Culture

«Le troupeau» de Hamadi El Mezzi : Quand les souffrances humaines se racontent

 

«Le troupeau» est l’intitulé d’une nouvelle pièce de théâtre produite par Dar Sindbad, texte, scénographie et mise en scène de Hamadi Mezzi, interprétation des comédiennes et comédiens Assala Kouass, Chayma Belhaj, Yahya Faydi, Marwen Missaoui, Mohamed Kouas, Izdine Bechir et Hosni Akermi et la collaboration d’une belle équipe technique. La représentation a été donnée le vendredi 8 décembre 2023 dans le cadre des Journées théâtrales de Carthage, à la Cité de la culture.

La pièce aborde le sujet de l’oppression des individus par le système. Leur enfermement dans un asile psychiatrique se fait suite à une attitude persécutrice des responsables. Ces derniers prétendent se protéger contre les menaces présumées d’un groupe d’individus présentant des pathologies pouvant déranger l’ordre politique et social. Ce moyen d’oppression révèle le point culminant de la torture qu’un Etat puisse exercer pour apprivoiser la rébellion, la révolte ou la non-conformité de ses citoyens qui choisissent de se positionner en marge du groupe ou du troupeau.

L’acteur-électron

Le metteur en scène procède par une prolepse, un procédé qui annonce l’importance du protagoniste (El Sebaï). Ce dernier se met au centre de la scène, avant le démarrage de la représentation. On se rend compte qu’il est le personnage phare de la pièce. Il constitue le point d’attraction au niveau scénique. C’est comme un électron qui attire les autres vers lui et qui fait évoluer le déroulement de l’action. Il se met, à chaque fois, seul dans un coin de la scène, et ce sont les autres qui se déplacent vers lui, que ce soit les patients internes ou le personnel de l’asile. Dans d’autres tableaux, il se place en haut et les autres protagonistes en bas. Il n’est pas tout à fait dominé par les responsables, voire on se met à son service pour sa satisfaction (l’infirmière qui lui apporte une bouteille d’alcool malgré l’interdiction). C’est un personnage charismatique et discret. Mais ses qualités sont peut-être sources de sa persécution car le système punit l’intelligence et opprime les génies. Le metteur en scène Hamadi El Mezzi focalise sur ce protagoniste à travers le langage scénique, c’est-à-dire l’exploitation bien ciblée de la lumière (l’éclairage) et le mouvement (les emplacements) plus que le langage linguistique ( il parle peu et il condense son énoncé), de surcroît à travers les conceptions scéniques plastiques (en guise de tableaux). Hamadi Mezzi a prêté une préoccupation cardinale à la scénographie, et notamment à une certaine composition figurative proche aux arts plastiques. Ceci a levé son personnage (El Sebaï) au rang des héros, voire des personnages divins (dans un des tableaux, on dirait que ce dernier s’affichait en posture de Messie entouré de ses disciples). Egalement les internes lui vouent du respect, de l’obéissance, refusent de divulguer ses secrets même sous la pression des responsables. C’est une reconnaissance de l’importance de ce protagoniste dont le nom exprime la modestie et l’humilité ( il refuse qu’on l’appelle de son vrai nom El kamel, c’est-à-dire le parfait) et c’est la qualité des génies.

La réification des humains, les valeurs bafouées

Sur la scène, quatre individus-patients sont soumis à un conditionnement de leurs comportements, de leurs gestes et de leur quotidien, ils sont sous le régime d’une psychiatrie répressive. Chacun reflète une catégorie sociale et chacun est prétendu souffrir d’une anomalie clinique, soumis à un régime sévère à tel point que leur conduite devient automatisée, mécanisée comme les boutons pour le fonctionnement d’une machine ( la sonnette, la prise des repas…).  A travers chaque protagoniste, le metteur en scène braque la lumière sur les valeurs sociales et humaines qui sont dégringolées, à savoir l’éducation et le profil de l’éducateur, l’amour et la souffrance de l’amoureux, la tendresse humaine (le jeune tant violenté dans son enfance), la connaissance, l’intelligence et la créativité. Ces internes s’avèrent des aliénés sociaux. Ils ne souffrent pas en vérité d’anomalies mentales, mais de réification, d’aliénation, de mal existentiel, de souffrances humaines. La réification de l’homme provient de ce chambardement de valeurs sociales dans ces époques modernes, où l’enseignant glisse de son statut prophétique et est agressé par son élève dans la rue et où l’Etat craint l’homme intelligent et le torture. Cette réalité amère est révélée en toute lumière sous les projecteurs du metteur en scène Hamadi El Mezzi, dont la condamnation est transmise si délicatement à travers la belle scénographie de cette pièce et le jeu bien dirigé des acteurs qui ont excellé au niveau de l’interprétation des rôles.

Faiza MESSAOUDI

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