L’intersexualité dans le cinéma tunisien : Entre intime et expérimental
Le cinéma aime les sujets équivoques et transgressifs touchant les minorités et les individualités qui sortent de l’ordinaire. Les hermaphrodites, intersexuels et les transexuels attirent les cinéastes en raison de leur singularité. Généralement, ce sont des films à thèse qui suscitent l’émotion et la compassion. « TranStyx » film expérimental de Moncef Zahrouni, «Ma-Bain» (Take my Breath) de Nada Mezni Hfaiedh et auquel vient s’ajouter « L’aiguille» d’Abdelhamid Bouchnak sont les récentes productions cinématographiques de 2023.
Nada Mezni Hfaïedh s’intéresse aux transexuels. Elle a réalisé en 2017 un documentaire «Au-delà de l’ombre» sur une minorité marginalisée à laquelle elle a donné la parole pour raconter sa vie difficile dans une société hostile qui accepte mal son existence et la rejette l’obligeant à la clandestinité.
Encore préoccupée par la question des transgenres, la réalisatrice propose « Ma-Bain » (Take my Breath), une fiction qui raconte l’histoire de Shams (Amina Ben Smaïl), 23 ans, couturière discrète vivant sur une île avec sa mère et sa sœur, et qui porte en elle un secret. Elle est née intersexuelle. Son existence bascule lorsqu’elle rencontre Habib qui incarne son véritable amour et veut l’épouser. Elle prend alors conscience de son cas et décide de transcender les conventions sociales en rejoignant la capitale dans l’espoir de commencer une nouvelle vie loin des préjugés et des problèmes auxquels elle est confrontée.
« Ma-Bain » (Take my Breath) de Nada Mezni Hfaïedh
La première partie du film, qui se déroule sur l’ile, traîne un peu en longueur. L’essentiel : la relation entre la couturière et sa cliente est très brève et mal interprétée. La mère de Shams accepte volontairement la condition de sa fille qu’elle sait déjà transexuelle. Mais les insulaires voient d’un mauvais œil ce genre de personnes.
Au-delà des frictions
La deuxième partie est le départ de Shams de l’île vers la capitale où elle s’installe pour une nouvelle vie. Son physique change. Elle apparaît avec des cheveux courts, des vêtements masculins et essaie de se faire accepter par les autres, mais son combat n’est pas de tout repos. Le film ne laisse pas indifférent, il suscite l’émotion et l’affection pour ce personnage fragile. L’œuvre est sur le fil du rasoir. Elle aurait pu basculer dans le mélodrame, mais s’en tire tant bien que mal grâce au jeu tout en retenue d’Amina Ben Smail qui a pris le risque de s’investir pleinement dans son personnage.
« L’Aiguille » (The Needle) de Abdelhamid Bouchnak
Toujours sur le même sujet et à quelques semaines de la sortie de « Ma-Bain », un autre film est à l’affiche des salles de cinéma : « L’Aiguille » de Abdelhamid Bouchnak. Après le genre gore (Dachra) et fantastique (Papillon d’or), Abdelhamid Bouchnak explore le social et l’intime dans son récent opus « L’Aiguille », qui, faut-il le préciser, n’a aucun rapport de ressemblance avec « Ma-Bain » sauf le sujet. Et la polémique provoquée par Nada Mezni Hfaïedh sur un éventuel plagiat n’a pas de sens. Son film épouse le point de vue du personnage principal, à savoir la transexuelle, tandis que « L’Aiguille » adopte celui des parents et des grands-parents.
Le film porte un regard frontal sur un sujet délicat qui dérange la société, à savoir les hermaphrodites ou les transexes. Le scénario est bien ficelé. Il aborde la question épineuse sans aucun détour à travers l’histoire d’un couple qui attend un bébé. L’échographie ne révèle pas la bi-sexualité de l’enfant. Il a fallu attendre la naissance pour que le couple découvre que le bébé porte deux sexes.
C’est le choc pour toute la famille. Le père veut un garçon et n’accepte pas le fait que son enfant soit bi-sexuel. La mère (Fatma Sfar) et les grands-parents paternels se résignent à cette fatalité. Les médecins proposent trois jours pour pratiquer une opération. Aux parents de prendre rapidement une décision pour le choix du sexe à donner à leur enfant. La religion n’a pas de réponse à cette question. Les grands-parents préfèrent se soumettre à la volonté de Dieu et laisser le choix à l’enfant lorsqu’il sera grand.
La transexualité n’est en fait qu’un prétexte car le film aborde la question du choix et les conséquences qu’il peut engendrer après coup. La question est essentiellement politique même si le film n’y fait pas allusion. Entre le conservatisme représenté par le père qui prend la décision de trancher sur la question face au niet de son épouse et aux hésitations de ses parents qui s’en remettent à la religion, le film fait triompher la science et l’autorité du père. « L’Aiguille » est une œuvre soignée, portée par des acteurs convaincants.
Images éthérées
« TanStyx » est à l’origine une pièce de théâtre, que le metteur en scène Moncef Zahrouni a adapté en film et dont l’histoire raconte celle de Tina (Sonia Hedhili), une femme trans depuis sa naissance le 14 janvier 2014 à Tunis, jusqu’à son coma à Londres à l’âge de 27 ans au cours d’une chirurgie de réattribution sexuelle. Tina sombre dans une mort imminente et rencontre son ange gardien Stella qui lui apprend à se détacher de sa vie antérieure, lui révèle les secrets de l’existence humaine, rembobine le film de sa vie tumultueuse de transgenre et éventuellement la soumet au jugement dernier. L’œuvre s’est déclinée en plusieurs supports et expressions artistiques : livre et exposition de costumes et performance digitale.
« TranStyx » film expérimental de Moncef Zahrouni
« TranStyx » adopte le genre expérimental. Il s’appuie sur des images éthérées, exprimant un monde irréel, celui du coma en opposition aux images réalistes pour décrire la réalité. Des flous, des ralentis, toute une panoplie de techniques ont été mis en œuvre pour donner à voir une vie antérieure imagée différente de la vie réelle.
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