Loi de Finances 2023 et réformes économiques | Zouheir Bouchaddakh, professeur à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de Tunis : “Pour sortir de ce cercle vicieux, on est obligé de booster l’investissement public”
“L’augmentation des investissements publics de 1% du PIB, permet de relever la croissance de 2,7% et d’augmenter l’investissement privé de 10% et l’emploi de 1,2%, après deux ans”, précise l’économiste.
Intervenant lors de la table ronde qui a été organisée récemment, par le Laboratoire d’intégration économique internationale (Liei), sous le thème “ La LF 2023 et les réformes économiques, objet de l’accord avec le FMI”, le professeur Zouheir Bouchaddakh a présenté les mesures de réformes qui ont été intégrées dans la loi de finances 2023. Quatre principaux axes (relatifs aux réformes négociées avec le FMI) ont ainsi ponctué son intervention: la réduction de la masse salariale, la réforme de la compensation, les entreprises publiques et les mesures fiscales.
Stabiliser la masse salariale à 12,9% du PIB
S’agissant de la masse salariale, l’économiste a rappelé que la Tunisie s’est engagée à réduire la masse salariale qui représente 40% du budget de l’Etat (et 15,1% du PIB) pour la maintenir à un niveau de 12,9% du PIB. Pour réaliser cet objectif qui devrait être atteint au bout de 3 ans, une batterie de mesures a été adoptée dans le cadre de la LF 2023, affirme l’économiste. Il s’agit, notamment, de la révision du calendrier initial avec l’Ugtt, la suspension des dispositions de la loi 38-2020, la limitation des recrutements et des promotions (à 20%), la poursuite du programme de départ à la retraite, la promotion de la mobilité fonctionnelle des agents, l’encouragement des congés pour création d’entreprises … Le professeur Bouchaddakh estime, cependant, que cet engagement est “difficilement réalisable, surtout avec la montée de l’inflation et la détérioration du pouvoir d’achat”.
Levée de la compensation des produits de base en 2026
En ce qui concerne la réforme de la compensation, l’intervenant a rappelé que le gouvernement s’est engagé à lever progressivement la subvention des produits de base en instaurant le mécanisme du ciblage à travers les transferts monétaires. Il a souligné que la part des dépenses de compensation des produits de base qui a “décollé après 2011” va baisser pour la première fois de 26%.
Cet engagement, pris sur 3 ans, signera ainsi la fin de la compensation des produits de base en 2026, et ce, contrairement aux hydrocarbures, dont la levée totale de compensation sera pour cette année 2023. Cette mesure est pourtant redoutée, étant donné les tensions géopolitiques qui font miroiter une hausse des prix des produits pétroliers mais, aussi, vu son impact sur le pouvoir d’achat des Tunisiens.
“Il faut s’attendre à une diminution très importante du pouvoir d’achat des Tunisiens”, a affirmé l’économiste.
Si le programme de réformes évoque la fixation du montant des transferts de fonds au moins équivalent à la valeur de l’augmentation des prix des produits subventionnés pour soutenir le pouvoir d’achat du citoyen, le professeur Bouchaddakh explique, en ce sens, qu’il est “impossible de compenser totalement la perte du pouvoir d’achat” puisque le transfert monétaire ne concerne que les produits de base qui représentent 30% seulement des dépenses de compensation et que chaque augmentation des prix des produits pétroliers “va entraîner une augmentation des coûts des transports exerçant ainsi des effets inflationnistes”.
Privatisation ou restructuration ?
Évoquant la réforme des entreprises publiques, l’économiste a affirmé que la LF 2023 prévoit un poste de 200 millions de dinars consacré à leur restructuration, “sans donner plus de détails”. Si les orientations du gouvernement par rapport à ce dossier ne sont pas clarifiées, “généralement en Tunisie, on ne parle pas de privatisation mais on préfère le terme de restructuration”, indique l’intervenant. “Dans le programme des réformes, à chaque fois on parle du désengagement de l’Etat des secteurs stratégiques. On préfère plutôt vendre les participations de l’Etat dans les entreprises qui ne sont pas stratégiques pour l’Etat. C’est le choix qui a été pris dans le cadre du programme national des réformes”, a-t-il ajouté. En outre, la LF 2023 prévoit un montant de 300 millions de dinars qui sera consacré à la réduction de la dette de l’Etat vis-à-vis des entreprises publiques.
Par ailleurs, le professeur Bouchaddakh a souligné que la masse salariale, les services de la dette (52% du PIB) ainsi que les dépenses d’intervention constituent des dépenses incompressibles, réduisant ainsi les marges de manœuvre de l’Etat qui utilise les dépenses d’investissement pour faire l’ajustement. “En 2011, l’investissement public représentait 20% des dépenses budgétaires, en 2023 il se situe à 9%”, a-t-il commenté. Il a expliqué, à cet effet, que la réduction des dépenses d’investissement entraîne le pays dans le piège de la faible croissance.
C’est un cercle vicieux où la baisse des dépenses d’investissement engendre un effet négatif sur l’investissement total et entraîne une faible croissance, qui, à son tour, réduit l’espace budgétaire et conduit à un niveau d’endettement très élevé. “Pour sortir de ce cercle vicieux, on n’a pas le choix, on est obligé de booster l’investissement public”, a affirmé l’économiste, soulignant dans ce même contexte les bienfaits de la dynamisation de l’investissement public. En effet, il a été démontré que l’augmentation des investissements publics de 1% du PIB permet, après deux ans, de relever la croissance de 2,7%, et d’augmenter l’investissement privé de 10% et l’emploi de 1,2%.
La Tunisie, champion d’Afrique en matière de pression fiscale
Évoquant le volet de la fiscalité, l’économiste a fait savoir qu’en raison des difficultés de financement du budget, la plupart des mesures fiscales instaurées après 2011 sont des mesures de court terme, qui visent à mobiliser des ressources et financer le budget de l’Etat. Selon l’intervenant, l’année 2023 ne déroge pas à la règle, vu l’instauration de nouvelles mesures telles que le timbre fiscal, l’avance sur l’impôt, l’augmentation de la TVA pour certaines professions libérales,etc. “La majeure partie des mesures concerne l’augmentation et l’instauration de nouvelles taxes, alors que l’objet des mesures fiscales devrait être la réforme fiscale.
La Tunisie a besoin de réforme fiscale, c’est un problème structurel, tant qu’on ne l’a pas résolu on n’arrivera pas à sortir du cercle vicieux”, a-t-il fait remarquer. Il a indiqué que la pression fiscale continue à augmenter pour s’établir à 25% alors qu’elle était de 20% en 2010. Un taux qui met la Tunisie sur la première marche du podium de la pression fiscale en Afrique. L’économiste a, en ce sens, appelé à réduire les impôts pour les bons contribuables, “assurer une répartition équitable et faire payer ceux qui ne payent pas l’impôt”.
Faire porter le chapeau de la hausse aux salariés
Mettant l’accent sur le lourd fardeau fiscal qui pèse sur les salariés, le professeur Bouchaddakh a indiqué que, depuis l’ouverture sur le marché européen, la baisse des droits de douane a été compensée par l’impôt sur le revenu.
Ainsi, les salariés paient 70% des recettes fiscales, contre 2% pour les professions libérales et 0,2% pour les forfaitaires qui représentent, cependant, 51% des contribuables (860 mille).
Il a indiqué que la LF 2023 a augmenté le minimum d’impôt payé par les forfaitaires (90% des forfaitaires paient le minimum d’impôt, soit de 200 à 300 dinars) à 400 dinars. Pour l’économiste, cette mesure ne résout pas le problème d’équité fiscale et d’honoration des obligations fiscales ou d’écart fiscal dont souffre la Tunisie. En effet, le taux de dépôt en Tunisie est inférieur à 50%, alors que l’écart fiscal lié à la TVA qui représente une part importante dans les recettes fiscales est estimé à 50%.
Contrairement à ce qui se passe avec l’administration fiscale moderne qui permet un règlement spontané des impôts grâce à son omniprésence et son système d’information, le taux de couverture de contrôle fiscal en Tunisie ne dépasse pas les 2%. La probabilité d’être contrôlé est très faible, affirme l’économiste.
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