La Tunisie contre le terrorisme : Hommage à l’épopée de Ben Guerdane, une grande fierté, un souvenir indélébile
Le 7 mars 2016, des éléments terroristes, lourdement armés, se sont infiltrés dès l’aube dans la ville de Ben Guerdane, située dans l’extrême sud, à quelques kilomètres de la frontière libyenne, dans le dessein de s’emparer de cette ville et d’y installer un émirat ou plutôt une base arrière de l’organisation terroriste Daech. Au lever du jour, ils ont été confrontés à une réalité qu’ils refusaient de voir en face. Celle d’une ville, de tout un pays qui a dit à l’unisson non au terrorisme. Dans un sursaut de solidarité, les habitants se sont joints aux forces armées pour constituer un front uni contre les terroristes, s’armant de pierres et sans se soucier du danger qu’ils encouraient.
La rapidité avec laquelle la situation a été prise en main n’a fait que confirmer la déroute de ce groupe terroriste qui avait vainement projeté la prise de la ville avec le soutien des habitants, usant même de mégaphones pour les inciter à se joindre à eux contre ce qu’ils qualifiaient de mécréants. S’attaquant aux groupes militaires et sécuritaires, les terroristes ont vite déchanté. La riposte des unités en place et l’arrivée très rapide des renforts n’ont laissé aucune chance aux groupes radicalisés. Au bout de quelques heures, le rideau est tombé sur l’une des plus graves attaques visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale de la Tunisie.
Les citoyens n’avaient pas peur des balles
L’ex-colonel-major Mokhtar Ben Nasr, l’ancien président de la Commission nationale de lutte contre le terrorisme, revient sur cette épopée et explique à notre journal que, lors de la contre-offensive, les citoyens se sont joints aux forces sécuritaires et militaires pour défendre leur ville et leur pays. Il ajoute que le choix de Ben Guerdane par les terroristes n’était pas fortuit. C’est une ville stratégique en raison de sa proximité de la frontière libyenne d’où ils sont arrivés. Ils ont fait de faux calculs, en espérant avoir le soutien des jeunes de cette ville et de ses habitants qui vivaient des situations difficiles et en raison de leur statut bien connu dans le domaine du commerce au niveau des frontières tuniso-libyennes. Ceci nous rappelle la même erreur commise par ceux qui ont planifié et conduit l’action armée menée contre le régime bourguibien à Gafsa, en 1980,à partir de la Libye.
Selon Ben Nasr, les terroristes ont voulu prendre de court les unités militaires et sécuritaires, mais ils ont été surpris par la ferme et forte réaction des unités et par un autre facteur auquel ils ne s’attendaient pas, à savoir l’important soutien apporté par les jeunes de Ben Guerdane aux valeureux soldats et agents de la police et de la Garde nationale. La situation a été sous contrôle en quelques heures, avec hélas de nombreux martyrs.
Notre expert explique que les terroristes projetaient d’occuper non seulement cette ville, mais aussi d’autres villes du Sud, mais ils ne s’attendaient pas à une riposte aussi rapide et aussi décisive. C’était aussi la première fois qu’on voyait des combats de rues «transmis en live sur nos écrans et en présence du public», commente-t-il. C’est du jamais-vu ! Les citoyens n’avaient pas peur des balles des terroristes. Ils couraient dans tous les sens, à la poursuite des terroristes. Ce qui était étonnant et devrait donner matière à réflexion, c’étaient ces jeunes qui n’avaient pas hésité à traquer des éléments salafistes qu’ils connaissaient parfaitement et qui avaient rallié les groupes terroristes après l’entrée de ces derniers dans la ville. Quand l’heure de vérité a sonné, ils ont choisi de défendre leur patrie.
C’est la première fois que Daech échoue dans une attaque
L’ancien colonel-major Mokhtar Ben Nasr nous livre également d’autres explications que seuls les experts militaires qui ont livré des guerres contre les groupes terroristes connaissent. Il s’agit du timing et du mode opératoire. A cet effet, il ajoute que ces groupes ont l’habitude de faire des attaques dès l’aurore, pour neutraliser les postes de commandement: la police, la Garde nationale et de la défense nationale pour s’emparer, ensuite, facilement de la ville avec la levée du jour. Daech a réussi ainsi à prendre plusieurs villes en Syrie et en Libye, mais il a échoué à Ben Guerdane. Le début de la fin de cette organisation terroriste a commencé avec sa défaite dans le Sud tunisien.
Selon d’autres experts sécuritaires, les services de renseignements militaires et sécuritaires avaient eu vent de l’entrée imminente des groupes terroristes sur le territoire tunisien, après les bombardements subis en Libye. Les unités spécialisées de la lutte antiterroriste étaient en état d’alerte élevé en cette période. Le contexte politique n’était plus le même, après la chute de la Troïka qui ne voyait pas dans la montée du courant salafiste dans la Tunisie post-révolution, une menace pour la sécurité. Au nom de la liberté, des éléments terroristes tristement célèbres ont pu, après la révolution, profiter de l’amnistie générale à la suite de la publication du Décret-loi n° 2011-1 du 19 février 2011, portant amnistie législative générale qui fut signé dans la précipitation par un président de la République par intérim.
D’après l’analyse de ces sources, la Troïka a ouvert par le biais de ce décret la boîte de Pandore. Par conséquent, plusieurs éléments terroristes qui furent libérés avaient très vite regagné d’autres groupes terroristes, retranchés dans les maquis pour ourdir des attentats contre les forces militaires et sécuritaires. Parmi eux, figure justement le terroriste Meftah Manita considéré comme le chef de cette bataille. A titre de rappel, ce dernier avait quitté la prison de Guantanamo pour finir sa peine dans une prison en Tunisie, avant de bénéficier de l’amnistie de 2011.
D’autres éléments, à l’instar du tristement célèbre Seifallah Ben Hassine, (alias Abou Iadh), avaient profité de la protection des gouvernements occidentaux où il jouissait du statut de “réfugié politique”, appelaient après leur retour dans leurs prêches, à la création de daech en Tunisie. A cette époque, et pour des enjeux géostratégiques, les courants politico-islamistes avaient le vent en poupe. L’assaut de Ben Guerdane, trois ans après la chute de la Troïka, est le dernier combat des groupes terroristes, après les attaques survenues en 2015 contre la Garde présidentielle, le Musée du Bardo et l’hôtel Impérial à Sousse.
Un musée national dédié à la bataille de Ben Guerdane, pourquoi pas?
Daech a brûlé ses dernières cartes et s’est heurté à un élan sans faille de solidarité apporté par les habitants aux unités militaires et sécuritaires. Au final, 36 terroristes ont été tués, 12 membres des forces armées, ainsi que 7 civils sont tombés en martyrs durant les échanges de tirs. Plusieurs terroristes, dénoncés par les habitants, ont été arrêtés.
Aujourd’hui, les Tunisiens sont fiers de cette épopée. Mais la ville de Ben Guerdane mérite mieux, car elle est toujours victime de certains choix socioéconomiques qui remontent à l’ère bourguibienne. Mokhtar Ben Nasr nous indique à ce propos que plusieurs promesses sont toujours en suspens et des projets de développement n’ont pas encore vu le jour, notamment le projet de la zone franche de Ben Guerdane.
C’est une ville qui a droit au développement. Des photos placardées sur les murs de la maison de la culture à Ben Guerdane témoignent peu de l’importance de ce grand événement national. Il nous faut plutôt un musée national digne de cette bataille dans lequel plusieurs armes et équipements saisis pourraient être exposés. Aussi bien les touristes que les Tunisiens pourraient s’y rendre, et pour ne pas oublier les sacrifices des martyrs tombés dans cette bataille, en particulier et de la guerre livrée dans notre pays contre le terrorisme en général, conclut-il.
La fierté des familles des martyrs
Ni les Tunisiens ni les familles des personnes tombées en martyrs lors de la bataille de Ben Guerdane n’ont rien oublié. «Huit ans sont passés et je ressens toujours de la peine. Ma douleur ne s’arrête pas, car le mot martyr laisse une grande douleur, mais il laisse au fond quelque chose de plus grand et de plus important; la fierté d’être la mère d’un martyr», a déclaré la mère de Mohamed Yassine Soltani dans une récente déclaration à la Fondation Fida.
A son tour, le père de la jeune martyre, Sarah Bougdima, qui avait alors 12 ans, et faisait partie des victimes de cette attaque, ne cesse de répéter huit ans plus tard : «Notre pays est un olivier que nous arroserons de notre sang, et mon pays passe avant mes enfants». Il ajoute: «les habitants de la région sont toujours prêts à se sacrifier pour la patrie et n’hésitent pas, ne serait-ce qu’un instant, à la défendre», d’après la même source. A méditer pour ces hommes politiques qui ont permis aux terroristes d’endeuiller des centaines de familles en Tunisie.
En mars de l’année 2022, la chambre criminelle spécialisée dans les affaires de terrorisme a prononcé les jugements dans cette affaire à l’encontre de 96 accusés. 16 accusés ont écopé de la peine capitale et 15 autres condamnés à perpétuité. Plusieurs autres accusés ont eu des peines allant de 4 à 30 ans. Un non-lieu a été prononcé à l’encontre d’autres mis en cause. Le ministère public a interjeté appel pour tous les jugements prononcés dans cette affaire et la chambre pénale chargée des dossiers terroristes près la Cour d’appel de Tunisie examinera à nouveau cette affaire, le 11 mars prochain.
Il est à souligner qu’à l’occasion de la commémoration de l’épopée de Ben Guerdane, le Comité national de lutte contre le terrorisme a annoncé l’entrée en vigueur de l’application de la version actualisée de la Stratégie nationale de lutte contre l’extrémisme violent et le terrorisme (2023-2027).
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