L’entreprise autrement | C’est le travail qui manque le plus (*)
Aucun progrès réel ne se réalisera dans notre pays si nous n’entamons pas un vrai changement de mentalité afin de rendre le travail une activité sacrée, un défi, le seul garant de notre indépendance et l’un des piliers de notre souveraineté. Nous avons vu comment les peuples avancés bossent et aussi des peuples qui, en moins de trois décennies, ont transformé le visage de leur pays pour en faire une puissance économique, telles la Corée du Sud, la Chine, l’Inde ou la Turquie. Des peuples obsédés par le travail et par le surpassement de soi.
Il y a quelques années, nous étions en mission en Allemagne. Là, nous avons été reçus par le chef d’une petite entreprise. Il nous reçut avec simplicité et courtoisie et commença par nous présenter son équipe. A ce moment-là, il y avait une dame qui se préparait à quitter les lieux. Alors notre hôte s’empressa de préciser : «Je vous prie d’excuser Frau… (disons Braun, ndlr), elle a sollicité une absence de deux heures pour pouvoir assister aux obsèques de son père». Edifiant !
Chez nous, n’importe quel salarié aurait pris, dans ce même cas, deux semaines… et même plus. Pour ces peuples, c’est tout à fait différent. D’abord, parce qu’à un certain moment de la vie chacun pensera à organiser lui-même ses propres obsèques avec l’assistance d’entreprises spécialisées; d’autre part, parents et amis sont convaincus que le seul moyen pour bien faire face à la douleur de la séparation est de replonger dans le travail.
Travail à fond mais aussi moments de répit, congés de repos bien réparateurs et tout un système pour réduire au minimum les soucis quotidiens. Lors d’une visite guidée, une autre fois, à une entreprise de construction automobile en Corée du Sud, nous avons pu observer la chaîne de travail, au concret. Toutes les 50 minutes d’un effort soutenu surtout d’attention, les opérateurs ont droit à 10 minutes de repos et ont à leur disposition tout. Tables de ping pong, tapis pour gymnastique, rafraîchissements, etc. Mieux encore, l’usine a sa propre cité, ses jardins d’enfants, ses établissements scolaires, ses stades, ses piscines, ses jardins publics, ses salles de cinéma et de théâtre, etc.
Chez nous, même les sportifs sont dépassés par leurs homologues des pays avancés, côté condition physique et motivation, ce qui est préoccupant, car le retard ne se manifeste pas ici uniquement au niveau de la technique et de l’expérience, mais bien du côté compétences primaires.
Toutes les excuses sont bonnes, aussi chez nous pour entonner l’hymne au farniente. La moindre fête, le moindre pépin, le moindre frémissement du mercure, la moindre averse et voilà la porte de l’inertie grande ouverte, et bye bye le boulot. Cela sans oublier les pauses et autres motifs pour décrocher. Cela nous rappelle cette histoire, très significative, des manches de pelles raccourcis à la scie par un patron étranger pour empêcher les manœuvres, tunisiens, de se reposer en s’y appuyant.
Pourtant, nous nous targuons d’une longue tradition de travail, érigée en culte par notre religion, qui insiste sur des notions comme la conscience professionnelle, l’honnêteté, le caractère sacré de la sueur des travailleurs, le travail bien fait, l’apprentissage à vie, la qualité, le contrôle de et par la profession, etc.
Dans un hadith bien célèbre, le Prophète (Paix et bénédiction de Dieu sur lui) avait insisté sur le travail en disant que si quelqu’un d’entre vous est surpris par l’apocalypse alors qu’il est en train de planter une pousse, il doit achever sa tâche. Ou encore, Dieu pardonne tout à celui qui va au lit après un travail fatigant.
Un autre hadith du Prophète note bien que Dieu déteste la personne oisive et fainéante. L’on rapporte par ailleurs que le Prophète avait embrassé la main d’un travailleur manuel en disant, voilà une main que Dieu aime. Le travail a été, donc, élevé par l’Islam au rang d’ibada (adoration de Dieu), donc quelque chose de sacré, une notion diamétralement opposée à «ouboudiya» (état de l’esclave). Tout pourrait s’arranger si nous appliquons cette règle simple : devoirs garantis et récompensés par des droits. Ceux qui utilisent le travail des autres se doivent donc de veiller à ce que les droits des premiers soient préservés. Les droits des uns sont en effet les droits des autres. Hélas, chez nous, cette règle est partout bafouée, car jamais nous n’avons pu devenir de véritables citoyens.
(*) II et fin
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