administration intensifie le contrôle fiscal sur les entreprises, en recourant à tous les types de contrôle, en l’occurrence le préliminaire, le limité et l’approfondi.
Parfois, il faut le dire, les hypothèses utilisées lors de ces contrôles sont abusives. Peut-être, c’est aussi un moyen de pousser les contribuables à adhérer à l’amnistie fiscale décrétée pour l’année suivante. En 2024, cette décision a pu rapporter à l’Etat plus de 1,6 milliard de dinars. En 2025, on peut s’attendre à un chiffre similaire. L’amnistie fiscale est devenue un moyen de booster les rentrées fiscales de l’Etat mais au détriment du principe de l’équité entre les contribuables, puisque le bon et le mauvais contribuables sont considérés de la même manière. Le bon contribuable peut se sentir lésé contrairement au mauvais contribuable qui bénéficie de l’amnistie tout en faillant à ses engagements.
En 2025, l’amnistie concerne également les amendes douanières et les taxes appliquées aux immeubles non bâtis. Toujours par rapport aux mesures fiscales, l’impôt sur les sociétés (IS) a été relevé à 20% et une imposition conjoncturelle de 2% a été introduite pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires de plus de 20 millions de dinars. Initialement, la proposition du ministère des Finances prévoyait d’indexer l’IS sur le chiffre d’affaires, mais cette idée a finalement été abandonnée.
Les établissements financiers, banques et compagnies d’assurances verront également leur taux d’imposition augmenter, passant de 35 à 40 %. Théoriquement, cette mesure a un impact important en termes de rentrées fiscales, mais elle risque de favoriser une recrudescence des manœuvres frauduleuses visant à réduire les bénéfices déclarés. La règle est bien connue: plus le taux d’imposition est élevé, plus le recours aux manœuvres frauduleuses devient fréquent. Je pense que cette mesure fiscale n’aura pas le rendement escompté.
A mon sens, elle est contreproductive, car elle reflète, également, cette instabilité fiscale tant redoutée par les investisseurs. Or, pour stimuler l’investissement privé, il faut créer une stabilité fiscale. Depuis 6 ans, l’IS est en train d’évoluer en dents de scie, ce qui renvoie l’image d’un système fiscal instable. Je pense qu’il est judicieux de stabiliser le taux d’imposition pour une période de 5 ans, cela donnerait de la visibilité aux entreprises et contribuerait à restaurer leur confiance.
Pour l’Irpp, il y a eu presque une révision du barème. Pour les paliers suivants, une nouvelle tranche a été introduite pour les revenus compris entre 10.000 et 20.000 dinars, permettant aux personnes concernées de bénéficier d’un gain fiscal. Deux autres tranches ont également été ajoutées : une pour les revenus entre 30.000 et 40.000 dinars, et une autre pour ceux entre 50.000 et 70.000 dinars. Selon les estimations, les personnes gagnant moins de 40.000 dinars pourraient percevoir un gain d’impôt.
On peut comprendre qu’à travers ces mesures l’Etat veut contribuer à l’amélioration du pouvoir d’achat des citoyens, même au détriment des rentrées fiscales qui représentent ses principales ressources propres. Cependant, cette révision du barème pourrait avoir un effet positif sur l’ensemble des contribuables si elle est correctement appliquée.
Dans le secteur public, elle profitera directement aux salariés. En revanche, dans le secteur privé, où les négociations salariales se concentrent généralement sur les salaires nets, l’abattement fiscal pourrait bénéficier davantage aux employeurs. Enfin, il est important de noter que ce barème vise à instaurer une certaine équité fiscale. Cependant, à mon avis, le meilleur moyen d’atteindre cet objectif serait de passer à un impôt sur le revenu basé non pas sur les personnes physiques, mais sur les foyers. C’est un principe appliqué en France, qui, selon moi, est plus productif et équitable.
Quelle lecture économique peut-on donner à cette loi de finances ?
On ne peut pas parler d’objectifs économiques préalablement fixés pour les LF, tant qu’on n’a pas encore mis en place un plan de développement de moyen terme clair. Même le plan de développement triennal est actuellement en suspens. Rappelons que, théoriquement, la loi de finances est un outil qui permet de réaliser les objectifs à court terme grâce auxquels les objectifs à moyen terme identifiés dans le cadre du plan de développement vont être concrétisés. Donc, c’est grâce à cette continuité des lois de finances successives qu’on avance progressivement vers ces objectifs moyen-termistes. Depuis des années, la loi de finances est devenue une simple feuille comptable qui donne des estimations sur les recettes fiscales permettant de dépenser et de rembourser les dettes. Réaliser les équilibres financiers est devenu le souci majeur de l’administration, sans chercher d’autres objectifs, dont un des principaux est le développement. Mais je pense que l’activation du statut de l’autoentrepreneur constitue un point positif majeur de cette LF.
Et qu’en est-il du service de la dette ? On parle de changement de structure des ressources de financement …
En termes de remboursement de la dette, les chiffres de 2024 et 2025 sont similaires. Ces années-là, la dette culmine aux alentours de 28 milliards de dinars, sachant qu’un remboursement important est prévu pour janvier.
Il est vrai que, depuis la suspension des négociations avec le FMI, la structure des sources de financement a changé. Cette tendance a été expressément affichée, cette année, dans la loi de finances, puisque les dettes intérieures devront atteindre 21 milliards de dinars et les dettes extérieures se limiteraient à 6 milliards de dinars.
Rappelons que la ministre a, également, introduit une proposition de financement par la BCT à hauteur de 7 milliards de dinars, une mesure qui s’inscrit dans cette même dynamique. La décision a été fortement critiquée mais je pense qu’il s’agit d’un mal nécessaire. Certes, ce n’est pas une bonne pratique mais dans le contexte actuel on n’a pas d’autres choix, d’autant plus qu’elle nous permet de réduire le coût du financement, notamment par rapport aux crédits contractés auprès des banques.
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